CASSATION sur les pourvois formés par :
- X... Patrice,
- la société Siap-Nord, civilement responsable,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 7e chambre, en date du 17 décembre 1992, qui, dans les poursuites suivies contre le premier du chef d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'entreprise, l'a condamné à des réparations civiles et a déclaré la seconde civilement responsable.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles L. 432-1, L. 432-2, L. 483-1 du Code du travail, 7. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué, statuant sur l'appel interjeté par la partie civile contre un jugement de relaxe, a condamné Patrice X... et la société industrielle automobile de Provence, civilement responsable, à payer solidairement au comité d'établissement de la Siap-Nord la somme de 2 000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 5 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
" aux motifs que les dispositions de l'article L. 432-2 du Code du travail trouvent application chaque fois qu'un projet important d'introduction de nouvelles technologies est susceptible d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail du personnel ; qu'en l'espèce la direction de la Siap-Nord, afin de faciliter le travail des services de vente, a mis en place un logiciel Mercure en remplacement du traitement manuel du fichier clients, ce qui impliquait la suppression du poste de fichiste ; que la saisie informatique des informations recueillies est désormais assurée par une téléactrice chargée également du publipostage ; qu'une telle modification, consistant à introduire un nouveau procédé de recueil d'informations sur les clients et à transformer ainsi dans son intégralité un service, caractérise nécessairement l'importance du projet et l'assimilation à l'introduction d'une nouvelle technologie telles que visées à l'article L. 432-2 du Code du travail ; qu'il ne s'agit pas seulement d'utiliser dans des conditions nouvelles des techniques déjà en vigueur dans l'entreprise, quand bien même l'informatique y aurait fait son entrée depuis 1981, dès lors que l'innovation est de nature à exercer une influence sur la marche générale de l'entreprise et la situation du salarié ; que dans ces conditions Patrice X... était tenu d'informer et de consulter le comité d'entreprise, y compris sur le fondement de l'article L. 432-1 du Code du travail ; que l'examen du procès-verbal relatif à la réunion, le 29 novembre 1989, du comité d'établissement de la Siap-Nord n'évoque qu'un simple rappel des points principaux développés à la réunion du comité central d'entreprise (le 22 novembre précédent), et ne saurait dès lors s'analyser en une information du comité d'établissement ; que le caractère précipité de cette consultation imparfaite se trouve par ailleurs conforté par la proposition de reclassement faite dès le 24 novembre 1989, soit antérieurement à la réunion du comité d'établissement, à M. Y... qui occupait le poste de fichiste depuis 1985 en même temps qu'il exerçait plusieurs mandats de représentant du personnel ; que cette proposition, bien que jugée honnête par celui-ci, a été refusée par ce salarié qui, dans sa lettre du 1er décembre 1989, comme cela a été le cas des élus du comité d'établissement au cours de la réunion du 29 novembre 1989, discutait le bien-fondé des choix de la direction ;
" alors que le principe de légalité a pour corollaire l'obligation pour le législateur de définir les infractions en des termes suffisamment précis pour exclure toute incertitude quant au champ d'application de la loi pénale ; qu'en l'espèce les intimés ont été poursuivis sur le fondement de l'article L. 432-2 du Code du travail qui fait obligation au chef d'entreprise de consulter le comité d'entreprise préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies ; que le terme " important " est source d'incertitude, aucun critère précis ne permettant de distinguer les projets dont l'importance requiert la consultation du comité d'entreprise, de ceux qui, du fait de leur moindre importance, n'ont pas à être soumis au comité d'entreprise ; qu'en raison de son imprécision le texte précité méconnaît le principe de légalité consacré tant par la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales que par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; qu'il doit dès lors être écarté, les traités ayant une autorité supérieure à celle des lois internes, et ne saurait servir de base à aucune condamnation ;
" alors, en outre, que la consultation du comité d'entreprise n'est requise que préalablement à l'introduction dans l'entreprise d'une technologie nouvelle ; que l'extension d'une technologie déjà largement développée ne peut être considérée comme l'introduction d'une technologie nouvelle ; qu'en l'espèce, dans des conclusions régulièrement déposées, les demandeurs avaient fait valoir que depuis 1981, tous les services de l'entreprise avaient été progressivement informatisés ; que dès lors le projet litigieux, qui consistait à informatiser le fichier de la clientèle, seul service à être encore traité manuellement, ne pouvait s'analyser en l'introduction d'une nouvelle technologie au sens de l'article L. 432-2 du Code du travail ; qu'en ne répondant pas à ce chef péremptoire des conclusions, pour se borner à constater, sans autre précision, que " l'informatique avait fait son entrée (dans l'entreprise) depuis 1981 ", ce qui ne caractérise pas l'ampleur du processus d'informatisation engagé depuis cette époque, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur le point de savoir si l'innovation litigieuse pouvait s'analyser en l'introduction d'une technologie nouvelle, et a ainsi privé sa décision de base légale ;
" alors, en toute hypothèse, que l'employeur n'est tenu de consulter le comité d'entreprise que lorsque les mesures envisagées sont importantes et ne revêtent pas un caractère individuel ou ponctuel ; qu'en l'espèce il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué, que le projet litigieux a seulement entraîné la suppression d'un poste de travail, sans qu'il en soit résulté aucune suppression d'emploi, l'intéressé ayant fait l'objet d'une proposition de reclassement, et n'a affecté, au total, les conditions de travail que de trois salariés ; que dès lors il ne revêtait pas une importance telle que la consultation du comité d'entreprise s'imposât ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qu'elles comportaient et a violé par fausse application les textes visés au moyen ;
" alors, au surplus, que dans les conclusions régulièrement déposées, les intimés avaient fait valoir que tant le comité central d'entreprise dans sa séance du 22 novembre 1989, que le comité d'établissement, lors de sa réunion du 29 novembre suivant, avaient été informés de manière précise du projet de réaménagement du fichier de la clientèle et de la suppression corrélative du poste de fichiste, assortie des propositions de la direction pour le reclassement du personnel concerné ; qu'ils avaient également fait valoir que le procès-verbal du 29 novembre 1989, établi à l'issue de la réunion du comité d'établissement, faisait état des observations critiques des représentants du personnel à l'égard de ce projet, ce qui impliquait nécessairement que le comité d'établissement avait été consulté sur le projet litigieux ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions, d'où il résultait que l'infraction reprochée n'était pas constituée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Siap, qui avait en 1981 introduit l'informatique dans la gestion de ses services, a décidé en 1990 d'informatiser la fonction " marketing " des services de vente de trois établissements par la mise en place d'un nouveau logiciel, et qu'elle a informé le comité central d'entreprise que la mise en application de ce projet entraînerait l'abandon du traitement manuel du fichier des clients et la suppression du poste de fichiste, le personnel concerné devant être reclassé ; que Patrice X..., directeur de l'établissement de la Siap-Nord, qui avait communiqué au comité d'établissement les points principaux exposés au comité central, a été poursuivi du chef d'entrave pour ne pas avoir consulté cet organisme sur cette mesure ; qu'il a été relaxé par les premiers juges ; que par l'arrêt attaqué la cour d'appel, saisie du seul appel de la partie civile, a considéré que la consultation du comité d'établissement était nécessaire en application des articles L. 432-1 et L. 432-2 du Code du travail, que cette consultation avait été imparfaite et qu'au regard de l'action civile les éléments constitutifs de l'infraction étaient réunis ;
En cet état :
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que, contrairement à ce qui est allégué, l'obligation pour le chef d'entreprise, prescrite par l'article L. 432-2 du Code du travail, d'informer et consulter le comité d'entreprise préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, n'est ni incertaine ni indéterminée, même si la loi ne définit pas la notion d'importance ; que celle-ci s'apprécie nécessairement en fonction des modifications que le projet apporte dans l'organisation et la marche de l'entreprise et des conséquences qu'il peut avoir, comme le prévoit ce texte, sur l'emploi, la qualification, la rémunération et la formation ou les conditions de travail du personnel ;
D'où il suit que l'article L. 432-2 du Code du travail n'est pas incompatible avec les textes conventionnels invoqués et que, dès lors, le moyen doit, à cet égard, être écarté ;
Mais sur le moyen pris en ses autres branches :
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance et la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour considérer que la consultation du comité d'établissement était obligatoire, la juridiction du second degré énonce notamment que la modification consistant, par l'emploi d'un nouveau logiciel, à introduire un nouveau procédé de recueil d'informations sur les clients et ainsi à transformer dans son intégralité un service, caractérise nécessairement l'importance du projet et l'assimilation à l'introduction d'une nouvelle technologie telle que visée à l'article L. 432-2 du Code du travail ; qu'il ne s'agit pas seulement d'utiliser dans des conditions nouvelles des techniques déjà en vigueur dans l'entreprise, dès lors que l'innovation est de nature à exercer une influence sur la marche générale de l'entreprise et sur la situation du salarié fichiste ;
Qu'elle déduit de ces constatations que l'information et la consultation du comité d'établissement étaient dès lors nécessaires en application des articles L. 432-1 et L. 432-2 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel ne pouvait, d'une part, après avoir constaté que l'informatique avait été introduite en 1981 dans l'entreprise, se borner à affirmer, sans mieux s'en expliquer, que l'emploi d'un nouveau logiciel constituait l'introduction d'une technologie nouvelle et transformait dans son intégralité le service des ventes ; que, d'autre part, elle ne pouvait sans contradiction constater que le projet n'entraînait que la suppression d'un poste de travail, et considérer cependant qu'il s'agissait d'un projet important ayant des conséquences sur l'emploi du personnel ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, elle a privé sa décision de base légale ;
D'où il suit que la censure est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 17 décembre 1992, en toutes ses dispositions ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier.