(NOTA : Les moyens sont reproduits en annexe.) .
Sur les premier et deuxième moyens réunis :
Vu les articles 5 et 40 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que, si le titre d'un journal ou d'un de ses articles est protégé comme l'oeuvre elle-même, l'édition à des fins documentaires, par quelque moyen que ce soit, d'un index comportant la mention de ces titres en vue d'identifier les oeuvres répertoriées ne porte pas atteinte au droit exclusif d'exploitation par l'auteur ;
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, la société Microfor a publié à partir du mois de mai 1978, sous le titre " France-Actualités ", un " index de la presse écrite française " qui portait en particulier sur une partie des articles du " Monde " et sur la totalité de ceux du " Monde diplomatique " ; que cet index, constitué par des procédés informatiques, était diffusé sous la forme d'un répertoire imprimé présenté en deux sections, l'une, dite " analytique ", composée de " mots-clés " comportant le titre du ou des articles concernés, ainsi que des références bibliographiques précises, et l'autre, dite " chronologique ", qui comprenait un " résumé signalétique " formé exclusivement d'une ou plusieurs phrases extraites de chaque article ; que la société Le Monde a assigné la société Microfor pour qu'il lui fût fait défense d'insérer dans quelque index que ce fût des références aux articles parus dans " Le Monde " et " Le Monde diplomatique " ;
Attendu que, pour faire droit à cette demande, la cour d'appel a retenu, d'une part, que la fabrication et la vente d'un inventaire méthodique des articles parus dans un organe de presse faisaient normalement partie de l'activité commerciale de l'entreprise éditrice de ce journal dont le profit qu'elle pouvait attendre du monopole d'exploitation attaché à son droit d'auteur était diminué du fait de la publication d'un tel index par un tiers, et, d'autre part, qu'était illicite la reproduction sans autorisation des titres du " Monde " et du " Monde diplomatique ", qui revêtaient une originalité les rendant protégeables en eux-mêmes, ainsi que des titres de leurs articles, lesquels avaient, " dans l'ensemble ", des caractéristiques également originales et leur conférant la même protection ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur la première branche du troisième moyen :
Vu l'article 41 de la loi du 11 mars 1957 ;
Attendu que, lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source, les courtes citations justifiées par le caractère d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;
Attendu que, pour décider que les " résumés signalétiques " insérés dans l'index ne pouvaient tenir lieu de courtes citations permises sans le consentement de l'auteur, l'arrêt retient que ces " résumés " ne sont pas incorporés dans une oeuvre au sens dudit article ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que les " résumés ", constitués uniquement de courtes citations de l'oeuvre ne dispensant pas le lecteur de recourir à celle-ci, étaient indissociables de la " section analytique " de la publication par le jeu de renvois figurant dans cette section, et que cet ensemble avait le caractère d'une oeuvre d'information, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Sur le quatrième moyen :
Vu l'article 6 de la loi du 11 mars 1957, ensemble l'article 41 de ladite loi ;
Attendu que la violation du droit de l'auteur au respect de son oeuvre implique une altération de celle-ci ;
Attendu que, pour décider que les extraits des articles cités dans l'index constituaient des mutilations et des altérations, la cour d'appel a retenu que ces extraits donnaient une idée toujours incomplète et le plus souvent déformée tant de chaque article que de l'ensemble du journal ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cet index était, par nature, exclusif d'un exposé complet du contenu de l'oeuvre et qu'aucune erreur n'avait été relevée dans les citations, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du troisième moyen :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 18 décembre 1985 entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon
Moyens annexés à l'arrêt n° 285 (assemblée plénière).
Moyens produits par la société civile professionnelle Waquet, avocat pour la société Microfor .
Premier moyen :
" Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Microfor Inc. ne pourra insérer dans l'index qu'elle publie sous le titre " France-Actualités " des références aux articles parus dans les journaux " Le Monde " et " Le Monde diplomatique " ; aux motifs que les titres " Le Monde " et " Le Monde diplomatique " revêtent une originalité qui les rend protégeables en eux-mêmes au même titre que l'oeuvre collective qu'ils annoncent ; que les titres des articles sont, dans l'ensemble, sobres, condensés et néanmoins explicites dans le ton particulier qui a concouru avec d'autres éléments caractéristiques à la réputation du quotidien et révèlent de ce fait une originalité qui leur confère la protection de l'article 5, § 1, de la loi du 11 mars 1957 ; que la reproduction des uns et des autres sans l'autorisation de la société " Le Monde " est illicite, alors que le titre d'un journal ou d'un article de journal est protégé non pas en tant qu'oeuvre de l'esprit, mais pour garantir à l'oeuvre son identité, et que cette protection est donc limitée au seul domaine des titres eux-mêmes ; que la reproduction de ces titres dans tout autre domaine est licite, nonobstant l'accord de la personne investie du droit d'auteur sur le journal ou sur l'article, et notamment pour citer l'existence de l'article ou du journal considéré ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 5 de la loi du 11 mars 1957 ".
Deuxième moyen :
" Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Microfor Inc. ne pourra insérer dans l'index qu'elle publie sous le titre " France-Actualités " des références aux articles parus dans les journaux " Le Monde " et " Le Monde diplomatique ", aux motifs que la fabrication et la vente d'un inventaire méthodique des articles parus dans un organe de presse font normalement partie de l'activité commerciale de l'entreprise éditrice de ce journal ; que l'apparition sur le marché de tout autre inventaire entraîne corrélativement une diminution certaine du profit que cette entreprise peut attendre du monopole d'exploitation attaché à son droit d'auteur, alors que, d'une part, l'édition par quelque moyen que ce soit d'un index ou d'un répertoire d'oeuvres, notamment d'articles de journaux, ne constitue pas une modalité d'exercice du droit de divulgation de l'oeuvre mais bien une oeuvre entièrement nouvelle, et n'appartient donc pas exclusivement à l'auteur des oeuvres répertoriées ; qu'en accordant cette faculté au seul auteur du journal dont les articles sont répertoriés l'arrêt attaqué a violé l'article 19 de la loi du 11 mars 1957, alors que, d'autre part, l'article 40 de la loi du 11 mars 1957 n'est pas applicable à l'édition, par quelque moyen que ce soit, d'un index d'articles de journaux, permettant de les répertorier sous des mots-clefs ni à l'analyse purement signalétique réalisée dans un but documentaire, exclusive d'un exposé substantiel du contenu de l'oeuvre et ne dispensant pas le lecteur de recourir à l'oeuvre elle-même ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé ledit texte ".
Troisième moyen :
" Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Microfor Inc. ne pourra insérer dans l'index qu'elle publie sous le titre " France-Actualités " des références aux articles parus dans les journaux " Le Monde " et " Le Monde diplomatique " aux motifs que les " résumés signalétiques " de l'index sont obtenus par raccordement de fragments de l'article répertorié et non par une opération intellectuelle d'analyse ; qu'ils ne peuvent tenir lieu de courtes citations, à défaut d'oeuvre citante, car si l'on supprime les titres, les extraits et les mentions de la source et du nom de l'auteur, il ne reste qu'une table des matières sans matière et quelques banales indications devenues sans objet, ce qui ne saurait passer pour une oeuvre à caractère pédagogique, scientifique ou d'information ; que le banal classement par ordre simplement chronologique de ces extraits, mêlés à ceux analogues de quatre autres journaux ne répond pas davantage à ce critère ; que " France-Actualités " ne constitue pas une revue de presse, laquelle suppose nécessairement la présentation conjointe et comparative, qu'on ne retrouve nullement dans cet index, de divers commentaires émanant de journalistes différents et concernant un même thème ou un même événement ; que la société Microfor n'offre d'ailleurs pas à la société Le Monde la réciprocité qui explique et justifie cette exception puisque son index ne diffuse aucune information et n'exprime aucune opinion autre que celles contenues dans les articles qui y sont répertoriés, alors que, d'une part, la réunion et le classement sous des mots-clefs, sans commentaire ou développement personnel de l'auteur, dans un but d'information et de documentation, de références à des oeuvres préexistantes et notamment d'articles de divers journaux, constituent une oeuvre seconde dans laquelle peuvent être incorporées des analyses ou des courtes citations des oeuvres citées ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 41 de la loi du 11 mars 1957, alors que, d'autre part, le classement d'oeuvres préexistantes sous des mots-clefs choisis par l'auteur de l'oeuvre seconde, et le choix par ce dernier de courtes citations révélatrices des oeuvres constituent une analyse justifiée par le but d'information de l'oeuvre seconde ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a derechef violé l'article 41 de la loi du 11 mars 1957, alors, enfin, que la revue de presse ne suppose pas nécessairement ni la présentation conjointe et comparative de divers commentaires émanant de journalistes différents sur un même thème, ni aucune condition de réciprocité, ni l'expression par l'auteur de la revue de presse d'une opinion personnelle ; que le seul fait, constaté par l'arrêt de regrouper sous des mots-clefs constitutifs de thèmes, divers articles de plusieurs publications, constitue une revue de presse ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé derechef l'article 41 de la loi du 11 mars 1957 ".
Quatrième moyen :
" Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Microfor Inc. ne pourra insérer dans l'index qu'elle publie sous le titre " France-Actualités " des références aux articles parus dans les journaux " Le Monde " et " Le Monde diplomatique ", aux motifs qu'un examen comparatif d'un numéro du Monde et des notices de " France-Actualités " qui s'y rapportent permet de constater que les " résumés signalétiques " donnent une idée toujours incomplète et le plus souvent déformée tant de chaque article que de l'ensemble du journal ; que ces mutilations et altérations portent atteinte au droit moral de l'auteur, alors que l'auteur d'une banque de données d'informations dispose du choix des thèmes sur lesquels il réunit les informations ; que le choix opéré dans les articles d'un journal ou au sein de chaque article en vue de recueillir les informations relatives à tel ou tel thème trouvé dans l'oeuvre seconde, sans prétendre se substituer au journal lui-même ni dispenser le lecteur de s'y référer, loin d'être constitutif d'une atteinte au droit moral de l'auteur du journal n'est que l'expression du libre choix de l'auteur de l'oeuvre seconde ; qu'ainsi l'arrêt attaqué a violé l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 ".