CASSATION sur le pourvoi formé par :
- X... André,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 7 juillet 1994, qui l'a débouté de son action en dommages et intérêts pour plainte abusive ou dilatoire.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 91 et 593 du Code de procédure pénale et de l'article 1382 du Code civil :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté X... de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour dénonciation abusive et téméraire ;
" aux motifs que l'arrêt de non-lieu ayant été précédé de deux arrêts des 10 novembre 1989 et 5 juin 1991, force est de constater, comme l'observe l'appelant, que celui du 10 novembre 1989 énonce que des faits et circonstances de la cause "résultent à l'encontre de X... présomptions graves et concordantes des chefs d'abus de confiance et escroquerie" ; qu'il n'est pas possible de qualifier d'abusive ou de dilatoire, quel qu'ait été son destin final, une plainte ayant, à un moment quelconque de son instruction, suscité de la part d'une chambre d'accusation une pareille appréciation ;
" alors que commet une faute, fondant sa condamnation pour dénonciation abusive ou téméraire au sens de l'article 91 du Code de procédure pénale, celui qui dépose une plainte avec constitution de partie civile sans disposer d'éléments sérieux confortant les accusations qu'il formule ; qu'ainsi en déduisant de la seule circonstance que dans un arrêt ordonnant un supplément d'information la chambre d'accusation avait relevé qu'il existait des présomptions graves et concordantes à l'encontre de l'inculpé le caractère non abusif de la plainte, sans rechercher si l'instruction clôturée par un non-lieu n'avait pas démontré ultérieurement que la partie civile, qui avait fait usage d'une pièce falsifiée et qui n'avait jamais pu démontrer la réalité d'une convention sur laquelle elle fondait ses accusations, n'avait pas agi ainsi avec témérité et légèreté, faute de disposer d'éléments sérieux à l'appui de ses prétentions, la Cour a violé les textes visés au moyen " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile de la société anonyme les Laboratoires Homéopatiques de France (LHF) contre son ex-salarié, André X..., du chef d'abus de confiance, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de non-lieu ; que, sur appel de la partie civile, la chambre d'accusation, par un premier arrêt du 10 novembre 1989, avant dire droit sur le fond, a ordonné un supplément d'information aux fins, notamment, d'inculpation de X... du chef d'escroquerie ; que, le 5 juin 1991, elle a prescrit de nouvelles mesures d'instruction puis, après l'accomplissement de celles-ci, a rendu un arrêt de non-lieu le 9 avril 1993 ;
Attendu qu'André X..., soutenant que cette plainte, fondée sur des pièces reconnues falsifiées par la chambre d'accusation, et déposée quelques jours avant l'audience du conseil des prud'hommes où devait être jugé le procès qui l'opposait à son ex-employeur, était abusive et dilatoire, a cité la SA Boiron, venant aux droits de LHF, en paiement de dommages et intérêts en application de l'article 91 du Code de procédure pénale ; que le tribunal a reconnu le bien-fondé de la demande et lui a accordé des réparations ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et débouter André X... de ses demandes, la cour d'appel se borne à énoncer que, dans son arrêt du 10 novembre 1989, la chambre d'accusation a affirmé qu'il existait contre X... des présomptions graves, précises et concordantes d'avoir commis un abus de confiance et une escroquerie, et qu'on ne saurait " qualifier d'abusive ou dilatoire une plainte, quel qu'ait été son destin final, qui, à un moment quelconque de l'instruction, a suscité une pareille appréciation de la part d'une chambre d'accusation " ;
Mais attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, alors qu'il lui appartenait d'apprécier elle-même, au vu des circonstances de l'espèce, si la preuve d'une faute ou d'une imprudence de la partie civile était rapportée, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de contrôler la légalité de la décision ;
Que la cassation est dès lors encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 7 juillet 1994, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.