AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit juin deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller FARGE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Françis,
contre l'arrêt de la cour d'assises des BOUCHES-DU-RHONE, en date du 7 juin 2002, qui, pour tentative d'assassinat et violences aggravées, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle, avec période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur la recevabilité du pourvoi formé le 12 juin 2002 :
Attendu que, le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait le 11 juin 2002, le droit de se pourvoir contre les arrêts attaqués, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre les mêmes décisions ; que seul est recevable le pourvoi formé le 11 juin 2002 ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 327, 591, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, statuant sur l'action publique, a condamné Francis X... à une peine de quinze ans de réclusion criminelle ;
"alors qu'aux termes de l'article 327 du Code de procédure pénale, lorsque la cour d'assises statue en appel, le président invite l'accusé et les jurés à écouter avec attention la lecture des questions posées à la cour d'assises ayant statué en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée ; que cette formalité est indispensable pour que la cour d'assises et les parties soient officiellement informées de la nature de la première décision ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal des débats que cette formalité substantielle n'a pas été respectée ; qu'en conséquence, la procédure est entachée de nullité" ;
Vu l'article 327 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, le président invite l'accusé et les jurés à écouter avec attention la lecture de la décision de renvoi, ainsi que, lorsque la cour d'assises statue en appel, des questions posées à la cour d'assises ayant statué en premier ressort, des réponses faites aux questions, de la décision et de la condamnation prononcée ;
Attendu que le procès-verbal des débats énonce que le président a invité l'accusé à écouter avec attention la lecture de l'ordonnance de mise en accusation, de l'arrêt de condamnation de la cour d'assises du Var et de l'arrêt de la Cour de Cassation renvoyant l'examen de l'affaire devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône ;
que, sur invitation du président, le greffier a donné lecture de ces décisions ;
Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune mention que le greffier ait également donné lecture des questions posées à la cour d'assises ayant statué en premier ressort ainsi que des réponses faites à ces questions ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et, sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire et des articles 307, 312, 346, 380-1, 380-6 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, violation des droits de la défense ;
"en ce que la cour d'assises des Bouches-du-Rhône a reçu la constitution de partie civile de Cyrille Y..., a condamné Francis X... sur l'action publique à 15 ans de réclusion criminelle et sur l'action civile à payer des dommages-intérêts à Cyrille Y... ;
"aux motifs que la nouvelle cour d'assises désignée pour connaître de l'appel procède au réexamen de l'affaire sans prononcer de confirmation ou d'infirmation de la première décision et qu'aucune disposition n'exclut une nouvelle constitution de partie civile en appel ;
"alors, d'une part, que seule la partie civile qui s'est constituée en premier ressort peut exercer les droits de la partie civile au cours des débats devant la cour d'assises d'appel ; qu'en l'espèce, Cyrille Y... n'a participé en qualité de partie civile ni à l'instruction ni à la première instance ; qu'en déclarant néanmoins sa constitution recevable en cause d'appel, et en le faisant participer comme tel aux débats sur l'action publique et sur l'action civile, la cour d'appel a violé les articles précités et entaché de nullité les arrêts sur l'action publique et sur l'action civile ;
"alors, d'autre part, que seuls les parties civiles, le ministère public et l'accusé peuvent prendre la parole dans les débats postérieurs à la clôture de l'instruction à l'audience de sorte que, lorsque la cour d'assises décide de surseoir à statuer sur la recevabilité d'une action civile formée au cours des débats, le demandeur à cette action, qui n'a pas acquis la qualité de partie civile tant qu'il n'a pas été statué sur la recevabilité de son action, ne peut prendre la parole après la clôture de l'instruction ; qu'en l'espèce, Cyrille Y..., entendu comme témoin, a demandé au cours des débats à la Cour de recevoir sa constitution de partie civile ; que, devant l'opposition de l'accusé, la cour d'assises a décidé de surseoir à statuer jusqu'à la fin des débats sur cette demande (procès-verbal des débats, page 6, 4) ; qu'en conséquence, en laissant Cyrille Y... plaider sur l'action publique au cours des débats postérieurs à la clôture de l'instruction, sans se prononcer au préalable sur sa constitution de partie civile, la cour d'appel a violé l'article 346 du Code de procédure pénale ;
"alors, enfin, que le principe de l'égalité des armes suppose qu'une partie ne soit pas placée dans une condition nettement avantageuse par rapport à son adversaire ; que le fait pour une partie civile d'avoir effectué à l'audience, préalablement à sa constitution et en qualité de témoin, une déposition sous serment et de pouvoir ainsi utiliser contre l'accusé des témoignages dont elle est l'auteur, lui confère un net avantage sur ce dernier ; qu'en conséquence, doit être écartée des débats la déposition sous serment effectuée à l'audience par un témoin qui, par la suite, s'est constitué partie civile devant la cour d'assises ; qu'en s'abstenant d'écarter la déposition de Cyrille Y..., qui, après avoir été entendu sous serment à l'audience, s'est constitué partie civile, la cour d'assises a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Vu l'article 380-6 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ce texte qu'une victime non constituée partie civile devant la cour d'assises de première instance ne peut se constituer, pour la première fois, devant celle statuant en appel ;
Attendu qu'il ressort des pièces de procédure que Cyrille Y..., victime de la tentative de meurtre dont Francis X... était accusé, ne s'est pas constitué partie civile devant la cour d'assises du Var statuant en première instance ; qu'après avoir été entendu comme témoin par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, il a déclaré se constituer partie civile ; que des réserves sur la recevabilité de cette constitution ont été émises par la défense de l'accusé et que la Cour a décidé de surseoir à statuer ; que Cyrille Y... a participé aux débats en qualité de partie civile et que son avocat a plaidé à l'issue de l'instruction à l'audience ;
Attendu que, pour déclarer recevable la constitution de partie civile, par un arrêt incident prononcé avant la clôture des débats, les juges énoncent que la cour d'assises d'appel procède à un nouvel examen de l'affaire, sans avoir à confirmer ni à infirmer la décision de première instance ; qu'ils ajoutent qu'aucune disposition légale n'interdit à une victime de se constituer partie civile pour la première fois lors de l'instance d'appel ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la Cour a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi formé le 12 juin 2002 :
Le DECLARE IRRECEVABLE ;
II - Sur le pourvoi formé le 11 juin 2002 :
CASSE et ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, en date du 7 juin 2002, ensemble la déclaration de la Cour et du jury et les débats qui l'ont précédée ;
CASSE et ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes, statuant en appel, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises des Bouches-du-Rhône et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Farge conseiller rapporteur, MM. Le Gall, Pelletier, Mme Ponroy, M. Arnould, Mme Koering-Joulin, M. Corneloup conseillers de la chambre, Mme Caron, M. Lemoine conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;