Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Quai 22 a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune d'Orléans à lui verser la somme de 135 102 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2020.
Par un jugement n° 2003567 du 22 juin 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 août 2023, la SAS Quai 22, représentée par Me Lavisse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune d'Orléans à lui verser la somme de 135 102 euros en réparation de ses préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2020 ;
3°) et de mettre à la charge de la commune d'Orléans la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation et une erreur de droit ;
- ses conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité contractuelle sont recevables dès lors qu'elle a lié le contentieux en effectuant une réclamation préalable concernant les préjudices relatifs à la période du 23 septembre 2017 au 31 décembre 2017 ;
- la responsabilité de la commune d'Orléans est engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sur la période du 23 septembre 2017 au 31 décembre 2017, dès lors qu'elle n'a pas mis à sa disposition des locaux conformes pour l'exploitation du bateau et qu'elle a subi des préjudices qui doivent être indemnisés à hauteur de 13 350 euros ;
- la responsabilité de la commune d'Orléans est engagée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à compter de 2018 ;
- elle a subi des préjudices financiers à hauteur de 104 752 euros ainsi qu'un préjudice moral qui doit être indemnisé à hauteur de 17 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 7 mai 2024, la commune d'Orléans, représentée par Me Rainaud, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Quai 22 la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les conclusions indemnitaires sont irrecevables et qu'en tout état de cause, les moyens ne sont pas fondés.
La clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat le 18 octobre 2024, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des transports ;
- le code général des propriétés des personnes publiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aventino,
- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,
- et les observations de Me Tissier-Lotz pour la commune d'orléans.
Considérant ce qui suit :
1. La commune d'Orléans, propriétaire d'un bateau nommé " L'Inexplosible n°22 ", a conclu le 28 avril 2016 avec la SAS Quai 22 une convention d'occupation du domaine public portant sur la mise à disposition de ce bateau pour une durée de dix mois, en vue de l'exploitation d'une activité de restauration-bar. Le 26 janvier 2017, la commune et la SAS Quai 22 ont conclu un avenant pour prolonger la convention d'occupation pour une durée d'un an, soit jusqu'au 31 décembre 2017. Le 30 juin 2017, à la suite d'une inspection du bateau, la sous-commission départementale de sécurité a émis un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de l'établissement, pour défaut de validité du certificat de navigation. Le préfet du Loiret a ordonné la fermeture administrative du bateau le 23 septembre 2017. À l'issue d'une nouvelle visite réalisée le 14 juin 2018, la commission départementale de sécurité a émis, le 29 juin 2018, un avis favorable à la réouverture du bateau. La SAS Quai 22 fait appel du jugement n° 2003567 du 22 juin 2023 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune d'Orléans au paiement de la somme totale de 135 102 euros en réparation des préjudices résultant de l'arrêt de l'exploitation du navire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 " Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".
3. Il résulte de l'instruction que la société requérante a formulé une demande indemnitaire préalable, par un courrier du 19 juin 2020, sur le terrain contractuel afin de se voir indemniser l'impossibilité d'exploiter le bateau pendant la fermeture administrative. Il résulte également de ce courrier que sa demande est chiffrée à hauteur de 13 350 euros concernant la période s'étendant du 23 septembre 2017 au 31 décembre 2017. Dans ces conditions, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté, pour absence de liaison du contentieux, ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices en lien avec l'engagement de la responsabilité contractuelle de la commune. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de régularité invoqués par la société requérante, le jugement n° 2003567 du 22 juin 2023 du tribunal administratif d'Orléans doit être annulé.
4. Il y a lieu de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par la société SAS Quai 22 devant le tribunal administratif d'Orléans.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune à la demande de première instance :
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 du présent arrêt que la SAS Quai 22 avait lié le contentieux pour les préjudices qu'elle estime avoir subis sur la période du 23 septembre 2017 au 31 décembre 2017. Par suite la fin de non-recevoir y afférente, opposée par la commune d'Orléans, ne peut qu'être écartée.
Sur la responsabilité :
En ce qui concerne la demande d'indemnisation fondée sur la responsabilité contractuelle :
S'agissant de l'existence d'un lien contractuel entre la commune et la SAS Quai 22 :
6. Si la commune soutient que la convention était arrivée à échéance le 31 décembre 2016, qu'elle n'a pas pu être renouvelée par un avenant postérieur à son terme, et que par conséquent, la requérante ne peut prétendre à aucune indemnisation sur un fondement contractuel, il résulte de l'instruction que la commune et la SAS Quai 22 ont conclu un avenant, le 26 janvier 2017, ayant pour objet de prolonger la convention d'occupation du 1er janvier au 31 décembre 2017. Dans ces conditions, l'absence de lien contractuel opposé par la commune ne peut qu'être écarté.
S'agissant de la faute :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 4000-3 du code des transports, dans sa version applicable : " Pour l'application de la présente partie, sont respectivement dénommés :/ 1° Bateau : toute construction flottante destinée principalement à la navigation intérieure ; / 2° Engin flottant : toute construction flottante portant des installations destinées aux travaux sur les eaux intérieures ; / 3° Etablissement flottant : toute construction flottante qui n'est pas normalement destinée à être déplacée (...) ". Aux termes de l'article L. 4221-1 du code des transports : " Le bateau doit avoir à son bord un titre de navigation correspondant à sa catégorie et à celle de la voie d'eau ou du plan d'eau emprunté. ". Et aux termes de l'article D. 4220-1 du même code : " Tout bateau, engin flottant, établissement flottant ou navire, entrant dans le champ d'application du présent titre, est muni d'un titre de navigation en cours de validité, délivré dans les conditions définies au présent titre ou d'un titre équivalent mentionné à l'article D. 4221-6. "
8. D'autre part, aux termes de l'article 4 de la convention d'occupation conclu entre la société requérante et la commune " la mairie précise, qu'en ce qui incombe, l'état actuel des lieux loués permet physiquement et juridiquement cette exploitation (...) ". Aux termes de l'article 6.2 de cette même convention : " Le bateau loué répond aux normes administratives exigées en matière d'hygiène, de sécurité, de salubrité publique et de navigation ou autre au jour de sa mise en location ".
9. Il résulte de l'instruction que le bateau loué par la commune d'Orléans à la société Quai 22 ne disposait plus d'un titre de navigation valide depuis le 29 mars 2016. Il résulte en outre d'un courriel du bureau de la sécurité des bateaux de la direction régionale et interdépartementale de l'équipement et de l'aménagement d'Île-de-France que la commune avait été informée dès le 9 juin 2017 de la difficulté liée à cette absence de titre de navigation du fait de l'expiration de son titre provisoire le 29 mars 2016. Dès lors, en ne mettant pas à disposition de la société Quai 22 un bateau conforme aux normes exigées pour la navigation, la commune d'Orléans a méconnu ses obligations contractuelles et commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
S'agissant du lien de causalité et des préjudices :
10. En premier lieu, si la commune fait valoir que la fermeture du bateau a été ordonnée par le préfet du Loiret et qu'elle ne disposait d'aucun pouvoir d'appréciation, il résulte de l'instruction que la sous-commission départementale de sécurité a émis, le 30 juin 2017, un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation de cet établissement au regard du défaut de validité du certificat de navigation. La faute de la commune a donc entrainé la fermeture administrative du bateau et a causé à la société requérante une perte d'activité sans qu'aucune faute imputable à celle-ci soit de nature à exonérer la commune.
11. En second lieu, aux termes de l'article 6.1 de la convention d'occupation : " l'occupant prendra possession de tous les éléments mis à sa disposition dans l'état où ils se trouveront le jour de son entrée en jouissance sans pouvoir prétendre à aucune indemnité pour quelque cause que ce soit notamment en cas d'erreur, de défaut ou de non-conformité des lieux avec une réglementation quelconque ".
12. Si la commune soutient que la société requérante ne peut prétendre à aucune indemnisation au regard de la clause précitée, il résulte de l'instruction que celle-ci est insérée dans le paragraphe " état des lieux " de la convention, et ne concerne que l'état général du bateau à la date de sa mise à disposition à la société SAS Quai 22. Ainsi, cette stipulation, qui par ailleurs doit être lue au regard des stipulations précitées des articles 4 et 6.2 de la même convention, n'a ni pour objet, ni pour effet d'écarter tout droit à indemnisation du préjudice né du défaut de certificat de navigation.
En ce qui concerne le montant de l'indemnisation :
Quant à la perte d'activité :
13. La commune d'Orléans produit un rapport d'un expert-comptable faisant apparaitre un préjudice de 12 555 euros pour la société requérante au titre de la perte d'activité pour la période allant de septembre à décembre 2017. Ce calcul est établi, pour le mois de septembre 2017, par référence au chiffre d'affaires du mois de septembre 2015, qui intègre la manifestation des Fêtes de Loire, et qui a été communiqué par la précédente société exploitante du bateau. La perte d'activité pour la période d'octobre à décembre 2017 a, quant à elle, été calculée en référence au chiffre d'affaires de 2016 sur cette même période. Il y a lieu de déduire de cette somme les charges que la société n'a pas eu à exposer, soit 2 400 euros, correspondant à la suspension des loyers octroyée par la commune. Il n'y a pas lieu en revanche de déduire de cette somme la valorisation des " compensations " qu'elle a mises en œuvre afin de limiter la perte d'exploitation de la société requérante, et qui ont permis une moindre perte de chiffre d'affaires. Par conséquent, la commune doit verser à la société Quai 22 la somme de 10 155 euros en réparation du préjudice lié à la perte d'activité.
Quant à la perte de revenu du dirigeant de la SAS Quai 22 :
14. Si la société requérante soutient que la perte de revenu de son dirigeant doit être indemnisée à hauteur de 7 087 euros, elle n'apporte aucun élément de nature à apprécier la somme demandée à ce titre et se borne à se référer à la somme proposée par le rapport de l'expert-comptable de la commune qui est, par ailleurs, contestée par cette dernière. Il n'y a donc pas lieu d'accorder d'indemnisation pour la perte de revenu du dirigeant de la SAS Quai 22.
En ce qui concerne la demande d'indemnisation fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle
15. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. ". Aux termes de l'article L. 2122-1 du même code : " L'autorisation mentionnée à l'article L. 2122-1 présente un caractère précaire et révocable. ". Aux termes de l'article R 2122-1 du même code " L'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être consentie, à titre précaire et révocable, par la voie d'une décision unilatérale ou d'une convention. ". Eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l'existence de relations contractuelles en autorisant l'occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l'autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales ; qu'en conséquence, une convention d'occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit.
16. Il résulte des principes généraux de la domanialité publique que les titulaires d'autorisations ou de conventions d'occupation temporaire du domaine public n'ont pas de droit acquis au renouvellement de leur titre.
17. Aux termes de l'article 3.1 de la convention d'occupation : " La présente convention prend effet à compter du 1er mars 2016 pour une durée de 10 mois jusqu'au 31 décembre 2016. Elle pourra être reconductible par voie d'avenant d'une durée d'un an dans la limite d'une durée totale maximale de trois ans ". Aux termes de l'article 2.1 de l'avenant n°1 " Le présent avenant prendra effet à compter du 1er janvier 2017 pour une durée d'un an jusqu'au 31 décembre 2017 ".
18. Il résulte de l'instruction que, depuis le 1er janvier 2018, la SAS Quai 22 ne disposait plus d'aucun titre en raison de l'expiration, le 31 décembre 2017, de la convention d'occupation du domaine public conclue avec la commune. Si la société requérante fait valoir que la commune d'Orléans entendait poursuivre leur relation au-delà du mois de janvier 2018, elle ne l'établit pas, et n'invoque par ailleurs aucune faute susceptible d'engager la responsabilité quasi-délictuelle de la commune d'Orléans à compter du 1er janvier 2018.
19. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a seulement lieu de condamner la commune d'Orléans à verser à la SAS Quai 22 la somme de 10 155 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2020, et de rejeter le surplus des demandes de cette dernière.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SAS Quai 22 qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge la commune d'Orléans la somme de 2 000 euros à verser à la société Quai 22 en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n°2003567 du tribunal administratif d'Orléans du 8 juin 2023 est annulé.
Article 2 : La commune d'Orléans est condamnée à verser à la SAS Quai 22 la somme de 10 155 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 juin 2020.
Article 3 : La commune d'Orléans versera la somme de 2 000 euros à la SAS Quai 22 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Quai 22 et à la commune d'Orléans.
Délibéré après l'audience du 10 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Mornet, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Aventino, première conseillère,
- M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
B. Aventino
La présidente,
G. Mornet
La greffière,
S. de Sousa
La République mande et ordonne au préfet du Loiret en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23VE02036