CASSATION sur le pourvoi formé par :
- la société anonyme X..., Y..., Z..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 26 novembre 1991, qui dans les poursuites engagées par elles contre A... pour injures et diffamation publiques envers des particuliers, a annulé la plainte avec constitution de partie civile, constaté l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription et déclaré irrecevables les constitutions de partie civile.
LA COUR,
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1981, de l'article 6 du Code de procédure pénale, des articles 485, 512 et 593 du même Code, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué annule la plainte avec constitution de partie civile du 17 septembre 1990 et l'ensemble des actes subséquents de la procédure ; dit en cet état que la prescription des délits d'injures et de diffamation publiques est acquise ; constate l'extinction de l'action publique et déclare irrecevables comme prescrites les constitutions de partie civile ;
" aux motifs propres et adoptés qu'il ne saurait être argué que le constat d'huissier était annexé à la plainte ; que l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 n'indique pas que des pièces annexes peuvent venir au soutien d'une plainte avec constitution de partie civile aux fins d'articuler les faits, mais commande que le réquisitoire ou la plainte avec constitution de partie civile contiennent intrinsèquement dans leur texte et répondent par eux-mêmes à ses exigences ; que l'erreur dactylographique que contient la plainte avec constitution de partie civile apporte une imprécision totale sur les circonstances de temps qui impriment aux faits les caractères légaux d'une infraction déterminée par la loi et ne met pas en demeure le prévenu de connaître le point de départ de la prescription et d'organiser dans sa certitude sa défense ; que l'erreur de date, corrigée dans le réquisitoire introductif, et partant l'insuffisance et le défaut de précision ne peuvent être couverts par ce réquisitoire daté du 17 octobre 1990, postérieur de 4 mois à la date retenue par le Parquet et dès lors pris hors des délais de la prescription ;
" alors, d'une part, que l'indication de la date du fait incriminé ne peut être exigée que dans la mesure où elle est nécessaire pour donner à ce fait la précision indispensable ;
" alors, d'autre part, qu'il est constant et qu'il résulte des constatations des juges du fond qu'à la plainte avec constitution de partie civile du 17 septembre 1990 se trouvait annexé le procès-verbal de constat d'huissier de Me F..., huissier de justice à Béziers, auquel elle se réfère et que ce procès-verbal en date du 22 juin 1987, établi à la requête des plaignants, énonce qu'ils requièrent l'huissier de retranscrire le texte de l'émission Radio Peinard Croissants Chauds du 17 juin 1990 dont ils me remettent cassette enregistrée ; que, dès lors que ni l'annexion dudit procès-verbal à la plainte avec constitution de partie civile ni son authenticité et son contenu n'étaient contestés, il faisait corps avec elle et en tant que de besoin, rectifiait l'erreur dactylographique de date susmentionnée " ;
Vu lesdits articles ensemble l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 50 et 65 de la loi sur la liberté de la presse que le réquisitoire introductif ou la plainte avec constitution de partie civile doivent seulement, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est engagée avec indication des textes dont l'application est demandée ; qu'il s'en déduit que l'indication de la date des faits, si elle est utile pour donner à ceux-ci toute la précision nécessaire, ne dispense pas les juges de déterminer, d'après les éléments de la cause, le premier acte de publication afin de fixer le point de départ de la prescription ;
Attendu qu'il appert du jugement et de l'arrêt qui en adopte les motifs, que Z..., agissant tant en son nom personnel que comme directeur général de la société de presse X..., ainsi que Y..., journaliste, se sont constitués partie civile le 17 septembre 1990 en portant plainte contre A..., responsable de la station radiophonique " Radio Peinard ", en application des articles 29, 32, 33 de la loi du 29 juillet 1881, pour délits d'injures et diffamation publiques envers des particuliers commis à l'occasion d'une émission " quasi systématique " intitulée " Croissants Chauds " diffusée le dimanche matin " par exemple le 22 juin 1987 " à raison de propos précisés dans ladite plainte ; qu'à celle-ci était annexé un constat établi le 22 juin 1990 par l'huissier de justice requis par les plaignants " aux fins de retranscrire le texte de l'émission Radio Peinard Croissants Chauds du 17 juin 1990 " dont les requérants lui avaient remis la cassette ; qu'au vu de cette plainte est intervenu, le 17 octobre 1990, un réquisitoire introductif visant la qualification et les textes de loi applicables aux faits commis, selon ce dernier acte, le 17 juin 1990 ;
Attendu que, statuant sur l'exception de nullité de la poursuite présentée par le prévenu avant toute défense au fond, les juges, saisis en outre en cause d'appel de l'exception de prescription, énoncent, pour faire droit à ces chefs de conclusions péremptoires, qu'il n'est pas contesté par les plaignants que leur plainte comporte une erreur sur la date de l'émission incriminée (22 juin 1987 au lieu de 17 juin 1990) ; que la date des faits nécessaire pour imprimer à ceux-ci les caractères légaux de l'infraction et permettre au prévenu de connaître avec certitude le point de départ du délai de prescription s'avère d'autant plus indispensable qu'en l'espèce, les propos litigieux ont été diffusés au cours d'émissions hebdomadaires par le même présentateur d'une station radiophonique émettant depuis plusieurs années ; qu'il ne saurait être argué de la jonction à la plainte d'un constat d'huissier de justice dont la production n'entre pas dans les prévisions de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 et dont, par suite du rapprochement des dates indiquées dans cet acte et dans la plainte, il résulterait encore une plus grande confusion et imprécision sur le moment où les propos auraient été proférés ; que, dès lors la plainte avec constitution de partie civile, ne répondant pas aux exigences de l'article 50 précité, est entachée d'une nullité d'ordre public et n'a pu interrompre la prescription ;
Mais attendu qu'en subordonnant ainsi la validité d'une telle plainte, dont les énonciations étaient conformes aux prescriptions dudit article 50 de la loi du 29 juillet 1881, à une condition non prévue par ce texte et alors qu'il leur appartenait de rechercher la date des faits dénoncés par le plaignant avant de pouvoir se prononcer sur l'exception de prescription, les juges ont méconnu le sens et la portée des principes ci-dessus rappelés ;
Que, dès lors, l'arrêt encourt la cassation ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, en date du 26 novembre 1991, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes.