REJET du pourvoi formé par :
- X... Louis, partie civile,
contre un arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble du 30 septembre 1986 qui a déclaré l'incompétence du juge d'instruction pour informer sur la plainte déposée par lui contre André S... du chef de diffamation publique envers citoyen chargé de mandats publics.
LA COUR,
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Vu l'article 575, alinéa 2, 4° du Code de procédure pénale, ensemble l'article 58 de la loi du 29 juillet 1881 en vertu desquels le pourvoi est recevable ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 66 de la Constitution du 4 octobre 1958, 575 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré qu'en application de l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958, la juridiction saisie était incompétente ;
" au motif qu'en vertu des dispositions de l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958, les membres du Gouvernement, en cas de crime ou de délit commis dans l'exercice de leurs fonctions, sont poursuivis et jugés dans les conditions et suivant les formes de procédure applicables à la mise en accusation et au jugement du Président de la République en cas de haute trahison ;
" qu'en l'espèce, les propos incriminés ont été tenus par André Y... secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé des rapatriés, au cours d'une émission radiophonique à laquelle il participait en cette qualité ;
" qu'il résulte du procès-verbal de l'émission qu'il s'est exprimé tant au sujet de l'affaire du Carrefour du développement que de celle de l'ONASEC, réunissant ces deux affaires de détournement de fonds publics autour du même propos ;
" qu'en sa qualité de secrétaire d'Etat, chargé des rapatriés, il avait la responsabilité de la destination des fonds attribués à l'ONASEC, qu'ainsi les imputations visées dans la plainte ne sauraient être articulées par André Y..., en dehors de l'exercice de ses fonctions ministérielles ;
" alors que le privilège de juridiction institué par l'article 68 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne peut être invoqué qu'à l'occasion de crime ou délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, ce qui suppose dans le cas précis de la diffamation que les propos imputés à un membre du Gouvernement concernent soit ses propres attributions, soit la vie politique du pays à la conduite de laquelle il participe, ce qui n'est manifestement pas le cas d'une information pénale qui, étant couverte par le secret de l'instruction, ne peut en aucune manière être considérée comme intéressant la vie publique et politique et qui, de surcroît en l'espèce, a trait à des détournements portant sur des fonds dont la gestion ne relevait pas du secrétariat aux rapatriés ;
" que dès lors, en proférant des accusations diffamatoires à l'encontre de Louis X..., à propos de l'affaire du Carrefour du développement qui, en l'état de la procédure ne peut intéresser la vie publique et qui, par ailleurs, est étrangère aux attributions d'André Y..., ce dernier ne saurait être considéré comme ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, la circonstance relevée par l'arrêt attaqué que Y... ait cru devoir relier l'affaire du Carrefour du développement à une utilisation prétendument abusive de fonds destinés à un organisme d'aide aux harkis étant à cet égard insusceptible d'avoir une quelconque incidence " ;
Attendu que de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure il ressort que, le 25 juillet 1986, Louis X..., conseiller général, maire de Vienne et député de l'Isère, a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé de mandats publics contre André Y..., secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé des rapatriés, en raison des propos tenus par ce dernier lors d'une émission radiophonique intitulée " parlons vrai ", diffusée le 24 juin 1986 par la station " Europe 1 ", au cours de laquelle, suivant le plaignant, Y..., l'aurait qualifié de coquin, lui aurait imputé d'être impliqué dans l'affaire " Carrefour du développement " et d'être mêlé à une utilisation abusive des fonds de l'ONASEC ;
Attendu que pour déclarer la juridiction d'instruction incompétente la chambre d'accusation énonce que " les propos incriminés ont été tenus par André Y..., secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé des rapatriés, au cours d'une émission radiophonique à laquelle il participait en cette qualité ; qu'il résulte du procès-verbal de l'émission qu'il s'est exprimé tant au sujet de l'affaire du " Carrefour du développement " que de celle de l'ONASEC, réunissant ces deux affaires de détournement de fonds publics autour du même propos alors qu'en sa qualité de secrétaire d'Etat chargé des rapatriés il avait la responsabilité de la destination des fonds attribués à l'ONASEC, organisme de l'aide aux rapatriés que sont les harkis " ; que les juges en déduisent que les imputations visées dans la plainte ne sauraient être considérées comme articulées par Y..., en dehors de l'exercice de ses fonctions ministérielles ;
Attendu qu'en cet état l'arrêt attaqué a fait l'exacte application de la loi ;
Qu'en effet, d'une part, un secrétaire d'Etat qui fait en cette qualité une déclaration relative à l'emploi de fonds publics dont l'attribution de certains relèvent d'ailleurs de son département ministériel et dont le Gouvernement a dans sa mission de vérifier l'utilisation aux fins prévues, se trouve dans l'exercice de ses fonctions ;
Que, d'autre part, il résulte de la combinaison des alinéas 1er et 2 de l'article 68 de la Constitution que les membres du Gouvernement, en cas de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, sont poursuivis et jugés dans les conditions et suivant les formes de procédure applicables à la mise en accusation et au jugement du Président de la République en cas de haute trahison ; que, dès lors, en pareilles circonstances un secrétaire d'Etat ne peut être mis en accusation qu'en vertu d'une décision prise par les deux assemblées législatives et ne peut être jugé que par la Haute Cour de justice ; que ces dispositions, qui s'appliquent à toutes les infractions criminelles ou délictuelles dont aurait pu se rendre coupable un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions, excluent, pour le ministère public et les particuliers, la possibilité de mettre en mouvement l'action publique et d'en saisir les juridictions répressives de droit commun ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.