ACTION PUBLIQUE ETEINTE et REJET du pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse, chambre correctionnelle, en date du 12 novembre 1987 qui, pour diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'a condamné à 5 000 francs d'amende et à des réparations civiles.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
1) Sur l'action publique :
Attendu qu'aux termes de l'article 2.6° de la loi du 20 juillet 1988 sont, à l'exclusion de ceux visés à l'article 29.13° de ladite loi, amnistiés les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lorsque, comme en l'espèce, ils sont antérieurs au 22 mai 1988 ; qu'ainsi l'action publique s'est trouvée éteinte à l'égard du prévenu dès la publication de la loi du 20 juillet 1988 ;
Que toutefois l'amnistie ne préjudicie pas aux droits des tiers ;
2) Sur l'action civile :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23, 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 modifiée, 63 du Code pénal, 406 et suivants et 475, 593 du Code de procédure pénale et 1382 du Code civil :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré X... coupable du délit de diffamation et l'a condamné à une amende de 5 000 francs, à 8 000 francs de dommages-intérêts et à la publication du dispositif de la décision ;
" aux motifs que la publicité, élément constitutif du délit, était réalisée dès lors que X... avait adressé une lettre contenant des imputations diffamatoires au maire et aux conseillers municipaux de Graulhet et ne faisait pas partie de cette assemblée, que la lettre et son contenu avaient été évoqués au cours d'une séance du conseil municipal, que la presse en avait fait état et que cette publicité, enfin, avait été voulue par l'auteur de la lettre ;
" alors, d'une part, que l'envoi d'une lettre privée aux membres d'un groupement liés par une communauté d'intérêts, ne réalise pas la publicité requise par la loi et cela même si l'auteur de la lettre n'appartient pas au groupement en cause ; que, dans ces conditions, en considérant que la lettre incriminée constituait une diffamation publique puisque X... n'était pas membre du conseil municipal, l'arrêt attaqué n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, d'autre part, que le délit n'est constitué que si l'imputation diffamatoire elle-même est portée à la connaissance du public ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la presse n'a révélé aucun des faits mentionnés dans la lettre incriminée ; qu'il n'est pas davantage constaté qu'ils l'aient été lors de la séance du conseil municipal le 6 mars 1987, séance dont on ne sait si elle a été publique, et au cours de laquelle la lettre et son contenu ont été simplement évoqués, sans qu'il soit établi que les faits eux-mêmes aient été portés à la connaissance du public ; qu'ainsi la publicité requise par la loi n'est pas légalement constatée ;
" et, alors, enfin, qu'il faut que la publicité soit volontaire et intentionnelle de la part de l'auteur de la diffamation ou, lorsqu'elle est réalisée par un tiers, qu'elle soit inséparablement et de façon certaine attachée à l'expression du fait diffamatoire ; que tel n'était pas le cas de l'envoi d'une lettre privée aux membres du conseil municipal, la publication de cette lettre, même eu égard aux circonstances relevées par l'arrêt attaqué, étant une possibilité et nullement une nécessité et une certitude et n'étant pas inséparablement liée à l'expression du fait diffamatoire ; que l'arrêt attaqué ne constate pas valablement un des éléments constitutifs du délit et manque ainsi de base légale " ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué qu'à la suite de la distribution d'une lettre dite " lettre ouverte au maire de Graulhet ", reprochant à ce magistrat municipal d'avoir, pour refuser la création d'un musée municipal du cuir, utilisé tous les moyens, fussent-ils illégaux et insinuant qu'à cette occasion il aurait décidé de remettre en vigueur les lois d'exception raciales du gouvernement de Vichy, X..., auteur de la lettre, a été cité devant le tribunal correctionnel sous la prévention de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public en application des articles 23, 29, 31 de la loi du 29 juillet 1881, à la requête de Y..., maire de ladite commune ;
Que, pour déclarer établi l'élément de publicité constitutif du délit, les juges énoncent, entre autres motifs, que la " lettre ouverte " contenant les imputations diffamatoires à l'égard du maire a été expédiée, sous pli fermé, à celui-ci en particulier et simultanément à tous les conseillers municipaux de la localité sans distinction de leur appartenance politique, que la jurisprudence invoquée par le prévenu et relative aux écrits destinés aux membres des groupements de personnes liées par une communauté d'intérêt n'est pas applicable en l'espèce, dans la mesure où l'expéditeur, ne faisant pas partie du conseil municipal, a voulu et recherché une certaine diffusion de ses imputations ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, abstraction faite des autres motifs surabondants, la cour d'appel a donné une base légale à sa décision ;
Qu'en effet, la distribution d'un écrit ou d'un imprimé à diverses personnes suffit à constituer la publicité au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'il en est ainsi d'un écrit, qualifié lettre ouverte, adressé à chacun des élus municipaux chargés de l'administration des affaires de la commune et visant le maire à raison de sa qualité et des actes de sa fonction ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
DECLARE l'action publique éteinte ;
REJETTE le pourvoi pour le surplus.