AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 mai 2001), que, par marché de travaux du 12 février 1996, la société civile immobilière ... (la SCI), maître de l'ouvrage, a chargé la société ETPM-Battais (société ETPM), agissant en qualité d'entrepreneur général, de la rénovation d'un groupe d'immeubles lui appartenant pour un prix de 2 200 000 francs ; que la réception est intervenue avec réserves ; que la SCI, invoquant des retards, l'absence de levée des réserves et un préjudice financier constitué par des pertes locatives et des difficultés de trésorerie, a assigné en réparation la société ETPM qui a reconventionnellement demandé le règlement d'une provision à valoir sur le solde de son marché, une expertise et, sur le fondement de l'article 1799-1 du Code civil, la délivrance, sous astreinte, d'une garantie de paiement sous la forme d'un cautionnement bancaire pour un montant de 1 139 851,19 francs correspondant au coût des travaux demeurés impayés ;
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à fournir le cautionnement bancaire, alors, selon le moyen :
1 ) qu'en retenant, pour caractériser la qualité professionnelle de la SCI ..., que celle-ci "ne cache pas tirer ses revenus de la location d'immeubles rénovés qu'elle avait acquis en état d'insalubrité" quand cette affirmation n'a jamais été articulée par cette partie dans le cadre du présent litige, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que les dispositions du quatrième alinéa de l'article 1799-1 du Code civil écartent du champ d'application de la garantie de paiement les marchés de travaux conclus pour le propre compte du maître de l'ouvrage et pour la satisfaction de besoins ne ressortissant pas à une activité professionnelle en rapport avec ce marché, ce dont il suit que les juges du fond ne peuvent faire application de ce texte sans faire ressortir en quoi le maître de l'ouvrage exerce à titre professionnel, c'est à dire à titre habituel, une activité susceptible d'être rattachée à la conclusion d'un marché de travaux immobiliers ; qu'en déduisant en l'espèce la qualité de "professionnel de l'immobilier" de la SCI ... fait que le montant du marché litigieux dépassait le seuil prévu par le décret du 30 juillet 1999, qu'il s'agissait d'une opération de rénovation lourde, que l'immeuble rénové avait été acquis pour être loué et que la dite SCI était inscrite au registre du commerce, motifs impropres à exclure que cette société ait agi pour son propre compte et en dehors de toute motivation professionnelle, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1799-1 du Code civil ;
3 ) que la SCI ... faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la totalité des travaux réalisés par la société ETPM lui avait été réglée ; qu'en énonçant qu'il n'était pas contesté qu'un solde important sur les travaux restait dû à cette entreprise, la cour d'appel a dénaturé ces écritures et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
4 ) qu'ayant constaté que les travaux litigieux avaient d'ores et déjà été réceptionnés, la cour d'appel ne pouvait ordonner la constitution d'une garantie à hauteur de 1 139 851 francs, somme correspondant à près de la moitié du montant du marché litigieux, sans indiquer de quel élément du débat résultait l'existence d'un impayé aussi important à ce stade d'avancement du chantier ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette question pour se borner à adopter le chiffre de 1 139 851,19 francs qu'avait avancé la société ETPM-Battais sans justifier en quoi que ce soit du quantum de sa prétendue créance, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1799-1 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé que la SCI, inscrite au registre du commerce avec un capital de deux millions de francs avait conclu un marché de travaux de rénovation et invoquait un lourd préjudice locatif, la cour d'appel, qui a pu en déduire que cette opération avait un caractère spéculatif et que la SCI ne rapportait pas la preuve, dont la charge lui incombait, que le marché avait pour objet de satisfaire des besoins ne ressortissant pas à son activité professionnelle, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
Attendu, d'autre part, que, saisie de conclusions de la société ETPM faisant valoir qu'elle demeurait impayée des travaux exécutés pour la somme de 1 139 851,19 francs et ayant relevé que la créance éventuelle dont pouvait se prévaloir la SCI, à déterminer après expertise, n'étant pas certaine, liquide et exigible, ne pouvait donner lieu en l'état à compensation, la cour d'appel, qui a retenu que le contrat, dont les comptes restaient à faire, n'ayant pas été intégralement exécuté, le caractère conservatoire de la mesure sollicitée permettait de l'ordonner, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI ... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SCI ... à payer à la société ETPM Battais la somme de 1 900 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre avril deux mille trois.