AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 septembre 2002) et les productions, que dans son numéro 2689 daté du 7 décembre 2000, le magazine hebdomadaire Paris-Match a publié, en pages 72 à 77, un article intitulé "Lubin, meurtre à huis clos", surtitré "Pour le bébé mort à deux mois, l'enfer c'était ses parents. La mère vient d'être condamnée. Mais trop de mystères demeurent. Match verse au dossier les photos de l'intimité du couple terrible" ; que cet article était annoncé en page de couverture par un encart comportant une photographie des parents et de l'enfant, surmontée d'un titre "Lubin le bébé martyr -Dans l'intimité des parents qui indignent la France", et suivie de la légende "Des photos bouleversantes" ; que l'article, consacré au procès qui s'était déroulé pendant quatre jours devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, à l'issue duquel le père avait été acquitté, tandis que la mère avait été condamnée à quinze ans de réclusion criminelle pour coups mortels, était illustré par six photographies, dont deux en double page, représentant notamment M. X... et Mme Y... donnant le biberon à leur enfant Lubin, décédé le 5 décembre 1994, la mère portant le nourrisson dans ses bras, un portrait géant de l'enfant, le mariage du couple, Mme Y... escortée par des gendarmes ; que par acte d'huissier de justice du 19 décembre 2000, M. X..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de son fils Lubin, a assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance, la société Hachette Filipacchi associés (la société) éditrice du journal, et Mme Anne-Marie Z..., directrice de la publication, sur le fondement des articles 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, 9 et 1382 du Code civil, en responsabilité et réparation du préjudice causé par la publication des photographies de son enfant mineur, et de photographies le représentant lui-même dans des moments de l'intimité de sa vie privée ;
Sur le premier et le deuxième moyens réunis, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable son action en réparation exercée sur le fondement de l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, et d'avoir dit sans objet sa demande de sursis à statuer jusqu'à la décision de la juridiction pénale saisie d'une poursuite contre les mêmes parties à raison des mêmes faits, du chef du délit prévu et réprimé par l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, alors, selon le moyen :
1 ) que la règle selon laquelle le pénal tient le civil en l'état s'applique à chaque fois que le juge pénal est amené à trancher une question sur laquelle le juge civil sera lui-même amené à prendre parti lorsqu'il rendra son jugement ; qu'en l'espèce, était en cours une action publique contre la directrice de publication de Paris-Match poursuivie pour délit, prévu et réprimé par l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, de diffusion d'information permettant l'identification de Lubin X..., mineur victime d'une infraction ; que M. Jérôme X... s'était constitué partie civile à l'instance pénale afin de soutenir l'action publique et poursuivait réparation devant la juridiction civile ; que le juge pénal, saisi de la recevabilité de la constitution de partie civile de M. Jérôme X..., était ainsi amené à trancher la question de savoir si ce dernier pouvait invoquer un préjudice personnel résultant directement de l'infraction ; que le juge civil saisi de la demande de réparation de M. X..., étant également appelé à statuer sur cette question, se devait de surseoir à statuer sur la recevabilité de l'action civile de M. X... ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 4 du Code de procédure pénale ;
2 ) que si l'article 39 bis, alinéa 5, en ce qu'il punit la diffusion d'informations permettant l'identification d'un mineur victime d'une infraction, a pour objet la protection de l'enfant, il a également été édicté dans l'intérêt de ses parents ; qu'ainsi le père d'un enfant mineur victime d'une infraction dont l'identité est divulguée par la presse peut voir réparer le préjudice direct qu'il subit du fait de cette diffusion ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que la société Hachette Filipacchi associés s'était rendue coupable du délit de diffusion de l'identité d'un mineur victime d'une infraction, en diffusant un article accompagné de photographies de Lubin X... victime de coups et blessures ; qu'en affirmant néanmoins que son père, Jérôme X..., ne pouvait solliciter réparation faute d'être la victime directe de l'infraction, la cour d'appel a violé l'article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu qu'il résulte des articles 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 que l'infraction prévue par l'article 39 bis de cette loi ne peut être poursuivie à la seule requête de la partie lésée qui n'a donc pas le droit d'exercer l'action civile séparément de l'action publique ;
Que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués par le moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de ses demandes fondées sur l'article 9 du Code civil alors, selon le moyen, que la liberté de communication des informations autorise la publication d'images de personnes impliquées dans un événement d'actualité, et notamment dans une affaire judiciaire ; que l'image diffusée au nom de la liberté de communication doit représenter ces personnes prises dans l'événement d'actualité ou pouvoir être qualifiée d'image d'actualité ; qu'en l'espèce, si l'actualité de l'information justifiait le récit des débats judiciaires relatif aux poursuites de M. et Mme X..., ainsi que son illustration par des photographies de M. ou Mme X... prises à l'occasion du procès, elle ne justifiait nullement la parution de photographies de l'intimité du couple vieilles de sept ans, extraites sans autorisation d'un album de famille et sans lien avec les faits ; qu'en affirmant néanmoins que la diffusion de ces photographies était justifiée en ce qu'elles illustraient la matière des débats devant la cour d'assises, la cour d'appel a méconnu ensemble l'article 9 du Code civil et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la relation du procès de M. X... et de son épouse, tous deux renvoyés devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine du chef de violences sur leur enfant mineur ayant entraîné sa mort, les circonstances de la mort de l'enfant et l'évocation des relations des époux, au coeur des débats, constituaient un événement d'actualité dont Paris-Match pouvait légitimement rendre compte ; que l'article est illustré de clichés photographiques représentant les époux X... notamment dans une scène de leur vie familiale, en train de donner le biberon à l'enfant, et lors de leur mariage dans une pose plus conventionnelle ; que les faits commis au domicile conjugal des époux X... ont nécessairement placé au centre des débats publics l'intimité de leur couple et la personnalité de chacun, y compris celle de M. X... dont il a été largement et publiquement débattu pendant le procès ;
Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la publication, au soutien d'un événement d'actualité judiciaire, de clichés pris dans le cercle de famille n'avait pas été de nature à porter atteinte à l'intimité de la vie privée de M. X... ni à aucun autre de ses droits ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives de M. X... et de la société Hachette Filipacchi associés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quatre.