Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 2 octobre 2023 par lequel le préfet des Yvelines a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays d'éloignement.
Par un jugement n° 2308442 du 5 avril 2024, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Giudicelli-Jahn, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet territorialement compétent de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen complet dès lors que le préfet ne s'est pas prononcé sur ses demandes formulées sur le fondement des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'un vice de procédure à défaut de saisine préalable de la commission du titre de séjour et alors qu'il est établi qu'elle réside en France depuis plus de dix ans ;
- il est entaché d'un second vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas bénéficié de son droit à être entendue garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation professionnelle et de sa situation familiale ;
- il méconnaît les articles L. 421-1, L. 421-2 et L. 433-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 septembre 2024, le préfet des Yvelines conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens invoqués par Mme B... ne sont pas fondés.
Par ordonnance de la présidente de la 5ème chambre du 24 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 14 octobre 2024, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Mme B... a produit des pièces, enregistrées le 20 octobre 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Versailles du 30 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- et les observations Me Giudicelli-Jahn et celles de Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante gabonaise née le 25 avril 1992, fait appel du jugement du 5 avril 2024 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet des Yvelines du 2 octobre 2023 refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., arrivée sur le territoire français le 10 septembre 2011 à l'âge de dix-neuf ans sous couvert d'un visa de long séjour portant la mention " étudiant ", a effectué toutes ses études supérieures en France où elle a obtenu un diplôme de Master de droit, économie et gestion et un diplôme de Master de sciences et technologies en 2017 et 2019 puis a préparé, en vain, l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats durant quatre ans. En mai 2020, l'intéressée a donné naissance à une petite fille dont le père, de nationalité ivoirienne, est en situation régulière en France pour motif professionnel. Si les parents de l'enfant sont séparés, il ressort des pièces du dossier que ceux-ci ont fait homologuer par le tribunal judiciaire de Cergy-Pontoise en février 2023 une convention portant règlement amiable des modalités d'organisation des droits parentaux signée le 4 juin 2022 et prévoyant notamment l'exercice en commun de l'autorité parentale ainsi que la garde de l'enfant par son père une fin de semaine sur deux ainsi que la moitié des vacances scolaires. Mme B... justifie par ailleurs avoir bénéficié d'une promesse d'embauche en contrat à durée déterminée au sein de la commune de Belleville puis en contrat à durée indéterminée, le jour même de l'arrêté attaqué, au sein de la commune des Mureaux pour laquelle une demande d'autorisation de travail a été déposée postérieurement à l'adoption de l'arrêté attaqué. Eu égard à l'ancienneté de séjour de la requérante sur le territoire français, à ses chances d'être embauchée rapidement sur un emploi qualifié compte tenu de son niveau d'études et dans la mesure où l'arrêté attaqué aura pour effet de séparer durablement l'enfant de son père en cas d'éloignement de Mme B... dès lors que ce dernier, d'une nationalité différente et s'étant au surplus vu délivrer une carte de résident quelques mois après l'adoption de l'arrêté attaqué, n'a pas vocation à quitter la France à court terme, la requérante est fondée à soutenir que l'arrêté attaqué porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de son enfant, en méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard aux moyens d'annulation retenus, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Yvelines de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au bénéfice de Me Giudicelli-Jahn sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2308442 du 5 avril 2024 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 2 octobre 2023 du préfet des Yvelines est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Yvelines de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Giudicelli-Jahn la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié Mme B..., au ministre de l'intérieur, au préfet des Yvelines et à Me Giudicelli-Jahn.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 24VE01097 2