La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/07/2025 | FRANCE | N°24VE00797

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 08 juillet 2025, 24VE00797


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Faurecia Automotive Composites a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 8 janvier 2021 rejetant son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail du 10 juillet 2020 refusant de lui accorder l'autorisation de licencier M. A..., de statuer à nouveau et d'autoriser le licenciement de M. A... et de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de

1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Faurecia Automotive Composites a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion du 8 janvier 2021 rejetant son recours hiérarchique dirigé contre la décision de l'inspecteur du travail du 10 juillet 2020 refusant de lui accorder l'autorisation de licencier M. A..., de statuer à nouveau et d'autoriser le licenciement de M. A... et de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100774 du 25 janvier 2024, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés respectivement les 22 mars 2024 et 11 juillet 2024, la société Faurecia Automotive Composites, représentée par Me Six, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions des 10 juillet 2020 et 8 janvier 2021 ;

3°) d'autoriser le licenciement de M. A... ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la cour devra se déclarer incompétente au profit des juridictions de l'ordre judiciaire pour se prononcer sur les allégations de harcèlement moral formulées par M. A... ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant qu'elle a manqué à son obligation de reclassement ;

- la décision du ministre est insuffisamment motivée ;

- le ministre du travail a commis des erreurs en appliquant une disposition légale relative aux accidents et maladies professionnelles qui n'a pas vocation à s'appliquer à l'inaptitude de M. A... dans la mesure où ce dernier a fait l'objet d'une inaptitude non professionnelle et en toute hypothèse en faisant une application erronée de cet article et en lui ajoutant une obligation au titre du reclassement du salarié déclaré inapte, obligation qui n'existe dans aucun texte légal ou règlementaire ;

- elle a respecté l'ensemble de ses obligations dans le cadre de la procédure menée suite au constat de l'inaptitude physique de M. A... à son poste et de l'impossibilité de le reclasser ;

- elle a respecté les préconisations du médecin du travail ;

- une recherche sérieuse et loyale de reclassement a été menée ;

- M. A... a été informé par écrit avant son entretien préalable des motifs s'opposant à son reclassement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 juin 2024 et 27 janvier 2025, M. B... A..., représenté par Me Pirès, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Etienvre,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Six, représentant la société Faurecia Automotive Composites désormais dénommée Compositec.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... occupe un poste d'agent d'amélioration continue-cariste depuis le 15 janvier 2017 au sein de la société Faurecia Automotive Composites. Il exerce son activité au sein de l'établissement situé à Thiellay dans le Loir-et-Cher. Après plusieurs périodes d'arrêt maladie, M. A... a été reçu par le médecin du travail dans le cadre d'une visite de reprise. Par un avis du 5 août 2019, ce dernier a estimé que M. A... était inapte à l'exercice de son poste mais apte à un autre poste adapté à son handicap. Le 16 mars 2020, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude. Le comité social et économique (CSE) a été consulté les 12 février et 14 mai 2020. La société Faurecia Automotive Composites a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de procéder au licenciement de M. A... pour inaptitude par courrier du 3 juin 2020, M. A... étant protégé au titre de ses mandats de membre suppléant du Comité Social et Economique de l'établissement de Theillay et de membre de la Commission Santé, Sécurité et Conditions de travail. Par une décision du 10 juillet 2020, l'inspecteur du travail a refusé cette autorisation au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. La société a alors formé un recours hiérarchique auprès de la ministre du travail qui a été rejeté par la décision attaquée du 8 janvier 2021. La société Faurecia Automotive Composites relève appel du jugement du 25 janvier 2024 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. Dans le cadre de l'effet dévolutif, le juge d'appel se prononce, non sur les motifs du jugement de première instance, mais sur les moyens mettant en cause la légalité des décisions contestées. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit qu'auraient commise les premiers juges est inopérant.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant de la légalité de la décision de l'inspecteur du travail :

3. Il ressort des pièces du dossier que l'inspecteur du travail a refusé d'accorder l'autorisation de licencier M. A... au motif que la société Faurecia Automotive Composites ne justifiait pas avoir satisfait aux exigences en matière de reclassement des travailleurs handicapés dans la mesure où elle ne démontrait pas avoir effectué des démarches telles que préconisées par l'article L. 5213-3 du code du travail, comme la proposition de stages, la conclusion d'un contrat de réadaptation professionnelle ou la mise en œuvre d'une formation professionnelle.

4. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ". Aux termes de l'article L. 5213-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Tout travailleur handicapé peut bénéficier d'une réadaptation, d'une rééducation ou d'une formation professionnelle. ". Aux termes de l'article L. 5213-5 de ce même code : " Tout établissement ou groupe d'établissements appartenant à une même activité professionnelle de plus de cinq mille salariés assure, après avis médical, le ré-entraînement au travail et la rééducation professionnelle de ses salariés malades et blessés. ". Aux termes de l'article L. 5213-6 de ce code dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L. 5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. L'employeur s'assure que les logiciels installés sur le poste de travail des personnes handicapées et nécessaires à leur exercice professionnel sont accessibles. Il s'assure également que le poste de travail des personnes handicapées est accessible en télétravail. Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3. ".

5. Dans le cas où la demande de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'administration de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions de l'article L. 1226-2 et des articles suivants du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. Le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. Lorsqu'après son constat d'inaptitude, le médecin du travail apporte des précisions quant aux possibilités de reclassement du salarié, ses préconisations peuvent, s'il y a lieu, être prises en compte pour apprécier le caractère sérieux de la recherche de reclassement de l'employeur. Lorsque l'employeur a connaissance de ce que le salarié a la qualité de travailleur handicapé, il appartient à l'autorité administrative de vérifier que l'employeur auquel incombe, en application des dispositions précitées de l'article L. 5213-6 du code du travail, de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre à un travailleur handicapé de conserver un emploi correspondant à sa qualification, a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d'adaptation.

6. Dans un avis du 5 août 2019, le médecin du travail a déclaré M. A... inapte au poste qu'il occupait mais apte à un poste non cadencé, contreindiquant le port de charges de plus de dix kilogrammes ainsi que l'exposition à une chaleur supérieure à 25° Celsius. Il a proposé de favoriser un travail de type administratif précisant que M. A... était apte à " un poste bureautique après formation informatique spécifique par exemple pour obtenir un certificat TOSA ou un autre poste respectant les restrictions ci-dessus après formation spécifique ". Il a préconisé, enfin, une reprise du travail à temps partiel thérapeutique à raison de 50 % du temps plein pendant un mois et une nouvelle visite à l'issue de ce délai.

7. La société requérante persiste, en appel, à soutenir qu'elle a satisfait à ses obligations de reclassement dès lors qu'aucun poste de type administratif, bureautique ou autre n'a pu être trouvé, ni en son sein, ni au sein du groupe Faurecia ou du groupe PSA et se prévaut, pour en justifier, du mail établi le 20 septembre 2019 par sa responsable ressources humaines, Mme C..., à l'attention des sociétés du groupe Faurecia ou du groupe PSA.

8. Toutefois, il ressort tant de ce courrier que des réponses faites à celui-ci qu'aucune réflexion n'a été menée quant à la possibilité d'aménager des postes pour permettre de les proposer à M. A.... La société requérante ne justifie pas davantage qu'elle a effectué en son sein des recherches relativement aux possibles mutation ou transformation de poste de travail, se contentant de faire valoir l'actuel manque de poste disponible. Il ressort du compte-rendu de la réunion du CSE du 12 février 2020 que l'entreprise s'en est tenue aux postes ouverts au recrutement dans son analyse et, dans un contexte économique tendu, n'a envisagé aucune modification de sa structure. Les échanges avec l'inspecteur du travail évoquent même une incompatibilité du poste actuel avec des fonctions de type administratif alors même qu'il appartenait à l'entreprise d'assurer, dans les limites d'une formation d'adaptation, à son salarié la réorientation préconisée par le médecin du travail. Aucun registre du personnel n'est produit pour attester de l'impossibilité de trouver un emploi accessible par une simple formation d'adaptation et la recherche de poste s'est visiblement achevée en novembre 2019 alors que l'inspection du travail n'a été saisie qu'en juin 2020. La société requérante prétend également toujours que M. A... aurait refusé de conclure un contrat de réadaptation professionnelle proposé par le service Cap-Emploi Sameth, mais comme l'a relevé le tribunal, elle ne justifie aucunement de ce refus. Enfin, quant au bilan de compétences demandé par M. A... lui-même, cette circonstance demeure sans incidence sur le non-respect par la société de ses obligations spécifiques en matière de reclassement. Par suite, la société Faurecia Automotive Composites n'est pas fondée à soutenir que l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation.

S'agissant de la légalité de la décision du ministre :

9. Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, les moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision. Ainsi, d'une part, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation qui entacherait la décision de la ministre chargée du travail est inopérant et ne peut qu'être écarté. D'autre part, comme exposé précédemment, le motif de refus retenu par l'inspecteur du travail étant fondé, il n'y a pas lieu d'examiner le bien-fondé des nouveaux motifs avancés par la ministre chargée du travail. Il s'ensuit que la société Faurecia Automotive Composites n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation.

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Faurecia Automotive Composites d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Faurecia Automotive Composites doit être rejetée.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Faurecia Automotive Composites est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Faurecia Automotive Composites dénommée désormais Compositec, à M. B... A... et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience du 24 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juillet 2025.

Le président-assesseur,

J-E. PilvenLe président-rapporteur,

F. Etienvre

La greffière,

S. Diabouga

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 24VE00797 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24VE00797
Date de la décision : 08/07/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. ETIENVRE
Rapporteur ?: M. Franck ETIENVRE
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : SIX

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-08;24ve00797 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award