Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Edeis Ingénierie, venant aux droits de la société SNC Lavalin, la société B Valero - F Gadan et la société Hyl - Hannetel et Yver ont demandé, par une requête n° 1711980, au tribunal administratif de Cergy-Pontoise :
- de rectifier le décompte de résiliation du 5 avril 2017 du marché n° 059195 de maîtrise d'œuvre du sous-système 3 " installations conventionnelles de surface " du projet de centre industriel de stockage géologique B... et fixer celui-ci à la somme de 1 651 578 euros hors taxes (HT),soit 1 981 893,60 euros toutes taxes comprises (TTC) s'agissant du montant des prestations réalisées par le groupement de ces trois sociétés, dont la SNC Lavalin était mandataire, au cours de la période écoulée entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, augmentée des intérêts moratoires calculés conformément à l'article 8 du décret du 29 mars 2013 à compter de la demande indemnitaire du groupement et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement visée à l'article 9 de ce décret ;
- de condamner l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) à verser au groupement les intérêts moratoires, calculés conformément à l'article 8 du décret du 29 mars 2013 à compter de la date de résiliation du marché n° 059195 et l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement visée à l'article 9 de ce décret applicables aux retenues des garanties, prélevées par cette agence, pour un montant de 209 214,29 euros HT (soit 251 057,15 euros TTC) et qui auraient dû être remboursées à la date de résiliation du contrat ;
- de fixer le montant de l'indemnité de résiliation à la somme de 1 108 640,96 euros HT, augmentée des intérêts moratoires, calculés conformément à l'article 8 du décret du 29 mars 2013 à compter de la demande indemnitaire du groupement et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement visée à l'article 9 de ce décret ;
- de condamner l'Andra à verser à la société Edeis la somme de 642 222,83 euros au titre des frais causés par la démobilisation des chefs de projet dédiés à l'exécution du contrat du 28 octobre 2013 entre mars 2015 et le 6 décembre 2015, faute de lancement des études d'avant-projet détaillé dans la suite des études d'avant-projet sommaire ;
- de condamner l'Andra à verser à la société Edeis la somme de 3 000 000 euros au titre de la perte de chance provoquée par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013 et de condamner l'Andra à lui verser la somme de 181 401,64 euros au titre des frais de licenciement de personnels provoqués par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013.
La société Edeis Ingénierie a demandé, par une requête n° 1903710, de condamner l'Andra à lui verser la somme de 642 222,83 euros au titre des frais causés par la démobilisation des chefs de projet dédiés à l'exécution du contrat du 28 octobre 2013 entre mars 2015 et le 6 décembre 2015, faute de lancement des études d'avant-projet détaillé dans la suite des études d'avant-projet sommaire, la somme de 181 401,64 euros au titre des frais de licenciement de personnels provoqués par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013 ainsi que la somme de 3 000 000 euros au titre de la perte de chance provoquée par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013.
Les sociétés B Valero - F Gadan et Hyl - Hannetel et Yver ont demandé, par une requête n° 1912324, de condamner l'Andra à verser à la société Hyl - Hannetel et Yver une somme de 33 631,57 euros au titre des frais causés par la démobilisation et le licenciement des personnels dédiés à l'exécution du contrat du 28 octobre 2013, faute de lancement des études d'avant-projet détaillé dans la suite des études d'avant-projet sommaire comme cela était prévu dans le contrat, de condamner l'Andra à verser à la société Hyl - Hannetel et Yver la somme de 500 000 euros au titre de la perte de chance provoquée par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013 et de condamner l'Andra à verser à la société B Valero - F Gadan la somme de 800 000 euros au titre de la perte de chance provoquée par la résiliation du contrat du 28 octobre 2013.
Par un jugement nos 1711980-1903710-1912324 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Andra à verser à la société Edeis, agissant en qualité de mandataire du groupement, la somme de 4 500,41 euros HT, cette somme portant intérêts au taux moratoire contractuel à compter du 5 avril 2017 et à verser à la société Edeis, agissant en qualité de mandataire du groupement, une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros, en rejetant le surplus des conclusions à l'exception des demandes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 janvier, 22 avril et 22 juin 2022, 29 septembre et 8 décembre 2023 et 12 janvier 2024 et un mémoire récapitulatif enregistré le 29 février 2024, les sociétés Edeis Ingénierie, B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture et Hyl - Hannetel et Yver, représentées par Me Dabreteau, demandent, dans le dernier état de leurs écritures, à la cour :
1°) d'annuler l'article 4 du jugement nos 1711980-1903710-1912324 du 25 novembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
2°) de désigner un expert ayant pour mission d'indiquer si les directives et orientations de l'Andra étaient définies au 6 décembre 2015 et si elles ont évolué, d'indiquer si le démarrage graduel des études APD à compter du 6 décembre 2015 était prévu dans le cadre du contrat, d'indiquer si la réalisation des prestations résultant des modifications imposées par l'Andra à compter du 6 décembre 2015 relève des études APD, d'indiquer si les modifications imposées par l'Andra à compter du 6 décembre 2015 conduisent le Moe - SS3 à reprendre l'APS ou à réaliser de nouvelles études, d'analyser le contenu des différentes versions de la FM041 et des produits livrables entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, de se prononcer sur l'ampleur des modifications imposées par l'Andra à compter du 6 décembre 2015, et si le maître d'œuvre était en capacité de respecter le cadre forfaitaire, d'indiquer l'importance des moyens mobilisés et des dépenses engagées par le Moe-SS3 à compter du 6 décembre 2015, de se prononcer sur les modalités de calcul imposées par l'Andra, et sur l'impact du report de la date de lancement des études APD ;
3°) de modifier le décompte de résiliation en condamnant l'Andra :
- à leur verser le montant des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 pour une somme de 1 651 578 euros hors taxes, augmentée des intérêts moratoires à compter de la demande indemnitaire et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
- à leur verser les intérêts moratoires à compter de la date de résiliation du contrat, au titre des retenues de garanties ainsi que l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
- à verser à la société Edeis Ingénierie une indemnité au titre des frais provoqués par la démobilisation des chefs de projet entre mars 2015 et décembre 2015 pour un montant de 642 222,83 euros ;
- à verser à la société Hyl - Hannetel et Yver une somme de 33 631,57 euros au titre des frais de démobilisation et de licenciement des chefs de projet pour la période de mars 2015 à décembre 2015 ;
- à leur verser l'indemnité de résiliation en prenant en compte les pertes de frais généraux et une somme de 468 257,78 euros au titre des charges de personnels insusceptibles d'être redéployés, assortie des intérêts moratoires à compter de la demande indemnitaire et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement ;
- à verser à la société Edeis un montant de 3 millions d'euros au titre de la perte de chance et un montant de 181 401,64 euros au titre des frais de licenciement de personnels en raison de la résiliation du contrat ;
- à verser à la société B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture un montant de 800 000 euros et à la société Hyl - Hannetel et Yver un montant de 500 000 euros au titre de la perte de chance en raison de la résiliation du contrat ;
- d'assortir les intérêts susmentionnés de la capitalisation des intérêts moratoires ;
- de mettre à la charge de l'Andra la somme de 5 000 euros à verser à chacune des sociétés Edeis, B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture et Hyl - Hannetel et Yver ainsi que les entiers dépens.
Les sociétés requérantes soutiennent que :
- la demande indemnitaire relative au préjudice né de la perte de chance et, pour la société Edeis, des frais de licenciement du personnel en raison de la résiliation du contrat n'était pas irrecevable pour tardiveté ; ces préjudices n'étant pas identifiables et évaluables dans le délai d'un mois, l'article 31-1 du livre I du cahier des dispositions générales applicables aux contrats de l'Andra ne pouvait être appliqué ;
- la résiliation du contrat a eu pour effet des préjudices nés de la perte de chance et pour la société Edeis des frais de licenciement ; la société Edeis a procédé au recrutement d'un ingénieur spécialisé en nucléaire et formé des collaborateurs pour ce projet B... ; cette équipe a acquis des connaissances spécifiques qui lui permettaient de disposer d'une chance sérieuse d'emporter de nouveaux contrats ; toutefois, elle n'a pu poursuivre la procédure de passation faute d'avoir disposé des capacités techniques et professionnelles pour en assurer l'exécution ; ce préjudice de perte de chance est évalué à 3 millions d'euros pour un marché qui représentait 65 millions d'euros ; le préjudice lié au licenciement est évalué à la somme de 181 401,64 euros ;
- s'agissant des sociétés B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture et Hyl - Hannetel et Yver, la résiliation a eu les mêmes effets ; elles n'ont eu qu'une faible expérience dans le domaine nucléaire en raison de la résiliation et pouvaient tout de même prétendre à l'attribution de nouveaux marchés en raison des connaissances acquises ; la perte de chance est évaluée à la somme de 800 000 euros pour la société B. Valero-F. Gadan SAS d'Architecture et à 500 000 euros pour la société Hyl - Hannetel et Yver ;
- le préjudice lié à la démobilisation des chefs de projet dédiés à l'exécution du contrat entre mars et décembre 2015 ne résulte pas de l'exécution du contrat ; ainsi, les stipulations de l'article 31.1 du livre I du CDG ne s'opposent pas à ce qu'une telle demande soit présentée après l'expiration du délai de trente jours ; l'avenant n° 1 précisant l'absence de possibilité de former une réclamation financière sur la phase APS ne peut non plus établir que la requête serait irrecevable ;
- s'agissant de la demande indemnitaire au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, les modifications du contrat opérées par l'Andra justifient le paiement de prestations supplémentaires ;
- le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que les prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et 24 novembre 2016 ne prennent pas en compte les dépenses exposées pour répondre aux modifications du contrat ;
- l'Andra ne s'est pas conformée à l'application du contrat en initiant un mécanisme de gestion de projet à titre transitoire ; l'Andra ne pouvait recourir à des ordres de service pour imposer des modifications ; un ordre de service ne pouvait être émis qu'à l'issue de l'instruction de la modification et sous réserve de l'accord de l'Andra ; les ordres de service ne pouvaient intervenir pour des modifications substantielles du contrat, selon l'article 19 du CDG ;
- les sociétés requérantes ont contesté les constatations de l'Andra quant à la nature et aux coûts des 88 livrables produits entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 ; le montant de 600 000 euros retenu par l'Andra a été contesté à plusieurs reprises ; le tableau de l'Andra ne correspond pas aux ressources effectivement mobilisées par le maître d'œuvre ; les sociétés ont bien établi la réalité de ces dépenses par des justificatifs ; ces coûts portaient sur la négociation et l'élaboration de la FM041, les dépenses engagées pour répondre aux ordres de service nos 3 et 5 et les coûts associés à la mobilisation d'un programmiste ;
- le pouvoir de modification du contrat pour un motif d'intérêt général doit donner lieu à rémunération ;
- le montant de 840 000 euros arrêté par l'Andra n'est pas justifié ;
- l'Andra a imposé des modifications substantielles avec une nouvelle logique de déroulement des études APD, ce qui a modifié les prestations initialement prévues, sur un plan organisationnel, en ce qui concerne l'enclenchement des phases, et la création de points gel ; en ce qui concerne le contenu des études APD, les livrables de la phase APD étant différents de ceux prévus initialement ; par ailleurs, l'Andra a modifié de manière substantielle de nombreuses annexes au contrat, avec de nouvelles phases de programmation très consommatrices en temps, et a introduit une phase d'assistance dite " ramp up " non prévue par le contrat ; l'envoi d'ordres de service pour la gestion d'un projet transitoire, n'était pas prévu au contrat ; aux termes de l'article 19 du CDG ou de l'annexe 6 du contrat, un avenant était requis pour la modification substantielle de ces prestations ; la transmission tardive d'une FM041 sur le déroulement des études a placé le maître d'œuvre dans une situation intenable ; l'Andra a laissé croire pendant dix mois qu'un avenant serait conclu à la suite de la FM041 ;
- l'Andra a reconnu avoir imposé des modifications unilatérales, dans un cadre extracontractuel (courriers du 9 février 2016, du 23 mars 2016, ou du 4 mai 2016) ;
- le maître d'œuvre n'a pas commis d'imprudence dans l'exécution de ses obligations et a informé le maître de l'ouvrage du caractère extracontractuel des modifications demandées tout en maintenant ses moyens pour l'exécution du contrat et en l'informant du montant de ces demandes supplémentaires ; le maître d'œuvre a ainsi été conduit à procéder mensuellement à la valorisation des moyens engagés ; or, le chiffrage de la phase " ramp up " s'élevait à la somme de 436 716 euros hors taxes pour la période du 1er décembre 2015 au 6 mars 2016 ; il a demandé qu'un avenant soit conclu au titre de la phase " ramp up " ;
- le groupement soutient que les arguments de l'Andra en défense ne peuvent qu'être écartés ; le groupement de maîtrise d'œuvre ne s'est pas placé dans une situation extracontractuelle et il n'a pas modifié unilatéralement la portée de ses engagements financiers ; il a simplement informé mensuellement l'Andra des dépenses exposées pour faire face à des obligations substantiellement modifiées ;
- il a mis en œuvre des moyens considérablement supérieurs à ceux prévus initialement avec de nouvelles phases de programmation et des reprises d'études APS ; la phase de " ramp up ", correspondant à la définition du contenu des études de la phase APD, n'existait pas dans le contrat ; il ne pouvait qu'appliquer les modifications demandées par l'Andra (annexe 4 et nouvelles annexes 3 et 6 du contrat) de manière unilatérale ;
- les quantités de livrables ont été considérablement augmentées ;
- le montant de la rémunération demandée au titre des dépenses réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 est établi par les pièces justificatives produites par le groupement ; ces dépenses comprennent les coûts associés à la négociation et à l'élaboration de la FM041, la remise de 88 livrables et les coûts associés à la mobilisation d'un programmiste alors que l'Andra n'a pas justifié le montant arrêté dans le décompte de résiliation ; l'agence s'est bornée à contester l'état des livrables produits ; le maître d'œuvre SS3, à compter du mois d'août 2016, s'est consacré, outre l'établissement du rapport mensuel, à poursuivre l'instruction de la FM041 ; l'Andra propose de séparer les activités de production et les dépenses annexes ; cette appréciation requiert le recours à une expertise judiciaire ; le montant arrêté par l'Andra à 840 000 euros n'est pas justifié ;
- la maîtrise d'œuvre a droit aux intérêts moratoires et à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dès lors qu'elle avait satisfait à ses obligations contractuelles à la date de résiliation du contrat, le 24 novembre 2016, l'Andra ayant accepté sans réserves ses études APS ;
- elle a aussi droit au remboursement des frais de démobilisation de personnel à la suite du report du lancement des études APD :
- l'Andra ne pouvait recourir à un mécanisme de gestion de projet transitoire reposant sur l'envoi d'ordres de service ; elle aurait dû faire débuter la phase APD juste après la remise des études APS ; cette modification du contrat a eu pour effet la démobilisation de six chefs de projet entre mars 2015 et décembre 2015 pour la société Edeis et de trois personnes à compter de mars 2015 pour la société Hyl - Hannetel et Yver ; les sociétés requérantes ont ainsi droit pour la société Edeis à la somme de 642 222,83 euros et pour la société Hyl - Hannetel et Yver la somme de 33 631,57 euros ; l'avenant n° 1 mentionnant le renoncement à toute indemnisation ne portait que sur la phase APS, prenant fin en mars 2015 et non sur la période postérieure, comprise entre mars et décembre 2015 ; le moyen en défense de l'Andra ne peut donc être retenu ; l'avenant n° 1 ne porte pas sur le report unilatéral de la date de lancement des études APD au 6 décembre 2015 qui a eu pour effet une démobilisation des équipes sur le projet ;
- le licenciement des salariés sur ce projet ne pouvait intervenir immédiatement ;
- par ailleurs, si des prestations ont été demandées et réalisées entre décembre 2015 et novembre 2016, elles ne portaient que sur un dixième de la somme prévue pour la société Hyl - Hannetel et Yver ; la situation économique de la société Hyl - Hannetel et Yver n'est en rien dans la démobilisation de ses équipes ;
- en ce qui concerne l'indemnité de résiliation, celle-ci ne pouvait comprendre l'indemnisation des frais généraux, en raison des montants considérables investis ;
- le tribunal a omis de statuer sur l'indemnisation des charges de personnel ce qui constitue une irrégularité ;
- le groupement a droit à l'indemnisation autant des frais généraux restant à sa charge que des charges de personnels insusceptibles d'être redéployés immédiatement après la résiliation ;
- or, l'indemnisation retenue par l'Andra à hauteur de 58 347 euros au titre du manque à gagner et de 9 965 euros et 6 960 euros au titre de la perte d'amortissement des bureaux et des investissements logiciels ne compense pas les frais généraux et les charges de personnels ;
- reste ainsi à la charge du groupement l'indemnisation des frais généraux dus au surcoût de ces frais qui doit être évalué à 13 % des prestations restant à réaliser ; restent aussi à indemniser les charges de personnels non redéployés, soit la somme de 468 257,78 euros, ainsi que la perte de chance de déployer leur activité dans le nucléaire ainsi que les frais de licenciement de M. E... ;
- sont aussi dus les intérêts moratoires pour une année entière ;
- la cour doit aussi ordonner une expertise aux fins de déterminer l'étendue des modifications apportées par l'Andra ; ces modifications ne s'inscrivent pas dans le cadre du contrat comme le soutient l'Andra ; l'expertise s'avère utile pour déterminer si les directives et orientations de l'Andra étaient définies au 6 décembre 2015 et si elles ont évolué après cette date et leur impact sur la réalisation des études APD par le maître d'œuvre ; cette expertise doit aussi définir si le démarrage graduel des études APD à compter du 6 décembre 2015 était prévu dans le cadre du contrat et aussi si la réalisation des prestations résultant de ces modifications imposées par l'Andra à compter du 6 décembre 2015 relève des études APD et encore si cela conduisait le maitre d'œuvre Moe-SS3 à reprendre l'APS déjà validé par l'Andra ; l'expert devra analyser le contenu des versions de la FM041 et ses effets sur les prestations à réaliser, le contenu des livrables produits, et des modifications imposées par l'Andra ; ce sont ces modifications qui sont à l'origine des surcoûts supportés pendant la période postérieure au 6 décembre 2015 ;
- l'expertise est donc utile pour déterminer le montant des prestations réalisées et déterminer si le Moe-SS3 s'inscrivait ou non dans le cadre forfaitaire du contrat ;
- l'expert devra aussi se prononcer sur les frais de démobilisation du personnel ;
- l'expert devra aussi se prononcer sur la demande indemnitaire au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 et sur les modifications apportées au contrat par l'Andra par notamment l'instauration d'un processus de gestion transitoire du projet ;
- une troisième mission d'expertise sera nécessaire pour déterminer si la réalisation concomitante de prestations résultant des modifications imposées par l'Andra relevait d'études APD ;
- une quatrième mission d'expertise devra porter sur le fait de savoir si le Moe-SS3 devait reprendre l'APS déjà validé par l'Andra pour répondre aux modifications imposées à compter du 6 décembre 2015 ;
- une cinquième mission d'expertise devra avoir pour objet d'analyser le contenu des différentes versions de la FM041 et de ses effets ;
- une sixième mission d'expertise devra porter sur l'analyse des livrables produits par le Moe-SS3 entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 ;
- une septième mission d'expertise devra avoir pour objet de mesurer l'ampleur des modifications imposées par l'Andra à compter du 6 décembre 2015 ;
- une huitième mission d'expertise devra déterminer si le groupement était en capacité de s'inscrire dans une logique de maîtrise des couts et dans le cadre forfaitaire du contrat ;
- une neuvième mission d'expertise devra porter sur les avances résultant des ordres de service et sur le fait de savoir si cela s'inscrivait dans le cadre des modalités de rémunération prévues au contrat ;
- une dixième mission d'expertise devra porter sur l'importance des moyens mobilisés par le Moe-SS3 ;
- une onzième mission d'expertise devra porter sur l'analyse des modifications imposées par l'Andra, au vu du nombre de livrables produits et des coûts engagés par le Moe-SS3 ;
- une douzième mission d'expertise devra porter sur les modalités de calcul effectuées par l'Andra pour déterminer le montant des prestations réalisées par le Moe-SS3 ;
- il convient enfin de rejeter les conclusions reconventionnelles de l'Andra.
Par un mémoire en défense et des mémoires complémentaires, enregistrés les 5 et 30 mai et le 7 décembre 2022, le 31 octobre 2023, les 9 et 17 janvier 2024, un mémoire récapitulatif, enregistré le 1er mars 2024, et un mémoire enregistré le 3 avril 2025, l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), représentée par Me Simonnet, conclut :
1°) à l'annulation partielle du jugement en ce qu'il condamne l'Andra à verser à la société Edeis, agissant en qualité de mandataire du groupement, la somme de 4 500,41 euros HT ;
2°) au rejet de la requête des sociétés Edeis, B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture et Hyl - Hannetel et Yver ;
3°) à la confirmation du décompte de résiliation ;
4°) à la mise à la charge des sociétés Edeis, B. Valero-F. Gadan SAS d'Architecture et Hyl - Hannetel et Yver, chacune, de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- certaines demandes indemnitaires sont irrecevables, comme la demande de réparation du préjudice de perte de chance pour le groupement, ou pour la société Edeis des frais de licenciement de personnels en raison de la résiliation du marché, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, dès lors que la demande indemnitaire n'a pas été reçue dans le délai de trente jours après la notification de la décision de résiliation du marché ; la société Lavalin ne demandait le paiement que du solde du marché ainsi que l'indemnisation du manque à gagner et de la perte des frais généraux ; ainsi, la société Edeis ne pouvait demander l'indemnisation des coûts de démobilisation des chefs de projets, l'indemnisation d'une perte de chance ou de frais de licenciement ;
- il convenait, pour les préjudices de perte de chance et de frais de licenciement de les mentionner dans la demande initiale et de les préciser par la suite ;
- s'agissant des préjudices liés aux frais de démobilisation à la suite du report du lancement des études APD, cette demande est aussi irrecevable ; par ailleurs, l'avenant n° 1 excluait toute réclamation financière portant sur le périmètre de la phase APS ; cet avenant portait aussi sur les prestations liées à la finalisation de la phase APX et au démarrage de la phase APD ;
- s'agissant de la demande indemnitaire au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, les sociétés requérantes demandent le paiement de la somme de 1 651 141 euros au titre de ces prestations induites par l'adaptation de la phase APD dans un cadre extracontractuel ; toutefois, l'Andra a pris en compte l'ensemble des prestations prévues au contrat ou induites par les adaptations demandées (en raison des difficultés de la phase APS) ; ces difficultés ont donné lieu à une FM 42 et à un avenant n° 1 en attente d'un autre avenant avant que les sociétés requérantes ne modifient leurs obligations à l'égard de l'Andra ;
- le groupement a en effet informé l'Andra qu'il ne s'estimait plus tenu par une obligation de résultat et qu'il ne respecterait plus son offre financière forfaitaire ; sa demande de rémunération ne correspondait toutefois pas aux courriers adressés auparavant ;
- le groupement ne pouvait unilatéralement modifier la portée de ses engagements financiers : le processus d'adaptation avait pour objet d'éviter aux maîtres d'œuvre sous-systèmes d'être confrontés en phase APD aux mêmes difficultés que celles rencontrées en phase APS ; le groupement s'est lui-même placé en dehors d'une logique contractuelle le 27 janvier 2016 avant l'ordre de service relatif au démarrage des études de la phase APD le 9 février 2016 et à l'émission de la FM041, le 7 mars 2016 ; les deux ordres de service nos 3 et 5 constituaient à la fois un rappel des obligations contractuelles et une adaptation de certaines prestations à la nouvelle logique de déroulement de la phase APD ; contrairement à ce que soutient le groupement, la nouvelle logique de déroulement de la phase APD et l'introduction d'une nouvelle phase d'assistance pour la définition du contenu des études de la phase APD ne constituait pas une refonte majeure du contrat mais correspondait à des prescriptions contractuelles initiales pour une part et à des adaptations de prestations initialement prévues et à des prestations supplémentaires d'autre part ; il s'agissait donc d'adaptation et non de modifications substantielles ; le groupement fait une lecture erronée de l'article 10.2.5 de l'annexe 6 du contrat, qui n'exclut pas que des ordres de service puissent être émis pour permettre le traitement d'une fiche modificative ;
- la phase dite " ramp up " sert à préparer la phase APD qui était déjà prévue ; cette nouvelle logique n'a pas eu pour effet d'augmenter de 769 % le nombre de livrables mais seulement de consolider des études produites antérieurement ; cette phase a impliqué la mise à jour de plusieurs pièces contractuelles mais sans modifier substantiellement les obligations et prestations ; cette évolution n'a provoqué aucune difficulté avec le titulaire de maîtrise d'œuvre SS2 dans le cadre de la FM041 ;
- le groupement a modifié ses engagements financiers de manière irrégulière ; le 27 janvier 2016, sans attendre l'ordre de service notifiant le démarrage de la phase APD, ni l'émission de la FM041, le groupement a décidé de modifier ses obligations contractuelles, alors que le cocontractant n'a pas ce pouvoir ; l'inexécution d'un ordre de service est ainsi fautive, de même que le recours à une exception d'inexécution ; le cocontractant peut seulement demander une indemnisation ; or, le groupement a bloqué le processus d'instruction de la fiche de modification que l'Andra avait initié ; par ailleurs, le maître d'œuvre SS3 devait, selon le contrat, préparer la phase APD ;
- sur la rémunération du groupement au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, le groupement a demandé le paiement d'une somme de 1 651 141 euros au titre des prestations réalisées pendant cette période alors que l'Andra l'estime à la somme de 840 000 euros hors taxes ;
- si le groupement fait état de 88 livrables, il s'agit pour une part d'entre eux de simples évolutions de documents déjà produits et la moitié d'entre eux étaient inachevés, seuls 34 d'entre eux étaient au stade final mais aucun n'avait été validé et ne pouvait donc donner lieu à rémunération ;
- à compter du mois d'août 2016, le groupement s'est mis en retrait du projet Cigeo, avec une mobilisation de ses moyens inférieure à la période précédente, correspondant à un ingénieur à mi-temps ; sa participation dans l'instruction de la FM041 doit être évaluée à 20 000 euros ;
- les demandes du groupement sont injustifiées dès lors que les dépenses mensuelles revendiquées en cours d'exécution ne correspondent pas à celles figurant dans leur mémoire en réclamation ; surtout, une surévaluation ressort de la décomposition des montants ; si le coût des activités de production est assez proche de celui arrêté par l'Andra, ce sont les dépenses en principe comprises dans le coût des prestations (administration du projet, gestion documentaire, recours à un contract manager, coût des réunions, frais d'avocat et d'assurance ...) qui n'auraient pas dû y figurer, en application de l'article 4.2 du contrat ; cette volonté du groupement de remettre en cause les taux et conditions financières a été la cause de l'échec de l'instruction de la FM41 ;
- sur les demandes relatives aux frais de démobilisation de personnel consécutifs au report du lancement des études, la société Edeis demande à ce titre la somme de 642 222,83 euros et la société Hyl - Hannetel et Yver la somme de 33 631,57 euros ;
- contrairement à ce que soutient le groupement, l'Andra n'a pas initié un mécanisme de gestion de projet transitoire non prévu par le contrat dès lors que le report du lancement de la phase APD a été traité dans le cadre du contrat et la réorganisation du démarrage des études APD a été traitée dans le cadre de la FM042 qui a abouti à la signature d'un avenant n° 1 ; le groupement n'apporte aucun élément attestant de la démobilisation de ses équipes entre mars et décembre 2015 ; par ailleurs, au mois de mars 2015, le groupement a dû engager une étude préparatoire et à compter de mai 2015 instruire la FM042 ; aucun élément ne permet non plus de justifier le licenciement de Mmes C... et Chaklout et de M. D... ; or, cette société ne pouvait en cours d'exécution se séparer de moyens humains nécessaires sauf à planifier son désengagement ;
- sur la demande de paiement d'intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, le groupement estime que la retenue de garantie aurait dû être restituée dès la résiliation du marché ; or, cette restitution est intervenue le 17 janvier 2018 ; toutefois, les sociétés requérantes n'avaient pas satisfait à leurs obligations ; or, la levée des réserves est intervenue par courrier du 13 décembre 2017 et il ne ressort pas de l'avenant n° 1 que les études APS auraient été acceptées sans réserve par l'Andra ;
- sur les demandes relatives à l'indemnité de résiliation, le groupement demande à être indemnisé des frais généraux, des charges de personnel qu'il n'a pu immédiatement redéployer, de la perte de chance et des frais de licenciement de M. E... ;
- en ce qui concerne les frais généraux, l'indemnité couvrant la perte de bénéfice comprend la quote-part des frais généraux et le groupement n'apporte pas d'éléments de nature à établir un préjudice spécifique et distinct de celui réparé par l'indemnisation de la perte du bénéfice attendu ; aucun élément n'est apporté sur ce point ;
- en ce qui concerne l'indemnisation de charges de personnel qui n'aurait pu être immédiatement redéployé, le groupement demande la somme de 468 257,78 euros à ce titre, correspondant aux salaires versés à MM. A... et E... ; l'indemnisation à ce titre suppose une impossibilité de redéployer ce personnel sur d'autres projets et que ce préjudice soit lié à la résiliation, ce qui n'est pas établi, d'autant plus que le groupement avait déjà réduit la mobilisation de ses équipes depuis l'été 2016, ce qui suppose qu'à la date de résiliation du marché, MM. E... et A... n'étaient pas mobilisés à plein temps ; les arguments présentés par le groupement sont incohérents ; enfin, les coûts d'intermission font partie des charges de toute entreprise proposant des prestations intellectuelles ;
- en ce qui concerne l'indemnisation de la perte de chance, ces demandes sont irrecevables ; par ailleurs, les frais de formation du personnel sont inhérents à l'exécution d'un marché public et compris dans le prix du marché ;
- aucun préjudice d'image ou commercial ne peut être allégué ; en fait, la maison mère de la société Edeis s'est désengagée du marché français du nucléaire en 2016 ; aucun élément n'est produit pour établir que sa candidature à un avis de sous-traitance lancé par la société Orano Projets aurait été rejetée pour absence de capacités techniques et professionnelles ; les difficultés de la société Edeis pour s'implanter dans le nucléaire proviennent de la cession de cette société par sa société mère en 2016 ; s'agissant des sociétés Hyl - Hannetel et Yver et B. Valero-F. Gadan, les prestations confiées à ces sociétés ne supposaient pas un savoir-faire particulier dans le domaine du nucléaire ; enfin, la perte de chance est un préjudice éventuel et non un préjudice direct et certain ;
- en ce qui concerne les frais de licenciement de M. E..., cette demande n'est pas recevable et le lien de causalité entre la résiliation du marché et le licenciement n'est pas établi ; M. E... a été licencié plus d'un an après la résiliation du marché et il occupait un poste de direction non lié au projet Cigeo ;
- s'agissant des conclusions reconventionnelles, l'Andra conteste le montant contractuel résiduel des prestations de la phase APD ; il convenait de retrancher la somme de 640 000 euros au montant initial des prestations prévues pour la phase APD ; sa condamnation à verser la somme de 4 500,41 euros hors taxe est injustifiée ;
- les demandes d'expertise ne sont pas utiles pour la solution du litige.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dabreteau pour les sociétés Edeis Ingénierie, B. Valero-F. Gadan, SAS d'architecture et Hyl - Hannetel et Yver et de Me Simonnet pour l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre du projet de centre industriel de stockage géologique dit " B... ", visant à construire un centre de stockage réversible profond des déchets radioactifs, l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a conclu, le 23 octobre 2013, plusieurs contrats de conception de maîtrise d'œuvre dont un contrat de maîtrise d'œuvre système (Moe-S) et plusieurs contrats de maîtrise d'œuvre sous-système (Moe-SS). Le lot n° 3, s'agissant de la maîtrise d'œuvre sous-système 3 (Moe-SS3) du projet B... et portant sur les " installations conventionnelles de surface ", a été attribué, par un contrat signé le 28 octobre 2013, au groupement composé de la société SNC Lavalin (aujourd'hui dénommée Edeis Ingénierie), mandataire, la société B Valero - F Gadan, la sociétés Hyl - Hannetel et Yver et la société Blaser et Schott architectes, pour un montant forfaitaire maximum de 6 809 384,80 euros hors taxes (HT), comportant une phase d'avant-projet sommaire, une phase d'avant-projet définitif, une assistance à maîtrise d'ouvrage relative aux dossiers réglementaires et des prestations complémentaires éventuelles, pour une durée maximale de 44 mois. Par une décision en date du 24 novembre 2016, l'Andra a notifié au groupement la résiliation du contrat sur le fondement de l'article 31.1 du livre I du cahier des dispositions générales applicables aux contrats de l'Andra. A la suite des précisions apportées par le groupement s'agissant de la détermination du solde du marché et de l'indemnité de résiliation, l'Andra a arrêté le décompte de résiliation par décision notifiée le 5 avril 2017.
2. La société Edeis, la société B Valero - F Gadan et la société Hyl - Hannetel et Yver ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans une première requête, la rectification du décompte de résiliation et la fixation de ce décompte à la somme de 1 651 578 euros HT au titre des prestations réalisées, à la somme de 1 108 640,96 euros HT au titre des indemnités de résiliation, sommes assorties des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement et à ce que l'Andra soit condamnée à leur verser les intérêts moratoires et l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement relatifs aux retenues de garanties auxquelles elle a procédé pour un montant de 209 214,29 euros HT. Par cette requête et par une seconde requête, la société Edeis a également demandé à être indemnisée à hauteur de 642 222,83 euros HT au titre des frais de démobilisation de chefs de projet pour la période entre mars et décembre 2015, à hauteur de 3 000 000 d'euros HT au titre de la perte de chance et à hauteur de 181 401,64 euros au titre des frais de licenciement de personnels provoqués par la résiliation du marché. Par une troisième requête, la société Hyl - Hannetel et Yver a demandé également à être indemnisée à hauteur de 33 631,57 euros HT au titre des frais de démobilisation des chefs de projet pour la période entre mars et décembre 2015 et à hauteur de 500 000 euros HT au titre de la perte de chance. La société B Valero - F Gadan a également demandé, par cette requête, à être indemnisée à hauteur de 800 000 euros HT au titre de la perte de chance.
3. Les sociétés requérantes demandent l'annulation de l'article 4 du jugement attaqué et de rectifier le décompte de résiliation en condamnant l'Andra à leur régler la somme de 1 651 578 euros HT pour les prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, augmentée des intérêts moratoires, de condamner l'Andra à leur verser la somme correspondant aux intérêts moratoires au titre des retenues de garanties ainsi que l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, de condamner l'Andra à verser à la société Edeis la somme de 642 222,83 euros au titre des frais subis par la démobilisation des chefs de projet entre mars 2015 et le 6 décembre 2015 faute de lancement des études APD dans la suite des études APS, de condamner l'Andra à verser à la société Hyl - Hannetel et Yver la somme de 33 631,57 euros au titre des frais subis par la démobilisation et le licenciement des chefs de projet entre mars 2015 et le 6 décembre 2015, d'augmenter l'indemnité de résiliation d'une somme correspondant à 13 % des prestations restant à réaliser au titre de la perte des frais généraux et d'une somme de 468 257,78 euros au titre des charges de personnels insusceptibles d'être redéployés immédiatement après la résiliation, augmentée des intérêts moratoires et de l'indemnité pour frais de recouvrement, de condamner l'Andra à verser à la société Edeis la somme de 3 millions d'euros au titre de la perte de chance et la somme de 181 401,64 euros au titre des frais de licenciement à la suite de la résiliation, de condamner l'Andra à verser à la société B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture un montant de 800 000 euros et au bénéfice de la société Hyl - Hannetel et Yver un montant de 500 000 euros au titre de la perte de chance, de condamner l'Andra à verser la capitalisation des intérêts moratoires, de rejeter ses conclusions reconventionnelles, et de mettre à la charge de l'Andra la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 31.1 du livre 1 du cahier des dispositions générales (CDG) applicables aux contrats de l'Andra : " Sans préjudice des cas légaux de résiliation, l'Andra peut à tout moment résilier, en cours d'exécution, sans formalités judiciaires, le contrat pour la partie non exécutée, moyennant indemnité (...) le titulaire peut recevoir une indemnité dans la limite du préjudice certain et direct qu'il a subi et dont il doit faire la preuve. A peine de forclusion, la demande écrite et justifiée du titulaire parviendra à l'Andra dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision de cette dernière (...) ".
5. Les sociétés requérantes soutiennent que le tribunal administratif a entaché d'irrégularité le jugement attaqué en retenant que les demandes relatives au préjudice de perte de chance et celui allégué par la société Edeis tenant aux frais de licenciement de personnels provoqués par la résiliation du marché étaient tardives et par suite irrecevables, alors qu'elles n'étaient pas en mesure de produire des demandes sur ces chefs de préjudices dans le délai de trente jours prévu par l'article 31.1 du livre 1 du cahier des dispositions générales applicables aux contrats de l'Andra, ces préjudices n'étant, selon les requérantes, ni identifiables ni évaluables dans ce délai. Toutefois, aucune dispense ou report de forclusion n'est prévu, permettant de présenter des demandes nouvelles relatives à des préjudices non mentionnés dans la demande formée dans le délai de trente jours précité.
6. Or, il n'est pas contesté que la lettre de résiliation du 24 novembre 2016, notifiée le 26 novembre 2016, rappelait que le groupement devait transmettre dans un délai de trente jours à compter de la notification de cette résiliation, toutes les justifications de nature à déterminer le solde des prestations exécutées et à fixer l'indemnité de résiliation. Les sociétés requérantes ont répondu à cette lettre de résiliation par une lettre du 22 décembre 2016, sans mentionner ces deux préjudices, portant sur une perte de chance et sur des frais de licenciement de personnel provoqués par la résiliation du marché. Ce n'est que le 24 janvier 2018 et le 1er août 2018 que ces sociétés requérantes ont adressé à l'Andra une réclamation sur ces deux types de préjudice.
7. Par ailleurs, les sociétés requérantes soutiennent que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de ce que le montant de 840 000 euros HT retenu par l'Andra au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 ne prenait pas en compte les dépenses exposées par le maître d'œuvre pour répondre aux modifications unilatérales du contrat. Toutefois, le tribunal administratif a bien répondu à ce moyen au paragraphe 19 du jugement en précisant que le montant de ces prestations devait être arrêté à la somme de 840 000 euros HT calculée par l'Andra en prenant en compte le coût des livrables pour moitié, ceux-ci correspondant à des productions réellement nouvelles et que les allégations des sociétés requérantes sur la mobilisation importante de moyens mensuels ne contredisaient pas les constatations faites par l'Andra.
8. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté comme irrecevables, pour tardiveté, ces demandes indemnitaires.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées par l'Andra et écartées par le tribunal :
9. L'Andra soutient que le tribunal administratif aurait dû rejeter comme irrecevable la demande d'indemnisation des frais de démobilisation des chefs de projets à la suite du report du lancement des études APD pour la période de mars 2015 au 6 décembre 2015, au motif que cette demande a été formée au-delà du délai de trente jours, prévu par les dispositions précitées de l'article 31.1 du livre I du cahier des dispositions générales applicables aux contrats de l'Andra.
10. Toutefois, il y a lieu d'écarter cette fin de non-recevoir par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif.
11. Par ailleurs, l'Andra soutient également qu'en application de l'avenant n° 1 au contrat, aucune réclamation ne pouvait porter sur cette période de mars au 6 décembre 2015, dès lors que cet avenant prévoyait que les parties s'engageaient à n'introduire postérieurement à sa signature, aucune réclamation financière ou opérationnelle portant sur le périmètre de la phase APS. Cependant, l'article 1er de l'avenant avait pour objet la prise en compte des incidences financières de la finalisation de la phase APS et du démarrage de la phase APD selon les modifications induites par la fiche modificative n° 42 et par la suppression de certaines prestations. Cet avenant ayant un objet plus large que la seule phase APS, la clause de renonciation à tout recours doit être regardée comme ne pouvant couvrir l'ensemble du champ de cet avenant et notamment pas la période s'intercalant entre la phase APS et la phase APD.
En ce qui concerne la demande indemnitaire du groupement au titre des prestations réalisées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 :
12. Aux termes du I de l'article 2 de la loi du 12 juillet 1985 : " Le maître de l'ouvrage est la personne morale, mentionnée à l'article premier, pour laquelle l'ouvrage est construit. Responsable principal de l'ouvrage, il remplit dans ce rôle une fonction d'intérêt général dont il ne peut se démettre. Il lui appartient, après s'être assuré de la faisabilité et de l'opportunité de l'opération envisagée, d'en déterminer la localisation, d'en définir le programme, d'en arrêter l'enveloppe financière prévisionnelle, d'en assurer le financement, de choisir le processus selon lequel l'ouvrage sera réalisé et de conclure, avec les maîtres d'œuvre et entrepreneurs qu'il choisit, les contrats ayant pour objet les études et l'exécution des travaux (...) Le maître de l'ouvrage définit dans le programme les objectifs de l'opération et les besoins qu'elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d'insertion dans le paysage et de protection de l'environnement, relatives à la réalisation et à l'utilisation de l'ouvrage (...) ". Aux termes de l'article 9 de cette loi : " la mission de maîtrise d'œuvre donne lieu à une rémunération forfaitaire fixée contractuellement. Le montant de cette rémunération tient compte de l'étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux ". Aux termes de l'article 30 du décret du 29 novembre 1993 visé ci-dessus : " Le contrat de maîtrise d'œuvre précise, d'une part, les modalités selon lesquelles est arrêté le coût prévisionnel assorti d'un seuil de tolérance, sur lesquels s'engage le maître d'œuvre, et, d'autre part, les conséquences, pour celui-ci, des engagements souscrits (...) En cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l'ouvrage, le contrat de maîtrise d'œuvre fait l'objet d'un avenant qui arrête le programme modifié et le coût prévisionnel des travaux concernés par cette modification, et adapte en conséquence la rémunération du maître d'œuvre et les modalités de son engagement sur le coût prévisionnel ".
13. Il résulte de ces dispositions que le titulaire d'un contrat de maîtrise d'œuvre est rémunéré par un prix forfaitaire couvrant l'ensemble de ses charges et missions, ainsi que le bénéfice qu'il en escompte, et que seule une modification de programme ou une modification de prestations décidée par le maître de l'ouvrage peut donner lieu à une adaptation et, le cas échéant, à une augmentation de sa rémunération. Dans l'hypothèse où une modification du programme ou des prestations a été décidée par le maître de l'ouvrage, le droit du maître d'œuvre à l'augmentation de sa rémunération est uniquement subordonné à l'existence de prestations supplémentaires de maîtrise d'œuvre utiles à l'exécution des modifications décidées par le maître de l'ouvrage. En revanche, ce droit n'est subordonné, ni à l'intervention de l'avenant qui doit normalement être signé en application des dispositions précitées de l'article 30 du décret du 29 novembre 1993, ni même, à défaut d'avenant, à une décision par laquelle le maître d'ouvrage donnerait son accord sur un nouveau montant de rémunération du maître d'œuvre. La prolongation de sa mission n'est de nature à justifier une rémunération supplémentaire du maître d'œuvre que si elle a donné lieu à des modifications de programme ou de prestations décidées par le maître d'ouvrage. En outre, le maître d'œuvre ayant effectué des missions ou prestations non prévues au marché de maîtrise d'œuvre et qui n'ont pas été décidées par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces missions ou prestations, nonobstant le caractère forfaitaire du prix fixé par le marché si elles ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si le maître d'œuvre a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
14. Aux termes de l'article 19 du cahier des dispositions générales (CDG) applicables aux contrats de l'Andra : " Modifications des prestations en cours d'exécution / Les modifications qui, au cours de l'exécution du contrat, s'avèrent indispensables à sa bonne réalisation, doivent faire l'objet de propositions écrites motivées, adressées à l'Andra antérieurement à leur exécution. / L'Andra se réserve le droit d'apporter, en cours d'exécution des prestations, et dans des conditions financières à débattre, des modifications, extensions ou suppressions qui lui paraissent utiles. / Toute modification des prestations en cours d'exécution du contrat ayant une incidence sur les prix ou les délais doit faire l'objet d'un avenant avant sa mise en œuvre. Toute autre modification mineure doit faire l'objet d'un ordre de service avant sa mise en œuvre. ".
15. Aux termes de l'article 10.2.5 de l'annexe 6 " Spécifications de management " au contrat du 28 octobre 2013 dans sa version du 26 août 2013 : " Maîtrise de la configuration / Pour garantir, à tout moment, la conformité de l'état de conception réellement constaté du produit B... à ses spécifications techniques, toutes les modifications de configuration doivent être maîtrisées et par conséquent contrôlées. / Pour cela, le MOe-S met en place un processus formel de gestion de toutes les modifications demandées du produit par rapport à cette référence, auquel participent les MOe-SS pour leurs périmètres respectifs (...) Les supports documentaires permettant de tracer ce traitement sont : / Les demandes de modification (DM) / Les fiches de modification (FM), pour les évolutions envisagées (demandes de modifications) (...) Ouverture d'une FM / La FM est ouverte, codifiée et remplie initialement par le MOe-S (FM dite FM " mère "). Des FM " filles " sont ouvertes pour complément spécifique par le MOe-S, l'ANDRA ou le(s) MOe-SS concernés(s) (...) La FM " mère " porte la synthèse des éléments présentés dans les FM " filles ", et les liens vers les FM " filles " (...) ".
16. Les sociétés requérantes demandent le versement, au titre des prestations réalisées pendant cette période, de la somme de 1 651 578 euros hors taxes assortie des intérêts moratoires calculés conformément à l'article 8 du décret du 29 mars 2013 et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, au lieu de la somme de 840 000 euros évaluée par l'Andra et reprise par le tribunal administratif dans son jugement.
17. Elles soutiennent que l'Andra a mis en place un mécanisme de gestion de projet transitoire commun à l'ensemble des maîtres d'œuvre, dite phase " ramp-up ", ayant pour effet d'envoyer des ordres de service avant l'émission d'une fiche modificative en méconnaissance des termes de l'article 10.2.5 du contrat, de procéder à des modifications substantielles du contrat en méconnaissance de l'article 19 du cahier des dispositions générales applicables aux contrats de l'Andra, et ainsi d'excéder le cadre de son pouvoir de modification unilatérale. Elles précisent qu'en se plaçant ainsi en dehors des limites du contrat, et en l'absence de tout avenant, les prestations demandées par l'Andra, dont il n'est pas contesté qu'elles revêtaient un caractère utile, et qui ont conduit, selon les requérantes, à la prise en compte de nouveaux besoins et à une augmentation des livrables de 369 à 3 208, ainsi qu'à un renchérissement des conditions d'exécution et à une sur-mobilisation des ressources dédiées aux études, auraient dû faire l'objet d'un paiement pour un montant correspondant aux dépenses engagées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 à hauteur de la somme de 1 651 578 euros.
18. Toutefois, cette nouvelle phase d'assistance pour la définition du contenu des études de la phase APD dite " ramp up " a été décidée par l'Andra dans le but d'éviter les difficultés rencontrées lors du déroulement de la phase APS et de mieux préparer le lancement de la phase APD. L'Andra a ainsi notifié deux ordres de service, n° 3 et n° 5, conformément aux stipulations de l'annexe 6 du contrat qui prévoyait la possibilité de modifier le déroulement des études par l'intermédiaire de fiches de modifications, afin de permettre le démarrage progressif de la phase APD, comme cela avait été réalisé pour la phase APS, et d'adapter le déroulement des études de cette phase pour préparer le traitement de la fiche modificative FM041. Comme l'a retenu à bon droit le tribunal administratif, ces deux ordres de service portaient à la fois sur des prestations déjà prévues au contrat, notamment les livrables, et sur des prestations supplémentaires, reprises dans la FM041. Par ailleurs, l'article 10.2.5 de l'annexe 6 du contrat ne mentionne aucunement qu'une fiche modificative ne pourrait être précédée d'ordres de service ayant pour objet d'en assurer la préparation et d'en arrêter les modalités. En outre, le cahier des charges particulier de la maîtrise d'œuvre sous-système 3 " installations conventionnelles de surface " prévoyait au titre de la phase APD une phase de préparation avec un Japd 01, destiné au choix d'une solution APD Système, et un Japd 02, destiné à arrêter les optimisations à la suite de l'analyse de la valeur. Ainsi, les adaptations prévues par l'Andra au titre de la phase dite de " ramp up " étaient prévues dans leur principe dès le contrat initial et ont consisté, non pas en une demande de prestations excédant les limites du contrat, mais en une demande portant à la fois sur des demandes initiales figurant au contrat, sur des demandes de prestations ayant fait l'objet d'adaptations et enfin sur des demandes supplémentaires mais ne pouvant être regardées comme consistant en des modifications substantielles des prestations initialement prévues.
19. Les prestations demandées, au titre de cette phase transitoire, ont été arrêtées par l'Andra à la somme de 840 000 euros hors taxes, dont 600 000 euros au titre des livrables. L'Andra a retenu qu'une partie de ces livrables consistait en une simple évolution de documents produits ou n'avait pas atteint le niveau de documents de la catégorie " document final ". Par ailleurs, dès lors que ces prestations étaient déjà prévues dans le forfait du contrat, il n'y avait pas lieu de prendre en compte les prestations annexes que le groupement intègre dans ses demandes et qui se monte à 710 970 euros, composé de frais d'administration du dossier de gestion documentaire, de recours à un " contract manager " et à un avocat, de réunions, de frais divers tels des déplacements et des frais d'assurance pour 34 livrables considérés comme étant à un stade final. Ces éléments n'étant pas sérieusement contestés par les entreprises requérantes, il y a lieu de retenir ce montant de 600 000 euros hors taxes, au titre des livrables. Par ailleurs, il y a lieu de prendre en compte l'intervention pendant cette période d'un ingénieur P3 à mi-temps pour un montant de 39 900 euros. Enfin, et pour les mêmes motifs que ceux mentionnées par le jugement du tribunal administratif, il y a lieu de retenir que l'instruction de la fiche modificative FM041 a nécessité le démarrage graduel de la phase APD et comporté des prestations supplémentaires pouvant être évaluées à la somme de 200 000 euros, comme l'a retenu le tribunal administratif. Il y a donc lieu de fixer la somme due au titre des prestations effectuées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 à la somme de 839 900 euros.
En ce qui concerne la demande d'octroi des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement :
20. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif, de rejeter la demande tendant à l'octroi des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement au motif d'un remboursement tardif des retenues de garantie par l'Andra.
En ce qui concerne la demande relative aux frais de démobilisation du personnel consécutifs au report de lancement des études :
21. Les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.
22. La société Edeis demande, à ce titre, l'indemnisation de son préjudice pour un montant de 642 222,83 euros, incluant les rémunérations brutes et les cotisations patronales, de six chefs de projet dédiés à l'exécution du contrat signé le 28 octobre 2013, dès lors que faute de poursuite des études APD après mars 2015, et ce jusqu'au 6 décembre 2015, ces personnels ont cessé leurs activités et n'ont pu être déployés sur d'autres missions. La société Hyl - Hannetel et Yver demande, sur ce même fondement, l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 33 631,57 euros.
23. Les sociétés requérantes soutiennent qu'à l'issue de la phase APS, prenant fin en mars 2015, six chefs de projet de la société Edeis et à partir du mois de mars 2015 trois personnes de la société Hyl - Hannetel et Yver ont dû cesser leurs études, sans qu'il soit possible de les réaffecter sur d'autres projets ou activités. Toutefois, d'une part, le report du début de la phase APD a été traité dans le cadre de la fiche modificative FM042, ayant donné lieu à un avenant n° 1 ayant pour objet la prise en compte des conséquences financières de la finalisation de l'APS et de la préparation au démarrage de l'APD. Par ailleurs, les entreprises requérantes ne contestent pas avoir dû engager une étude préparatoire pour le début de la phase APD et instruire la FM042 à compter du mois de mai 2015, sans justifier comment ce surcroît d'activité serait compatible avec une démobilisation de chefs de projets. Enfin, le licenciement des trois salariés de la société Hyl - Hannetel et Yver est intervenu en avril 2016, cinq mois après le début de la phase APD et traduit en fait un désengagement progressif de cette société de ses obligations contractuelles ayant conduit à la décision de résiliation. Par suite, ces demandes ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne les demandes relatives à l'indemnité de résiliation et la demande incidente de l'Andra :
24. Lorsqu'une société est titulaire d'un marché, elle établit ses prix en additionnant, d'une part, l'ensemble des charges résultant pour elle de l'exécution du marché, et notamment la quote-part des frais généraux affecté à ce marché, et, d'autre part, la marge bénéficiaire de ce marché. Si, dans l'hypothèse où ce marché est résilié, l'entreprise peut demander une indemnité au titre des bénéfices normalement attendus de l'exécution des travaux restant à effectuer, qui comprend alors nécessairement la quote-part des frais généraux, elle ne peut en revanche obtenir une indemnisation spécifique d'un préjudice au titre de ses frais généraux que si elle établit, de manière directe et certaine, que la résiliation a par elle-même engendré un surcoût de ses frais généraux.
S'agissant de la perte de bénéfice attendu du groupement et des conclusions en appel incident de l'Andra :
25. Lorsque le juge est saisi d'une demande d'indemnisation du manque à gagner résultant de la résiliation unilatérale d'un marché public pour motif d'intérêt général, il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un préjudice et en évaluer le montant, de tenir compte du bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d'un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié.
26. Il résulte de l'instruction et notamment du décompte de résiliation notifié le 5 avril 2017 par l'Andra, que celle-ci a fixé le montant de l'indemnité due au groupement au titre de son manque à gagner à la somme de 58 347 euros HT. Dans sa lettre du 27 janvier 2017, le groupement estimait la perte des bénéfices qu'il aurait pu escompter si le marché n'avait pas été résilié à un montant de 90 637,16 euros HT, montant porté à 108 764,60 euros dans sa requête, après assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. L'Andra soutient que la perte de bénéfice devait s'établir à la somme de 58 347 euros, de sorte qu'elle n'était pas redevable de la somme de 4 500,41 euros au titre de l'indemnité de résiliation.
27. Les requérantes soutenaient en première instance que les prestations restant à réaliser, servant de base au calcul de ce bénéfice attendu compte tenu d'un taux de marge non contesté par l'Andra de 3 %, s'élevaient à un montant total de 3 021 238,75 euros HT, composé d'une somme de 2 419 884,77 euros HT au titre des prestations de l'APD prévues au contrat, d'une somme de 436 325 euros HT au titre des prestations complémentaires prévues au contrat et d'une somme de 165 028,98 euros HT au titre des prestations relatives à la préparation des dossiers réglementaires. Seule cette dernière somme n'est pas contestée par l'Andra.
28. Il résulte de ce qui a été dit au point 19 que la somme due au titre des prestations effectuées entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016 doit être fixée à un montant de 839 900 euros, comprenant un montant de 639 900 euros au titre des prestations exécutées en référence aux livrables présentées par le groupement à hauteur de 600 000 euros hors taxes, un montant de 39 900 euros hors taxes au titre d'un ingénieur mobilisé entre août et novembre 2016 et de 200 000 euros au titre des prestations supplémentaires liées à l'instruction de la FM041. Ces dernières prestations supplémentaires étant, d'une part, à ajouter au montant des sommes prévues au contrat initial de 2 419 884,77 euros HT et de la somme de 165 028,28 euros au titre des dossiers réglementaires, somme non contestée par l'Andra, et, d'autre part, à déduire des sommes prises en compte au titre des prestations réalisées, il y aurait lieu, selon l'Andra, pour calculer le montant du manque à gagner résultant de la résiliation du marché, de déduire la somme de 639 900 euros du montant total de 2 584 916,05, comprenant les sommes de 2 419 888,17 euros et de 165 028,28 euros, pour obtenir le montant de 1 945 016,45 euros. Dès lors, le manque à gagner auquel aurait droit le groupement requérant selon l'Andra s'élèverait, après application d'un taux de marge non contesté de 3 %, à la somme de 58 347 euros. Si l'Andra soutient, dans le cadre de son appel incident, que les sociétés requérantes ne pouvaient demander une indemnisation correspondant à la différence entre la somme de 62 847,41 euros hors taxes et la somme de 58 347 euros qu'elle leur avait versée, soit une somme de 4 500,41 euros hors taxes, il résulte de l'instruction que le montant des prestations livrables, estimé à un montant de 600 000 euros, correspond à la fois, sans que cela soit contesté par l'Andra, à des prestations prévues initialement au marché et à des prestations supplémentaires. L'Andra n'apportant aucun élément de nature à évaluer les montants respectifs entre ces deux types de prestations, son appel incident tendant à remettre en cause le montant du manque à gagner arrêté par le tribunal administratif doit être rejeté.
S'agissant de la demande d'indemnisation au titre de la perte de frais généraux :
29. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif, de rejeter cette demande.
S'agissant de la demande de paiement des charges afférentes au personnel qui n'aurait pu être redéployé après la résiliation du contrat :
30. Les sociétés requérantes soutiennent qu'elles ont subi des pertes dues aux charges afférentes au personnel qui n'aurait pu être redéployé après la résiliation du contrat pour un montant de 468 257,78 euros, en raison de leur spécialisation. Toutefois, elles n'apportent pas d'éléments suffisamment probants au soutien de leurs allégations, notamment en ce qui concerne le licenciement de M. E... qui n'est intervenu qu'en décembre 2017, soit un an après la résiliation du marché et de M. A... qui n'est intervenu qu'en août 2017, soit huit mois après cette résiliation. Il y a ainsi lieu de rejeter cette demande d'indemnisation.
En ce qui concerne le décompte de résiliation :
31. Il résulte de ce qui précède que les conclusions des sociétés requérantes portant sur l'indemnité de résiliation et les conclusions d'appel incident présentées par l'Andra portant sur le montant du décompte de résiliation doivent être rejetées.
En ce qui concerne la capitalisation des intérêts moratoires :
32. La capitalisation des intérêts ayant été demandée pour la première fois par le groupement requérant dans son mémoire enregistré le 22 avril 2022, il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle était due, pour la première fois, une année entière d'intérêts.
En ce qui concerne les demandes d'expertise :
33. Le groupement requérant demande qu'il soit ordonné avant-dire-droit une expertise aux fins de déterminer si les modifications imposées par l'Andra au cours de l'exécution du contrat dépassaient le cadre de ce contrat, de se prononcer sur l'ampleur de ces modifications, afin de déterminer le montant des prestations dues, de se prononcer sur la portée des modifications unilatérales décidées par l'Andra en ce qui concerne les frais de démobilisation de personnel consécutifs au report des études APD, de se prononcer sur les frais supportés par les sociétés requérantes à compter du 6 décembre 2015, sur les effets de la FM041 sur les prestations à réaliser, sur les livrables produits entre le 6 décembre 2015 et le 24 novembre 2016, d'indiquer si les avances résultant des ordres de service émis à compter du 6 décembre 2015 s'inscrivaient dans le cadre du contrat et des modalités de rémunération de la phase APD, de se prononcer sur l'importance des moyens mobilisés à compter du 6 décembre 2015 et sur les modalités de calcul de l'Andra pour déterminer le montant des prestations réalisées. Toutefois, cette demande d'expertise ne présente aucune utilité, les justificatifs présents au dossier étant suffisants pour trancher le litige, de sorte que cette demande d'expertise doit être rejetée.
34. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a arrêté le montant du décompte de résiliation à la somme de 12 266,44 euros hors taxes et que, la somme de 7 766 euros ayant déjà été réglée par l'Andra, le groupement dont la société Edeis est mandataire a droit au paiement de la somme de 4 500,41 euros HT, assortie des intérêts moratoires à compter du 5 avril 2017 et de l'indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement. Les sociétés requérantes sont en revanche fondées à demander que cette somme soit assortie de la capitalisation des intérêts à compter du 22 avril 2022.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
35. L'Andra n'étant pas la partie perdante à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par les entreprises requérantes tendant à mettre une somme à sa charge. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des entreprises requérantes, soit la société Edeis Ingeniérie, la société B. Valero-F. Gadan SAS d'architecture et la société Hyl - Hannetel et Yver, une somme à verser à l'Andra au titre des mêmes dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 4 500,41 euros HT que l'Andra a été condamnée à verser aux sociétés Edeis Ingeniérie, B. Valero-F. Gadan SAS d'Architecture et Hyl - Hannetel et Yver sera assortie des intérêts au taux moratoire à compter du 5 avril 2017. Les intérêts échus à compter du 22 avril 2022, puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement nos 1711980-1903710-1912324 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 25 novembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de l'Andra sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Edeis Ingeniérie, à la société B. Valero-F. Gadan SAS d'Architecture, à la société Hyl - Hannetel et Yver et à l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2025.
Le rapporteur,
J-E. PilvenLe président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE00183 2