LA COUR DE CASSATION, statuant en Assemblée plénière, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par l'UNION FRANCAISE DE BANQUES, société anonyme dont le siège est à Paris (16ème), ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 4 novembre 1982 par la Cour d'appel de Lyon (Audience solennelle), au profit :
1°) de l'A.S.S.E.D.I.C. DOUBS-JURA, dont le siège est ...,
2°) de l'ASSOCIATION POUR LA GESTION DU REGIME D'ASSURANCE DES SALARIES A.G.S., dont le siège est à Paris (8ème), ...,
3°) de M. le DIRECTEUR GENERAL DES IMPOTS, dont le bureau est situé à Paris (1er), ..., représenté par M. le Directeur des Services Fiscaux du Jura, Hôtel des Impôts, ...,
4°) de M. Maurice X..., administrateur syndic, demeurant à Saint-Claude (Jura), 12 rue A. Lançon, pris en qualité de syndic de la liquidation des biens de la société à responsabilité limitée BATIMENT ET TRAVAUX PUBLICS GIRARD, NOEL, ROCH (G.N.R.),
défendeurs à la cassation.
L'Union Française de Banques s'est pourvue en cassation contre un arrêt de la Cour d'appel de Besançon en date du 6 juillet 1979 rendu au profit du Directeur général des Impôts.
Cet arrêt ayant été cassé par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation à la date du 4 mai 1981, la cause et les parties ont été renvoyées devant la Cour d'appel de Lyon, qui, par arrêt du 4 novembre 1982, prononçant dans la même affaire et entre les mêmes parties, s'est fondée sur des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de la Cour de Cassation.
L'Union Française des Banques s'est pourvue en cassation contre cet arrêt du 4 novembre 1982 en formulant un moyen unique identique à celui invoqué dans son premier pourvoi contre l'arrêt de la Cour d'appel de Besançon. M. le Premier Président de la Cour de Cassation, par ordonnance du 13 décembre 1983, a renvoyé la cause et les parties devant l'Assemblée plénière.
Le moyen unique invoqué devant cette assemblée est ainsi conçu :
"Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté l'exposante, créancier nanti sur matériel d'équipement professionnel, de sa demande d'attribution du bien gagé en paiement de sa créance, dans les conditions prévues par l'article 2078 du Code civil,
Aux motifs que l'article 8 de la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds de commerce, applicable par renvoi de l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 18 janvier 1951, interdit au créancier nanti de se faire attribuer le gage en paiement ; que l'article 9 de la loi du 18 janvier 1951, selon lequel le privilège des frais de justice, le privilège des frais faits pour la conservation de la chose, et le superprivilège des salariés, empêche ce créancier d'invoquer le bénéfice de l'article 2078 du Code civil ; que la volonté exprimée par le législateur, en permettant aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce de faire ordonner la vente globale de tous ses éléments, d'en éviter le démantèlement, exclut l'attribution au créancier nanti du bien engagé ;
Alors qu'à défaut de disposition législative contraire, l'attribution judiciaire du gage qui, étant exclusive de la vente du bien nanti, ne saurait dépendre, ni des règles concernant l'ordre dans lequel s'exercent les divers privilèges, ni de la procédure instituée pour provoquer la vente globable de tous les éléments du fonds de commerce, est offerte à tout créancier titulaire d'un nantissement sur outillage et matériel d'équipement ; qu'en refusant à un tel créancier l'exercice de cette faculté, la Cour d'appel a violé, par refus d'application, l'article 2078 du Code civil".
Ce moyen a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de Cassation par la société civile professionnelle Labbé et Delaporte, avocat de l'Union Française de Banques.
Sur quoi, LA COUR, en l'audience publique de ce jour,
Donne défaut contre M. X..., ès qualités de syndic de la liquidation des biens de la société "Bâtiments et Travaux Publics Girard, Noël et Roch" ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2078 du Code civil ;
Attendu que le créancier gagiste peut, à défaut de payement, faire ordonner en justice que le bien grevé lui soit attribué jusqu'à due concurrence ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation, que l'Union Française de Banques (U.F.B.) a consenti un prêt à la société Bâtiments et Travaux Publics Girard, Noël et Roch (G.N.R.) pour lui permettre l'achat d'une grue et a obtenu en garantie de sa créance, un nantissement sur cette machine ; que la société G.N.R. ayant été mise en liquidation des biens, l'U.F.B. a engagé contre le syndic une action tendant à ce que le matériel lui soit attribué en payement de sa créance et jusqu'à due concurrence ; que le Directeur général des Impôts, l'A.S.S.E.D.I.C. du Doubs et du Jura et l'association pour la gestion du régime d'assurance des salariés sont intervenus à l'instance ;
Attendu que, pour débouter l'U.F.B. de sa demande, l'arrêt attaqué retient que le nantissement de l'outillage et du matériel d'équipement prévu par la loi du 18 janvier 1951 est soumis, si l'acquéreur est un commerçant, aux règles édictées par la loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement du fonds de commerce, dont l'article 8, alinéa 2, interdit au créancier gagiste de se faire attribuer le fonds en paiement, que l'article 9 de la loi du 18 janvier 1951, selon lequel le créancier nanti est exposé à subir le droit de préférence des créanciers titulaires d'un privilège préférable au sein, l'empêche d'invoquer l'application de l'article 2078 du Code civil et qu'enfin l'article 14 de la même loi, qui dispose que le créancier nanti poursuivant la réalisation du bien grevé doit se conformer aux règles édictées par l'article 20 de la loi du 17 mars 1909 qui organise la procédure de mise en vente du fonds de commerce en tous ses éléments lorsque la vente d'un seul est poursuivie, révèle la volonté du législateur d'éviter le démantèlement du fonds de commerce ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à défaut de disposition contraire, l'attribution judiciaire du gage est offerte au créancier titulaire d'un nantissement sur outillage et matériel d'équipement, qui ne poursuit pas la réalisation du bien grevé, la Cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE l'arrêt rendu, entre les parties, le 4 novembre 1982, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état où elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en la Chambre du conseil ;