AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que M. X..., engagé le 31 août 1990 par la société CIM en qualité de chef de production, a été licencié le 29 juillet 1998 pour faute grave en raison de la diffusion à l'ensemble des salariés d'une lettre ouverte faisant état de son désaccord avec la direction ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 février 2002) d'avoir décidé que le licenciement n'était pas fondé sur une faute grave alors, selon le moyen :
1 ) que constitue une faute grave ne pouvant se rattacher au droit d'expression reconnu au salarié, le fait pour un cadre supérieur, tenu à une obligation particulière de réserve et de discrétion, de mener une campagne de dénigrement à l'encontre de son employeur en diffusant à l'ensemble du personnel une lettre critiquant la gestion de l'employeur ; qu'en l'espèce, M. X... avait commis une faute grave en distribuant à tous les salariés de l'entreprise, malgré la mise en garde de son employeur, une lettre contenant des critiques inadmissibles sur la gestion de son employeur et même des accusations diffamatoires ; qu'en relevant que nombre des propos tenus par M. X... et leur diffusion au sein du personnel n'étaient pas admissibles, tout en considérant que le caractère fautif du comportement de M. X... ne justifiait pas son licenciement pour faute grave, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation des articles L. 122-6 et L. 122-8 du Code du travail ;
2 ) que la lettre de mission de l'employeur visait simplement à souligner l'insuffisance de la productivité compromettant l'avenir de l'entreprise et à inciter l'ensemble du personnel, sous la responsabilité du chef de production et des responsables de services techniques, à atteindre un objectif de productivité et de qualité permettant d'assurer la pérennité de l'entreprise ; qu'en considérant que le comportement de X... était excusable car il avait répondu à une lettre de l'employeur qui constituait une remise en cause de ses compétences et de sa conscience professionnelle devant l'ensemble de ses collègues et subordonnés, la cour d'appel a dénaturé les termes et la portée de ladite lettre en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ;
Et attendu que, sans encourir le grief de dénaturation, l'arrêt attaqué retient que la diffusion par le salarié d'une lettre ouverte répondait à celle que la direction avait précédemment adressée à l'ensemble du personnel pour dénoncer les dysfonctionnements ou insuffisances de l'entreprise et mettant personnellement en cause l'intéressé ; qu'il relève que les critiques du salarié ne présentent pas de caractère excessif et sont à la mesure de l'émotion suscitée par la mise en cause publique de ses compétences et de sa conscience professionnelle alors que son travail n'avait jusqu'alors donné lieu à aucun reproche ; qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu décider que le comportement du salarié ne rendait pas impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et ne constituait pas une faute grave ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Constructions industrielles et maritimes aux dépens ;
Rejette les demandes des parties au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux juin deux mille quatre.