Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2023 par lequel le préfet du Val-d'Oise l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par une ordonnance du 12 janvier 2023, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis la demande de M. A... au tribunal administratif de Versailles.
Par un jugement n° 2300325 du 24 février 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 mars et 20 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Margerie-Roué, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou " Etudiant ", injonction assortie d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard à compter du délai de quinze jours suivant la notification de la décision à intervenir en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative, ou à défaut, d'enjoindre au préfet du Val-d'Oise, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision de la cour et de lui délivrer, durant cet examen, une autorisation provisoire de séjour, injonction assortie d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est déclaré incompétent ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- il ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement compte tenu de son état de santé ;
- il ne pouvait pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement dès lors qu'il avait droit à la délivrance d'une carte de séjour temporaire mention " Etudiant " ;
- la décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur sa situation personnelle ;
En ce qui concerne l'absence de délai de départ volontaire :
- la décision n'est pas suffisamment motivée et souffre d'un défaut d'examen ;
- il est fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- il est fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- il encourt des risques en cas de retour en Haïti.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2023, le préfet du Val-d'Oise conclut au rejet de la requête en maintenant ses écritures de première instance.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 5 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Etienvre a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 11 janvier 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... est un ressortissant haïtien né le 13 mars 1988. Entré sur le territoire français en 2019, selon ses déclarations, il a été interpellé par les services de police le 2 janvier 2023. Le 3 janvier 2023, le préfet du Val-d'Oise l'a, par arrêté, obligé à quitter le territoire français sans délai. Cette décision a été assortie d'une décision fixant le pays à destination et d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. A... en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui a transmis le dossier au tribunal administratif de Versailles. Par un jugement n° 2300325 du 24 février 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 312-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée. Lorsque l'acte a été signé par plusieurs autorités, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel a son siège la première des autorités dénommées dans cet acte. ". Aux termes de l'article R. 312-8 du code de justice administrative : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions ". Aux termes de l'article R. 221-3 du même code : " Le siège et le ressort des tribunaux administratifs sont fixés comme suit : (...) Versailles : Essonne, Yvelines (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté attaqué, M. A... résidait à Sartrouville dans le département des Yvelines. Il s'ensuit que le tribunal administratif de Versailles était territorialement compétent pour statuer sur la requête de M. A... en application des dispositions de l'article R. 312-8 du code de justice administrative. Le jugement attaqué n'est donc pas irrégulier de ce chef.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié (...) ".
5. M. A... soutient qu'il ne pouvait pas faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès lors qu'il souffre, d'une part, d'un asthme chronique et, d'autre part, de troubles psychologiques.
6. Toutefois, aucun des documents qu'il produit (ordonnance du médecin-psychiatre du 30 novembre 2022, certificats du docteur C... et du docteur B..., ordonnances des 25 février 2021, 2 septembre 2021 et 24 janvier 2023, résultats de laboratoire, compte rendu d'examen du docteur B...) n'établit que le défaut de prise en charge médicale de l'état de santé de M. A... pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le moyen ainsi soulevé doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui établit qu'il suit un enseignement en France ou qu'il y fait des études et qui justifie disposer de moyens d'existence suffisants se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant " d'une durée inférieure ou égale à un an. En cas de nécessité liée au déroulement des études ou lorsque l'étranger a suivi sans interruption une scolarité en France depuis l'âge de seize ans et y poursuit des études supérieures, l'autorité administrative peut accorder cette carte de séjour sous réserve d'une entrée régulière en France et sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Cette carte donne droit à l'exercice, à titre accessoire, d'une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle. ".
8. Aux termes, par ailleurs, de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants :1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ".
9. Si M. A... se prévaut de ce qu'il avait droit à la délivrance d'une carte de séjour temporaire mention " Etudiant " sur le fondement de l'article L. 422-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour mention " Etudiant " et que le préfet n'a pas examiné s'il pouvait être admis au séjour à ce titre. Pour obliger M. A... à quitter le territoire français, le préfet s'est, au demeurant, fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait justifier être entré régulièrement en France et s'y était maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et aucune pièce du dossier ne révèle que M. A... pouvait obtenir de plein droit la délivrance d'un titre de séjour.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter tout élément permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal d'audition du 3 janvier 2023, que l'épouse et les trois enfants de M. A... vivaient, à la date de l'arrêté attaqué, en République dominicaine. Par suite, et compte tenu également des conditions de séjour de l'intéressé depuis son entrée en France, le préfet du Val-d'Oise n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale alors même qu'il suit des études, qu'il bénéficie de soins médicaux, qu'il a la volonté de s'insérer dans la société française et qu'il est aidé par une cousine dans ses démarches administratives.
12. En quatrième et dernier lieu, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision attaquée sur la situation personnelle de M. A....
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
13. En premier lieu, M. A... n'est pas fondé, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, à exciper de l'obligation de quitter le territoire français qui lui a été faite.
14. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
15. Si M. A... soutient qu'il ne peut pas retourner en Haïti où sa vie est menacée, aucune des deux attestations fournies n'est suffisante pour justifier de la réalité des craintes qu'il déclare éprouver. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être dès lors écarté.
S'agissant de la décision de ne pas accorder un départ volontaire et de l'interdiction de retour :
16. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; 3° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; 6° L'étranger, entré irrégulièrement sur le territoire de l'un des États avec lesquels s'applique l'acquis de Schengen, fait l'objet d'une décision d'éloignement exécutoire prise par l'un des États ou s'est maintenu sur le territoire d'un de ces États sans justifier d'un droit de séjour ; 7° L'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ou a fait usage d'un tel titre ou document ; 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5. ". Aux termes, enfin, de l'article L. 612-6 : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ".
17. Pour décider de ne pas accorder à M. A... un délai de départ volontaire, le préfet s'est fondé sur le 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en relevant uniquement que M. A... ne justifiait d'aucune circonstance particulière. A défaut toutefois d'avoir précisé le cas dans lequel M. A... se trouvait pour estimer que le risque de soustraction était établi, le préfet a insuffisamment motivé en droit et en fait sa décision. M. A... est dès lors fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, à en demander l'annulation ainsi que celle, par voie de conséquence, de l'interdiction de retour édictée à son encontre.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
18. L'annulation de la seule décision du préfet de ne pas accorder à M. A... un délai de départ volontaire et de l'interdiction de retour n'implique aucunement qu'il soit enjoint au préfet de délivrer un titre de séjour mais seulement qu'il procède dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt à un nouvel examen de la situation de M. A.... Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du préfet du Val-d'Oise du 3 janvier 2023 est annulé en tant qu'il n'a pas accordé à M. A... un délai de départ volontaire et en tant qu'il a édicté à l'encontre de M. A... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Val-d'Oise de procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à un nouvel examen de la situation de M. A....
Article 3 : Le jugement n° 2300325 du 24 février 2023 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... A..., au préfet du Val-d'Oise et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Ablard, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
L'assesseur le plus ancien,
T. AblardLe président-rapporteur,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE00609 2