Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Bio-Rad a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 10 juillet 2019 par laquelle le préfet du Val-d'Oise l'a assujettie à l'obligation de revitalisation prévue au titre de l'article L. 1233-84 du code du travail.
Par un jugement n° 1912768 du 15 décembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la requête de la société Bio-Rad.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 15 février 2023 et le 26 août 2023, la société Bio-Rad, représentée par Me Child, de la société d'avocats Deloitte, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 10 juillet 2019 ainsi que celle du 13 septembre 2019 portant rejet de son recours gracieux formé le 5 août 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué, qui omet de répondre au moyen soulevé à l'encontre de la décision d'assujettissement à l'obligation de revitalisation selon lequel le plan de sauvegarde de l'emploi contenait des mesures de nature à limiter les conséquences négatives sur l'emploi et qui ne répond pas de façon suffisamment précise aux autres moyens, est entaché d'irrégularité ;
- la décision attaquée est illégale en ce que le préfet a commis une erreur de fait et une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le licenciement économique réalisé par la société Bio-Rad ne répond pas aux critères fixés par les articles L. 1233-84 et D. 1233-38 du code du travail ;
- l'impact des licenciements a été mal apprécié dès lors que seuls six salariés sont restés sans solution au terme des congés de reclassement ; seuls les licenciements réellement intervenus doivent être pris en compte et ces suppressions d'emplois n'ont pas été de nature à affecter par leur ampleur l'équilibre du bassin d'emploi du Val-d'Oise.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement attaqué répond à tous les moyens soulevés à l'encontre de la décision d'assujettissement à l'obligation de revitalisation ;
- le préfet n'a pas commis d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que le licenciement économique réalisé par la société Bio-Rad répond aux critères fixés par les articles L. 1233-84 et D. 1233-38 du code du travail.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Henderson, pour la société Bio-Rad.
Considérant ce qui suit :
1. La société Bio-Rad exploitait un établissement situé à Boissy-l'Aillerie, au sein duquel elle fabriquait des composants en plastique destinés à l'industrie pharmaceutique. Elle a présenté un projet de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) prévoyant la suppression de l'ensemble des trente-trois postes de cet établissement, qui a été homologué le 13 juin 2019. Le 10 juillet 2019, le préfet du Val-d'Oise, après l'avoir invitée à présenter ses observations, l'a assujettie à ce titre à l'obligation de revitalisation, prévue par l'article L. 1233-84 du code du travail. La société a formé un recours gracieux contre cette décision, qui a été rejeté le 13 septembre 2019. La société Bio-Rad relève appel du jugement du 15 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et du rejet de son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. D'une part, la société requérante soutient que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de ce que la décision d'assujettissement à l'obligation de revitalisation serait illégale au motif que le préfet n'aurait pas tenu compte de ce que le PSE contenait des mesures de nature à limiter les conséquences négatives sur l'emploi. Il ressort toutefois des écritures de première instance qu'il ne s'agissait que d'un argument à l'appui du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation et de l'erreur de droit dans l'évaluation des conséquences du licenciement collectif sur le bassin d'emploi. Le tribunal administratif n'a donc pas omis de se prononcer sur un moyen soulevé par la société requérante.
4. D'autre part, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu de façon suffisamment précise et circonstanciée aux moyens soulevés par la société Bio-Rad, et notamment à celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation des conséquences du licenciement collectif sur le bassin d'emploi. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé et, par suite, entaché d'irrégularité, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 1233-84 du code du travail : " Lorsqu'elles procèdent à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi dans lesquels elles sont implantées, les entreprises mentionnées à l'article L. 1233-71 sont tenues de contribuer à la création d'activités et au développement des emplois et d'atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d'emploi. ". Aux termes de l'article D. 1233-38 du même code : " Lorsqu'une entreprise mentionnée à l'article L. 1233- 71 procède à un licenciement collectif ou à une rupture conventionnelle collective mentionnée à l'article L. 1237-19, le ou les préfets dans le ou les départements du ou des bassins d'emploi concernés lui indiquent, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision administrative de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4 (...) après avoir recueilli ses observations, si elle est soumise à l'obligation de revitalisation des bassins d'emploi instituée aux articles L. 1233-84 et L. 1237-19-9. / A cet effet, ils apprécient si le licenciement ou la rupture conventionnelle collective affectent, par leur ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi concernés en tenant notamment compte du nombre et des caractéristiques des emplois susceptibles d'être supprimés, du taux de chômage et des caractéristiques socio-économiques du ou des bassins d'emploi et des effets du licenciement ou de la rupture conventionnelle collective sur les autres entreprises de ce ou ces bassins d'emploi ".
6. En premier lieu, si les dispositions de l'article D. 1233-38 du code du travail n'impliquent pas que l'administration soit tenue de se prononcer au regard de l'ensemble des critères qu'elles énumèrent, elle doit tout de même s'assurer que le licenciement collectif n'affecte pas, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi concernés. À cet égard, le préfet, comme l'a à juste titre retenu le tribunal administratif, doit prendre la décision d'assujettir une société à l'obligation de revitalisation en retenant le nombre des licenciements susceptibles d'intervenir tel que figurant dans le PSE et non le nombre effectif de licenciements intervenus, dès lors qu'à la date de la décision préfectorale, l'effectivité des mesures prévues par le PSE, notamment les reclassements internes, les créations et reprises d'entreprises, les départs à la retraite et les créations de postes, ne peuvent être connues avec précision par l'administration.
7. En deuxième lieu, le code du travail ne définissant pas le bassin d'emploi pertinent au sens et pour l'application des dispositions mentionnées plus haut, le préfet pouvait, sans méconnaitre les dispositions de l'article D. 1233-38 du code du travail, retenir le bassin d'emploi du Val-d'Oise comme étant le bassin d'emploi pertinent correspondant à la zone d'emploi de référence de l'INSEE, plutôt que les bassins d'emploi Est et Ouest du Val-d'Oise proposés par la société Bio-Rad correspondant plus à des bassins d'emploi formation.
8. En troisième lieu, si la société requérante soutient que le département du Val-d'Oise est marqué par une activité économique dynamique et variée de sorte que le licenciement de 33 personnes serait sans effet sur le tissu économique local, et que ces 33 licenciements ne représenteraient que 0,02 % du nombre de demandeurs d'emploi du département du Val-d'Oise, il ressort des pièces du dossier que le taux de chômage du Val-d'Oise est supérieur au taux de chômage de la région Ile-de-France et légèrement supérieur au taux national et que le Val-d'Oise demeure toujours le deuxième département français le plus touché par le chômage. En particulier, le bassin d'emploi de Cergy connaissait un taux de chômage de 11,5 % jusqu'en 2018, atteignant 15,2 % pour les personnes sans diplôme. Par ailleurs, ce bassin d'emploi ne peut être regardé comme créateur d'emplois pour le type de salariés concernés, dont la moyenne d'âge est supérieure à cinquante ans, et alors que la majorité des emplois supprimés correspond à une activité de production sans qualification spécifique, ce qui constitue un handicap certain de nature à rendre plus difficile l'obtention d'un autre emploi. En outre, les recherches d'emploi conduites par le cabinet de reclassement n'ont permis de recenser que quinze offres d'emploi correspondant à ceux supprimés, dont seulement dix dans la zone d'emploi de Cergy. Enfin, la suppression du site de Boissy-L'aillerie implique la suppression de 7,7 % des emplois du secteur pharmaceutique et 13,5 % de ceux de la plasturgie, le site de Bio-Rad correspondant à un des plus importants établissements dans ce secteur d'activité en termes d'effectifs, de sorte que ces suppressions d'emplois doivent être regardées comme affectant par leur ampleur l'équilibre de ce bassin d'emploi.
9. En dernier lieu, aucun élément n'a été produit par la société requérante à la demande de la DIRECCTE ou du comité central d'entreprise pour évaluer les répercutions inévitables de la fermeture de ce site sur les entreprises de service, telles que la restauration, le nettoyage, la sécurité ou l'informatique, ou encore sur les sous-traitants et les emplois temporaires.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bio-Rad n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 10 juillet 2019 par laquelle le préfet du Val-d'Oise a assujetti la société Bio-Rad à l'obligation de revitalisation et de la décision de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. L'État n'étant pas la partie perdante, la société Bio-Rad n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise à la charge de l'État au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Bio-Rad est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bio-Rad et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles. Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 juin 2025.
Le rapporteur,
J-E. PilvenLe président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23VE00305002