AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en 1989, l'association Espoir Liban pour les enfants (l'association) a contacté MM. X... et Y..., en vue de produire une chanson soutenant son action ; qu'à la suite d'une réunion tenue le 1er mai 1989 au domicile de M. Y..., celui-ci a déposé le 10 mai à la Sacem une chanson intitulée "Liban libre", qu'il a interprétée le 13 mai suivant au Liban ; que cette chanson a fait l'objet d'un enregistrement et d'une diffusion sur phonogramme par la société Espace ; que l'association a produit, de son côté, une chanson intitulée "Liban", enregistrée par 75 artistes, sur une musique de M. X... ; que, le 29 août 1989, M. X... a fait assigner M. Y... devant le tribunal de grande instance en annulation du dépôt effectué par celui-ci et du contrat d'édition de la chanson "Liban libre" ; que, le 15 septembre 1989, M. Z... a fait assigner M. Y... en contrefaçon en prétendant que la chanson "Liban libre" contrefaisait sa chanson "Jérusalem Stone" déposée en 1978 ; que, le 18 octobre 1989, M. Y... a engagé une poursuite pénale en contrefaçon contre M. X..., en raison de laquelle le Tribunal saisi de l'action de M. X... a décidé de surseoir à statuer ; que la poursuite en contrefaçon dirigée contre M. X... a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu, confirmée par arrêt du 26 février 1993, et devenue définitive le 17 janvier 1994 à la suite du rejet du pourvoi formé par M. Y... ; que, par jugement du 1er juin 1994, M. Z... a été débouté de ses demandes contre M. Y... ; que, le 14 mars 1995, M. X... a fait assigner devant le tribunal de grande instance M. Y..., sur le fondement de l'article
1382 du Code civil, en réparation du préjudice causé par l'abus du droit d'agir en justice et par une campagne de dénigrement ;
Sur les deuxième et troisième moyens :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné à verser une somme à M. X..., en réparation du préjudice causé non par un abus du droit d'agir en justice mais par un acharnement médiatique, alors, selon le moyen, que en vertu de l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881, tel qu'issu de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993, les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence, commise par l'un des moyens visés à l'article 23, se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que les atteintes à la présomption d'innocence auraient été perpétrées en 1989 et que l'acte introductif d'instance n'a été délivré que le 14 mars 1995 ; d'où il suit qu'en faisant droit à une action en réparation, fondée sur une atteinte prétendue à la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881, les juges du fond ont violé l'article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Mais attendu que les dispositions invoquées par le moyen ne sont pas applicables à des faits commis, selon les constatations de l'arrêt, en 1989 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Vu les articles 65 et 65-2 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu que les abus de la liberté d'expression prévus et sanctionnés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ; que l'action publique et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la loi susvisée se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où ils ont été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ; que la fin de non-recevoir tirée de cette prescription, d'ordre public, doit être relevée d'office ; qu'en cas d'imputation portant sur un fait susceptible de revêtir une qualification pénale, le délai de prescription est "réouvert ou court à nouveau", au profit de la personne visée, à compter du jour où est devenue définitive une décision pénale intervenue sur ces faits et ne la mettant pas en cause ;
Attendu que pour condamner M. Y... à verser une somme à M. X..., en réparation du préjudice causé par un acharnement médiatique, l'arrêt, après avoir analysé la teneur de plusieurs articles de presse parus en 1989 imputant à M. X... un plagiat et un vol de chanson, retient notamment que si la presse est libre et responsable du contenu de ses publications et tenue d'un devoir de prudence dont elle doit seule répondre, le contenu des articles précités démontre clairement que des éléments concernant le litige opposant les parties ont été divulgués par elle et n'ont pu l'être sans l'action de M. Y..., tenu pour responsable des diffamations commises envers M. X... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les imputations de contrefaçon avaient fait l'objet d'une information clôturée par une décision de non-lieu devenue définitive le 17 janvier 1994, et que l'assignation introductive d'instance avait été délivrée plus de trois mois après cette date, de sorte que la prescription était acquise, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et vu l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'il y a lieu de mettre fin au litige en faisant application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 février 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. X... de ses demandes ;
Condamne M. X... aux dépens exposés tant devant la Cour de Cassation que devant les juges du fond ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile , rejette les demandes respectives de M. Y... et de M. X... ;
Dit que sur les diligences du Procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux octobre deux mille trois.