Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 22 mars 2023 par lequel le préfet des Yvelines lui a retiré ses titres de séjour délivrés du 8 octobre 2018 au 3 octobre 2021 en qualité de conjoint de Français, a rejeté sa demande de titre de séjour en qualité d'entrepreneur/profession libérale, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination et d'enjoindre au préfet des Yvelines de lui délivrer une carte de séjour " entrepreneur/profession libérale " dans un délai d'un mois suivant la notification du jugement.
Par un jugement n° 2303674 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2023, M. C..., représenté par Me Harir, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet des Yvelines de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " entrepreneur/profession libérale " dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le même délai ou à titre très subsidiaire de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- cette décision est insuffisamment motivée et sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ; le préfet n'a pas pris en compte sa situation familiale et sa parfaite insertion professionnelle ni la situation de ses deux enfants mineurs ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait sur sa situation matrimoniale dès lors qu'il n'a jamais vécu en situation de bigamie et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- les articles L. 421-5 et L. 433-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnus ; il établit la viabilité économique de son activité et n'avait pas à justifier de son effectivité ni de sa capacité à lui procurer des ressources ; or, il apporte les éléments établissant cette viabilité économique par la production de ses déclarations à l'URSSAF et les attestations produites ;
- il justifie de l'adéquation de ses études avec son domaine d'activité, l'achat vente de véhicules d'occasion, le lavage et l'entretien de véhicules chez les particuliers sans réparation de sorte que l'arrêté préfectoral est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- il ne constitue aucune menace à l'ordre public dès lors que les faits qui lui sont reprochés sont anciens, qu'il n'a jamais fait l'objet d'une condamnation comme l'atteste son bulletin n° 3, les faits allégués de bigamie ayant donné lieu à un classement sans suite, de même que les menaces de mort ;
- sa vie privée se situe en France où résident sa compagne, titulaire d'un titre de séjour, de ses deux enfants mineurs, et dès lors qu'il est arrivé en France, en 2018, soit depuis 5 ans et s'y est intégré ; il vit avec sa compagne depuis septembre 2020, ainsi que cela ressort aussi des témoignages de ses proches ; l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) a ainsi été méconnu ainsi que les dispositions des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de ses enfants ;
- il est parfaitement intégré socialement ;
- l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant a été méconnu ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est illégale par voie d'exception ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- l'article 8 de la CEDH a été méconnu.
Par un mémoire, enregistré le 12 décembre 2024, le préfet des Yvelines conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- et les observations de Me Harir, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., ressortissant marocain né le 14 février 1983, est entré en France le 6 février 2018. Il s'est marié le 7 septembre 2018 avec une ressortissante française et s'est vu délivrer, le 8 octobre 2018, un titre de séjour en qualité de conjoint de français, renouvelé jusqu'au 3 octobre 2021. Le 22 septembre 2021, il a sollicité un changement de statut et la délivrance d'une carte de séjour portant la mention " entrepreneur / profession libérale ", sur le fondement des articles L. 421-5, L. 422-12 et L. 433-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 22 mars 2023, le préfet des Yvelines a ordonné le retrait des titres de séjour qui lui ont été délivrés du 8 octobre 2018 au 3 octobre 2021 en qualité de conjoint de français, a rejeté sa demande de carte de séjour temporaire mention " entrepreneur/profession libérale " au motif que les documents produits ne permettaient pas d'établir les capacités de l'activité envisagée à procurer à l'intéressé un niveau de ressources au moins équivalentes au salaire minimum de croissance correspondant à un emploi à temps plein, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné à l'issue de ce délai. M. C... en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Versailles. Par un jugement n° 2303674 du 3 août 2023, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. M. C... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 421-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité non salariée, économiquement viable et dont il tire des moyens d'existence suffisants, dans le respect de la législation en vigueur, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "entrepreneur/ profession libérale" d'une durée maximale d'un an. ". Aux termes de l'article L. 433-6 du même code : " L'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle sur un autre fondement que celui au titre duquel lui a été délivré la carte de séjour ou le visa de long séjour mentionné au 2° de l'article L. 411-1, se voit délivrer le titre demandé lorsque les conditions de délivrance, correspondant au motif de séjour invoqué, sont remplies, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsque l'étranger sollicite la délivrance d'une première carte de séjour pluriannuelle dans les conditions prévues au présent article, il doit en outre justifier du respect des conditions prévues au 1° de l'article L. 433-4. / Le présent article ne s'applique pas aux titres de séjour prévus aux articles L. 421-2 et L. 421-6. ".
3. M. C... soutient qu'il justifie exercer une activité économiquement viable, en adéquation avec ses études et de nature à lui permettre de bénéficier d'un titre de séjour " entrepreneur/ profession libérale ". Il n'est pas contesté que M. C... exerce en qualité d'auto-entrepreneur, depuis le mois de septembre 2020, une activité d'achat-vente de véhicules d'occasion, lavage et entretien des véhicules chez les particuliers sans réparation, et qu'il a déclaré un chiffre d'affaires de 5 190 euros pour l'année 2020, de 16 070 euros pour l'année 2021, de 9 030 euros pour l'année 2022 et de 5 835 euros pour le premier trimestre 2023. S'il n'est pas contesté qu'il n'a pu exercer d'activité professionnelle entre avril et septembre 2022, en raison de graves problèmes de santé, il ressort toutefois de ses avis d'imposition que M. C... n'a déclaré aucun revenu pour l'année 2020 et 8 636 euros pour l'année 2021. Le préfet des Yvelines était ainsi fondé, au regard de ces éléments, à retenir que M. C... n'exerçait pas une activité économiquement viable dont il aurait tiré des moyens d'existence suffisants. Par suite, et alors même que son activité est en adéquation avec ses études, et qu'il ne représente pas une menace à l'ordre public, les moyens tirés de ce qu'en rejetant sa demande de changement de statut et de délivrance d'un titre de séjour portant la mention "entrepreneur/ profession libérale", le préfet des Yvelines a méconnu les dispositions des articles L. 421-5 et L. 433-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.
4. Aux termes du premier alinéa de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ". Aux termes de l'article L. 435-1 du même code : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
5. M. C... soutient que sa vie privée et familiale se situe désormais en France, où il réside depuis février 2018, soit depuis cinq ans à la date de la décision attaquée, qu'il a fondé une famille en France et développé une activité économique. S'il n'est pas contesté qu'il a un enfant, né d'une précédente union en 2017, qui réside avec sa mère au Maroc, il ressort des pièces du dossier que M. C... vit désormais, depuis septembre 2020, en concubinage avec une ressortissante marocaine, Mme B..., titulaire d'une carte de séjour valable jusqu'en 2025, avec laquelle il a eu un enfant né le 4 juillet 2022, dénommé Taha, et avec un autre enfant, né en 2008, dénommé Ghali, qu'il a eu de sa précédente union au Maroc. Par ailleurs, il apporte suffisamment d'éléments établissant qu'il est bien intégré professionnellement, notamment depuis qu'il a fondé une micro-entreprise en qualité d'auto-entrepreneur. Dès lors, et bien que M. C... ne soit pas dépourvu d'attaches familiales au Maroc où résident encore ses parents et son enfant né en 2017, la décision attaquée porte au droit de M. C... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise, et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
6. La décision portant refus de lui délivrer un titre de séjour étant entachée d'illégalité, la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'illégalité par voie d'exception.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet des Yvelines du 22 mars 2023.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
8. Eu égard au moyen d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Yvelines de délivrer à M. C..., non pas une carte de séjour " entrepreneur/profession libérale " mais une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2303674 du 3 juillet 2023 ainsi que l'arrêté du préfet des Yvelines du 22 mars 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Yvelines de délivrer à M. C... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera la somme de 1 500 euros à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au préfet des Yvelines et au ministre d'État, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2025.
Le rapporteur,
J.-E. Pilven
Le président,
F. Etienvre
La greffière,
F. Petit-Galland
La République mande et ordonne au ministre d'État, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 23VE01829002