La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/1994 | FRANCE | N°92-16423

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 novembre 1994, 92-16423


Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en octobre 1987, M. X..., chirurgien-dentiste, à qui les époux Y... avaient confié leur fils, alors âgé de 8 ans, aux fins de correction de la saillie antérieure des incisives centrales supérieures, a prescrit le port intermittent d'un appareil de traction extra-oral de fabrication américaine et constitué de deux arcs métalliques reliés par des élastiques à un dispositif d'appui occipital ; que le traitement a commencé le 8 mars 1988 ; que le 3 juillet suivant, l'enfant a entrepris, après le repas du soir, de retirer l'appar

eil déjà mis en place sans détacher préalablement les élastique...

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, qu'en octobre 1987, M. X..., chirurgien-dentiste, à qui les époux Y... avaient confié leur fils, alors âgé de 8 ans, aux fins de correction de la saillie antérieure des incisives centrales supérieures, a prescrit le port intermittent d'un appareil de traction extra-oral de fabrication américaine et constitué de deux arcs métalliques reliés par des élastiques à un dispositif d'appui occipital ; que le traitement a commencé le 8 mars 1988 ; que le 3 juillet suivant, l'enfant a entrepris, après le repas du soir, de retirer l'appareil déjà mis en place sans détacher préalablement les élastiques ; que, projetées vers son visage, les extrémités acérées de l'arc " endobuccal " lui ont perforé l'oeil droit dont la vision est désormais perdue ; que les époux Y..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de leur fils, ont recherché la responsabilité de M. X..., en assignant ce praticien ainsi que son assureur l'Assurance dentaire ; que l'arrêt attaqué (Poitiers, 8 avril 1992) a condamné in solidum M. X... et son assureur à réparer l'intégralité des préjudices subis ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X... et l'Assurance dentaire font grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que l'information délivrée par un médecin ne doit porter que sur les risques normalement prévisibles, à l'exception des risques exceptionnels ; qu'il ne saurait donc être reproché à M. X... de ne pas avoir informé les parents d'un risque qui, aux dires mêmes des experts, repris par la cour d'appel, ne se réalisait qu'exceptionnellement ; que celle-ci a en conséquence violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu que, loin de qualifier le risque d'exceptionnel, la cour d'appel a, dans son pouvoir souverain d'appréciation, retenu que l'appareil, par sa conception, présentait un danger certain que connaissait le praticien en sa qualité de spécialiste puisqu'il n'ignorait pas l'existence des graves accidents survenus en Allemagne et aux Etats-Unis ; qu'elle a pu en déduire qu'en ne signalant pas aux parents le danger inhérent à l'appareil, ce qui aurait pu les conduire à refuser le traitement, le praticien avait manqué à son obligation de renseigner ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X... et son assureur reprochent encore à la cour d'appel d'avoir statué ainsi qu'elle l'a fait, alors, selon le moyen, d'une part, qu'en homologuant le rapport d'expertise qui considérait que le praticien avait établi un diagnostic précis et exact et proposé un mode de traitement justifié, s'appuyant sur les anomalies constatées, et que la technique préconisée " head cap " avec force extraorale couramment employée dans le monde depuis plus de 30 ans était compatible avec l'âge de l'enfant, et en retenant néanmoins que le praticien avait commis une faute en prescrivant un appareil largement utilisé et dont l'indication était conforme aux données actuelles et acquises de la science, la cour d'appel n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s'imposaient, violant ainsi l'article 1147 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'obligation de résultat qui pèse sur le chirurgien-dentiste consiste à fournir des appareils aptes à rendre le service qu'on en attend, en sorte que la cour d'appel, qui n'a pas constaté que l'appareil fourni comportait un défaut, a privé sa décision de base légale au regard du texte précité ; alors, enfin, que les agissements d'un mineur peuvent constituer une cause totale ou partielle d'exonération de responsabilité ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer qu'aucune faute ne pouvait être retenue contre l'enfant, dont il n'est pas contesté qu'il avait commis une grave imprudence en procédant au retrait de son appareil sans suivre les conseils éclairés qui lui avaient été prodigués par M. X..., sans violer l'article 1147 précité ;

Mais attendu, d'abord, qu'appréciant souverainement la portée et la teneur de l'expertise qu'elle n'a pas entérinée, la cour d'appel a retenu que les experts avaient eux-mêmes relaté les accidents semblables publiés en 1985 et en 1986 dans des pays étrangers, et qu'ils partageaient la préoccupation des parents de voir limiter, sinon supprimer l'indication d'un tel procédé thérapeutique à moins que celui-ci ne subisse des modifications dans le sens d'une sécurité d'emploi absolue ; qu'ensuite, sans avoir à constater que l'appareil comportait un défaut dès lors qu'en lui-même il constituait un danger, la cour d'appel a énoncé à bon droit que, procédant à un acte de fourniture d'un appareil, le chirurgien-dentiste orthodontiste est tenu à une obligation de résultat concernant la sécurité tenant tant à la conception de l'appareil qu'à ses conditions d'utilisation ; qu'enfin, elle a pu décider qu'aucune faute ne pouvait être imputée à l'enfant, dès lors que le praticien n'avait pas donné d'information sur le caractère dangereux de l'appareil ; que la décision ainsi légalement justifiée n'encourt aucune des critiques du moyen ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 92-16423
Date de la décision : 22/11/1994
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Chirurgien-dentiste orthodontiste - Responsabilité contractuelle - Obligation de renseigner - Etendue - Risques inhérents à la conception d'un appareil dentaire porté par un enfant de huit ans .

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Obligation de renseigner - Chirurgien-dentiste orthodontiste - Risques inhérents à la conception d'un appareil dentaire porté par un enfant de huit ans

POUVOIRS DES JUGES - Appréciation souveraine - Professions médicales et paramédicales - Chirurgien-dentiste orthodontiste - Appareil dentaire porté par un enfant de huit ans - Caractère dangereux de l'appareil

PROFESSIONS MEDICALES ET PARAMEDICALES - Chirurgien-dentiste - Responsabilité - Appareil de prothèse - Fourniture - Obligation de résultat

RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Obligation de résultat - Chirurgien-dentiste - Appareil de prothèse - Fourniture

Ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, qu'un appareil dentaire porté par un enfant de 8 ans, présentait par sa conception un danger certain, que connaissait le praticien en sa qualité de spécialiste, une cour d'appel a pu en déduire qu'en ne signalant pas aux parents le danger inhérent à l'appareil, le praticien avait manqué à son obligation de renseigner. Le chirurgien-dentiste orthodontiste qui fournit un appareil, est tenu à une obligation de résultat concernant la sécurité tenant tant à la conception de l'appareil qu'à ses conditions d'utilisation. Dès lors que le praticien n'a pas donné d'information sur le caractère dangereux de l'appareil, aucune faute ne peut être imputée à l'enfant.


Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, 08 avril 1992

A RAPPROCHER : Chambre civile 1, 1988-11-15, Bulletin 1988, I, n° 319, p. 217 (cassation)

arrêt cité.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 22 nov. 1994, pourvoi n°92-16423, Bull. civ. 1994 I N° 340 p. 245
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles 1994 I N° 340 p. 245

Composition du Tribunal
Président : Président : M. de Bouillane de Lacoste .
Avocat général : Avocat général : Mme Le Foyer de Costil.
Rapporteur ?: Rapporteur : Mme Delaroche.
Avocat(s) : Avocats : M. Le Prado, la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1994:92.16423
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award