Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société SGTP a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 14 janvier 2020 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a décidé de lui appliquer la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail d'un montant de 7 240 euros et la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile d'un montant de 2 124 euros.
Par un jugement n° 2004761 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 13 janvier 2023 et 15 octobre 2024, la société SGTP, représentée par Me Solovieff, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 14 janvier 2020 ;
3°) d'annuler par voie de conséquence les titres de perception émis le 12 mars 2020 ;
4°) de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle soutient que :
- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'OFII ne l'a pas informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable, avant le prononcé de la sanction, de la possibilité pour elle de demander la communication des pièces sur lesquelles l'administration s'est fondée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle ne pouvait déceler le caractère falsifié du document d'identité italien qui lui a été présenté, et qu'elle n'a jamais été condamnée auparavant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société SGTP la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens de légalité externe, soulevés pour la première fois en appel, sont irrecevables ;
- les autres moyens soulevés par la société SGTP ne sont pas fondés.
Par un courrier du 27 novembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la formation de jugement était susceptible d'appliquer d'office les dispositions de la loi n° 24-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration instaurant un nouvel article L. 8253-1 du code du travail.
Par une ordonnance du 16 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 octobre 2024.
La société SGTP a produit un mémoire complémentaire, enregistré le 27 novembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ablard,
- et les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les services de gendarmerie ont procédé le 7 août 2019 à Villabé (Essonne) au contrôle d'un véhicule appartenant à la société SGTP, dans lequel se trouvait M. D... B..., ressortissant tunisien en situation irrégulière de travail et de séjour, et déclaré par la société SGTP. Par un courrier recommandé du 26 novembre 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a informé la société SGTP de la mise en œuvre, à son encontre, des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 14 janvier 2020, l'OFII a appliqué à la société SGTP, d'une part, la contribution spéciale prévue par l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 7 240 euros, d'autre part, la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine prévue par l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pour un montant de 2 124 euros. Le recours gracieux formé par la société SGTP contre cette décision a été rejeté par une décision de l'OFII du 19 mai 2020. La société SGTP relève appel du jugement du 10 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 janvier 2020 et à la décharge de l'obligation de payer les sommes susmentionnées.
Sur la recevabilité des moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision contestée et de l'irrégularité de la procédure :
2. Les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision contestée et de l'irrégularité de la procédure ont été soulevés pour la première fois en appel, la demande de première instance n'étant assortie que d'un moyen de légalité interne. Par suite, comme le relève l'OFII dans son mémoire en défense, ces moyens, relevant d'une cause juridique distincte de celle du moyen présenté en première instance, doivent être écartés comme irrecevables.
Sur les autres moyens :
3. En premier lieu, par une décision du 19 décembre 2019, régulièrement publiée au bulletin officiel du ministère de l'intérieur le même jour, le directeur général de l'OFII a donné délégation à Mme C... A..., cheffe du service juridique et contentieux, conseillère juridique auprès du directeur général de l'OFII, pour signer, notamment, les décisions relatives aux contributions spéciale et forfaitaire, en cas d'absence ou d'empêchement d'autorités dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elles n'ont pas été absentes ou empêchées lors de la signature de la décision litigieuse. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée, qui est d'ordre public et ainsi recevable alors même qu'il est soulevé pour la première fois en appel, manque en fait et doit être écarté.
4. En second lieu, aux termes de l'article L. 8251-1 du code du travail : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France. (...) ". Aux termes de l'article L. 5221-8 de ce code : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France, sauf si cet étranger est inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi tenue par l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1 ". Aux termes de l'article L. 8253-1 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 et entrées en vigueur le 28 janvier 2024 : " Le ministre chargé de l'immigration prononce, au vu des procès-verbaux et des rapports qui lui sont transmis en application de l'article L. 8271-17, une amende administrative contre l'auteur d'un manquement aux articles L. 8251-1 et L. 8251-2, sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre. Lorsqu'il prononce l'amende, le ministre chargé de l'immigration prend en compte, pour déterminer le montant de cette dernière, les capacités financières de l'auteur d'un manquement, le degré d'intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière. Le montant de l'amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a d'étrangers concernés. Lorsque sont prononcées, à l'encontre de la même personne, une amende administrative en application du présent article et une sanction pénale en application des articles L. 8256-2, L. 8256-7 et L. 8256-8 à raison des mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues. L'Etat est ordonnateur de l'amende. A ce titre, il liquide et émet le titre de perception. Le comptable public compétent assure le recouvrement de cette amende comme en matière de créances étrangères à l'impôt et aux domaines. Les conditions d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 8253-2 de ce code : " I. - Le montant de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 est égal à 5 000 fois le taux horaire, à la date de la constatation de l'infraction, du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. II. - Ce montant est réduit à 2 000 fois le taux horaire du minimum garanti dans l'un ou l'autre des cas suivants : 1° Lorsque le procès-verbal d'infraction ne mentionne pas d'autre infraction commise à l'occasion de l'emploi du salarié étranger en cause que la méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 626-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui aura occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquittera une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l'étranger dans son pays d'origine. (...) ".
5. D'une part, l'infraction aux dispositions précitées de l'article L. 8251-1 du code du travail est constituée du seul fait de l'emploi de travailleurs étrangers démunis de titre les autorisant à exercer une activité salariée sur le territoire français. Il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision mettant à la charge d'un employeur la contribution spéciale prévue par les dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, pour avoir méconnu les dispositions de l'article L. 8251-1 du même code, de vérifier la matérialité des faits reprochés à l'employeur et leur qualification juridique au regard de ces dispositions. Il lui appartient également de décider, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir la sanction prononcée, soit d'en diminuer le montant, soit d'en décharger l'employeur. Par ailleurs, pour l'application des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, il appartient à l'autorité administrative de relever, sous le contrôle du juge, les indices objectifs de subordination permettant d'établir la nature salariale des liens contractuels existant entre un employeur et le travailleur qu'il emploie.
6. D'autre part, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, et sauf à ce que le salarié ait justifié avoir la nationalité française, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu des dispositions précitées de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité.
7. La société SGTP soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle ne pouvait déceler le caractère falsifié du document d'identité italien qui lui a été présenté. Il résulte de l'instruction que la décision attaquée est fondée sur le constat par les services de gendarmerie de la situation irrégulière de travail et de séjour de M. D... B... le 7 août 2019, lequel a déclaré lors de son audition le même jour qu'il travaillait pour la société SGTP depuis quinze mois en qualité de chef d'équipe. En outre, et alors que les investigations des services de gendarmerie ont permis d'établir que la carte d'identité italienne en possession de M. B... était un faux document, le gérant de la société SGTP a déclaré lors de son audition le 29 août 2019 qu'il s'était borné à accepter la photocopie de ce document présentée par M. B..., lequel était dépourvu par ailleurs de tout titre de séjour délivré par les autorités françaises, et qu'il n'a pas cherché à en vérifier l'authenticité en application de l'article L. 5221-8 précité du code du travail. Dans ces conditions, et nonobstant la circonstance que la société SGTP n'a jamais été condamnée pour des faits similaires, c'est à bon droit que l'OFII a fait application des dispositions citées au point 4 du présent arrêt. Par suite, les moyens tirés d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation commises par l'OFII doivent être écartés.
8. Il résulte de tout ce qui précède que la société SGTP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation et de décharge doivent être rejetées.
Sur les dépens :
9. Aucuns dépens n'ayant été exposés dans la présente instance, les conclusions de la société SGTP tendant au remboursement des dépens sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les frais, non compris dans les dépens, soient mis à la charge de l'OFII, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société SGTP le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l'OFII et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société SGTP est rejetée.
Article 2 : La société SGTP versera une somme de 2 000 euros à l'Office français de l'immigration et de l'intégration en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société SGTP et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
M. Ablard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
T. Ablard
Le président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 23VE00083