Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles, à titre principal, d'annuler la décision du 12 mars 2021 par laquelle le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions ou, à titre subsidiaire, de la réformer en ce que cette sanction est disproportionnée.
Par un jugement n° 2102509 du 2 février 2023, le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision et mis à la charge de l'Etat le versement à M. A... d'une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 3 avril 2023, le ministre de l'intérieur, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Versailles.
Il soutient que :
- les faits reprochés, qui ont excédé les limites de l'expression syndicale, sont gravement fautifs et de nature à justifier une sanction disciplinaire, ainsi que l'a jugé le tribunal ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la sanction prise à l'encontre de M. A... présentait un caractère disproportionné et était ainsi entachée d'erreur d'appréciation ; l'intéressé a déjà fait l'objet d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions de douze mois dont six avec sursis pour des faits de même nature et ayant donné lieu à une condamnation pénale pour diffamation ; il a récidivé en portant de graves accusations péremptoires, outrancières et infamantes à l'encontre du directeur général de la police nationale et mettant également en cause le ministre de l'intérieur et l'ancien directeur de cabinet du président de la République ; les propos tenus, qui n'ont aucun rapport avec la défense des intérêts professionnels des agents mais relèvent de la vindicte personnelle, ont porté une atteinte profonde à l'image de la police nationale et ont eu un retentissement sur le fonctionnement du service.
Par un courrier, enregistré le 19 avril 2024, M. A... conclut au rejet de la requête, à l'exécution du jugement n° 1504355 du tribunal de Versailles par le versement de la somme de 6 500 euros, au versement de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros en réparation du préjudice moral subi, de 5 000 euros au titre du harcèlement moral subi et de 5 000 euros au titre de la discrimination syndicale et à ce qu'une rupture conventionnelle, avec une indemnité fixée au maximum légal, soit prononcée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., gardien de la paix titulaire depuis le 1er septembre 2008 et alors affecté au service départemental du renseignement territorial dépendant de la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines, était secrétaire général du syndicat Vigi - ministère de l'intérieur, ayant vocation à représenter l'ensemble des personnels de la police et des personnels administratifs du ministère de l'intérieur. A la suite de la publication, le 8 janvier 2020, d'un tract sur le site internet de ce syndicat ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter, il a fait l'objet d'une procédure disciplinaire à l'issue de laquelle le ministre de l'intérieur lui a, par un arrêté du 12 mars 2021, infligé la sanction de la révocation. L'exécution de cet arrêté a été suspendue, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 16 avril 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles, confirmée par le juge des référés du Conseil d'Etat le 30 décembre 2021. Par un jugement du 2 février 2023, dont le ministre de l'intérieur fait appel, le tribunal administratif de Versailles a fait droit à la demande de M. A... et a annulé cet arrêté au motif que la sanction prise à son encontre présentait un caractère disproportionné et était ainsi entachée d'erreur d'appréciation.
Sur les conclusions présentées par M. A... :
2. Aux termes de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 774-8, les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. / Lorsque la notification de la décision soumise à la cour administrative d'appel ne comporte pas la mention prévue au deuxième alinéa de l'article R. 751- 5, le requérant est invité par la cour à régulariser sa requête dans les conditions fixées à l'article R. 612-1. / Les demandes d'exécution d'un arrêt de la cour administrative d'appel ou d'un jugement rendu par un tribunal administratif situé dans le ressort de la cour et frappé d'appel devant celle-ci sont dispensées de ministère d'avocat. ".
3. Le mémoire de M. A..., qui tend au rejet de la requête, au versement de divers dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, du harcèlement moral et de la discrimination syndicale subie et à ce qu'une rupture conventionnelle, avec une indemnité fixée au maximum légal soit prononcée, n'est pas au nombre des mémoires dispensés du ministère d'un avocat par les dispositions précitées. Dès lors, ces conclusions, présentées sans le ministère d'un avocat, en dépit de la demande de régularisation qui lui a été adressée et du rappel qu'il pouvait solliciter l'aide juridictionnelle, sont irrecevables. Par ailleurs, les conclusions tendant à l'exécution du jugement n° 1504355 du tribunal de Versailles par le versement de la somme de 6 500 euros, dispensées de ministère d'avocat, ne ressortissent pas de la compétence de la cour en l'absence d'appel, mais de celle du tribunal administratif de Versailles et ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur l'appel du ministre :
4. D'une part, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires (...) ". Aux termes de l'article R. 434-29 du code de la sécurité intérieure : " Le policier est tenu à l'obligation de neutralité. / Il s'abstient, dans l'exercice de ses fonctions, de toute expression ou manifestation de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. / Lorsqu'il n'est pas en service, il s'exprime librement dans les limites imposées par le devoir de réserve et par la loyauté à l'égard des institutions de la République. / Dans les mêmes limites, les représentants du personnel bénéficient, dans le cadre de leur mandat, d'une plus grande liberté d'expression. ". Selon l'article R. 434-12 du même code : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation. ". L'article R. 434-14 du même code énonce que : " Le policier ou le gendarme est au service de la population (...). / Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d'une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, alors en vigueur : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes (...) / Troisième groupe : / - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation (...) ".
6. II appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
7. Si les agents publics qui exercent des fonctions syndicales bénéficient de la liberté d'expression particulière qu'exigent l'exercice de leur mandat et la défense des intérêts des personnels qu'ils représentent, cette liberté doit être conciliée avec le respect de leurs obligations déontologiques et des contraintes liées à la sécurité et au bon fonctionnement du service. En particulier, des propos ou un comportement agressifs à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un autre agent sont susceptibles, alors même qu'ils ne seraient pas constitutifs d'une infraction pénale, d'avoir le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.
8. Il ressort des pièces du dossier que le 8 janvier 2020, le syndicat VIGI - ministère de l'intérieur, après validation par M. A..., a mis en ligne sur son site internet, ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter, un tract, susceptible d'être téléchargé et imprimé, mettant en cause le directeur général de la police nationale. Ce tract d'une page, portant l'intitulé " Nous avions demandé sa démission, mais le DGPN a choisi la fuite ", comportait en partie haute une photographie de l'intéressé en uniforme, ainsi qu'une bulle lui prêtant les propos suivants: " Après 110 suicides de policiers depuis ma prise de fonction, de la fraude aux élections pro, la répression de la liberté syndicale, la falsification des chiffres de la délinquance, je pars épuisé en retraite anticipée, 3 ans en avance ", photographie surmontée de rubalises jaunes " Crime scene do not cross " (" scène de crime, ne pas franchir ") accompagnée d'une tâche rouge illustrant une tâche de sang. Le texte d'environ vingt-cinq lignes accompagnant cet entête détaillait les divers manquements reprochés par le syndicat au directeur général de la police nationale et mettait également de manière nominative en cause le ministre de l'intérieur, ainsi que le directeur de cabinet du président de la République. Il se terminait par une citation de Philipp Meyer sur la différence entre les hommes courageux et les hommes lâches, en caractère gras de grande taille : " La différence entre un homme courageux et un homme lâche est très simple. C'est une question d'amour. Un lâche s'aime... un lâche ne se préoccupe que de son propre corps et l'aime plus que tout. Un courageux aime les autres d'abord et lui-même en dernier ".
9. Il ressort en l'espèce des termes de la décision attaquée que M. A... a été révoqué au motif qu'il a outrepassé " délibérément et publiquement les limites de l'exercice de la liberté d'expression syndicale (...) en faisant preuve d'une animosité calomnieuse et infamante à l'endroit principalement du directeur général de la police nationale, mais aussi du ministre de l'intérieur ", qu'il a " gravement manqué aux obligations statutaires et déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires de police, y compris lorsqu'ils s'expriment dans le cadre d'un mandat syndical, en l'occurrence au devoir d'exemplarité par un comportement indigne des fonctions, au devoir de réserve et au devoir de loyauté ", qu'il a également " porté une atteinte notoire au crédit et au renom de la police nationale par le biais des réseaux sociaux " et qu'il a " déjà été sanctionné disciplinairement pour des faits semblables sans pour autant s'amender ". Cette décision précise également que " le comportement particulièrement grave adopté par M. A... dans le cadre de ses prérogatives syndicales se révèle incompatible avec sa qualité professionnelle et la poursuite de l'exercice de ses fonctions au sein de l'institution policière ".
10. Pour prononcer l'annulation de la sanction en litige, le tribunal, après avoir estimé que les termes mêmes de la publication incriminée revêtaient un caractère fautif pour avoir excédé les limites que les fonctionnaires de police et leurs organisations syndicales sont tenus de respecter dans le cadre du devoir de réserve qui leur incombe vis-à-vis de l'autorité hiérarchique, a considéré que la sanction prise à l'encontre de M. A... présentait un caractère disproportionné. Si le caractère fautif du tract en cause n'est plus en débat, le ministre de l'intérieur fait valoir, pour contester l'annulation prononcée, que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la sanction présentait un caractère disproportionné et était ainsi entachée d'erreur d'appréciation.
11. Il ressort toutefois des pièces du dossier, qu'en l'espèce, il n'est pas reproché à M. A... une faute dans l'exercice de ses fonctions de gardien de la paix affecté au service départemental du renseignement territorial des Yvelines, pour des propos qu'il aurait tenus en son nom propre, mais une faute en tant que secrétaire général, responsable des publications du syndicat Vigi - ministère de l'intérieur, à raison de faits exclusivement commis par cette organisation syndicale et au seul nom de celle-ci. Certains des propos tenus, relatifs au nombre de suicides de policiers, à la fraude lors des élections professionnelles, aux chiffres de la délinquance à Marseille, et au harcèlement envers les syndicats de policiers et au reproche fait au directeur général de la police nationale d'avoir creusé un fossé entre les gardiens de la paix et la population, ne se situent pas hors des préoccupations syndicales, mais se rattachent, contrairement à ce que soutient le ministre, à la défense des intérêts professionnels des adhérents du syndicat et ne sont pas constitutifs d'une prise de position politique ou religieuse. Il ne ressort au demeurant pas des pièces du dossier que les propos tenus à l'encontre du directeur général de la police nationale, qui n'a d'ailleurs pas déposé plainte, relèveraient de la vindicte personnelle. Par ailleurs, les faits évoqués font référence à des élément déjà relatés et relayés dans la presse nationale (Canard Enchaîné, Libération, Valeurs actuelles) s'agissant notamment des suicides de policiers, des données sur la délinquance et des reproches formulés à l'encontre du ministre de l'intérieur de l'époque, ayant trait à la présence de celui-ci à une soirée en discothèque, ainsi qu'à l'encontre du directeur de cabinet du président de la République, que la publication syndicale incriminée n'a fait que mettre en exergue. Si le ministre se prévaut d'une atteinte au crédit et à la réputation de la police nationale auprès de la population, et d'un retentissement sur le fonctionnement du service, il ressort toutefois des pièces du dossier que la diffusion du tract en litige a été effectuée par le biais d'une publication sur le site internet et les comptes Facebook et Twitter du syndicat Vigi - ministère de l'intérieur et non par le biais d'un organe de presse national ou d'un grand site d'information en ligne, la presse nationale mentionnée par le ministre de l'intérieur s'étant seulement fait l'écho de la révocation de M. A... et non de la diffusion du tract de son organisation syndicale. Dans ces conditions, et alors même que M. A... a fait l'objet d'une précédente sanction disciplinaire pour des faits de même nature le 21 juin 2019, la sanction de la révocation, sanction la plus sévère sur l'échelle des sanctions, revêt, au regard de la liberté d'expression renforcée dont bénéficient les agents publics exerçant des fonctions syndicales, un caractère disproportionné par rapport aux manquements fautifs qui lui sont reprochés. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a, pour annuler sa décision, accueilli le moyen tiré de l'erreur d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé son arrêté du 12 mars 2021.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente-assesseure,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juin 2025.
I. La rapporteure,
I. DanielianLa présidente,
L. Besson-LedeyLa présidente,
II. I. Danielian
La greffière,
T. Tollim
La greffière,
A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE00689