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17/12/2024 | FRANCE | N°22VE01964

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 17 décembre 2024, 22VE01964


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société AB Consultant a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision du 23 avril 2019 par laquelle le département des Hauts-de-Seine l'a informée qu'il entendait ne faire droit que partiellement à sa réclamation préalable datée du 19 février 2019 et, d'autre part, de condamner le département des Hauts-de-Seine à lui verser la somme de 13 500 euros à parfaire, majorée des intérêts au taux légal à compter de la réception de

sa réclamation préalable et de leur capitalisation, en réparation du manque à gagner subi par...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société AB Consultant a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler la décision du 23 avril 2019 par laquelle le département des Hauts-de-Seine l'a informée qu'il entendait ne faire droit que partiellement à sa réclamation préalable datée du 19 février 2019 et, d'autre part, de condamner le département des Hauts-de-Seine à lui verser la somme de 13 500 euros à parfaire, majorée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa réclamation préalable et de leur capitalisation, en réparation du manque à gagner subi par le groupement composé des sociétés AB Consultant, Concrete Pathology et SBBG Architecture à la suite du rejet de leur offre présentée pour l'attribution du marché d'assistance à maitrise d'ouvrage pour la rénovation de la Tour aux figures de Jean Dubuffet.

Par un jugement n° 1907899 du 31 mai 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné le département des Hauts-de-Seine à verser une indemnité de 2 000 euros à la seule société AB Consultant, somme assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, a mis à la charge du département des Hauts-de-Seine la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société AB Consultant.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 1er août 2022 et 24 septembre 2024, la société AB Consultant, représentée par Me Gallo, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires ;

2°) d'annuler la décision du 23 avril 2019 ;

3°) de condamner le département des Hauts-de-Seine à lui verser, en sa qualité de mandataire du groupement composé des sociétés AB Consultant, Concrete Pathology et SBBG Architecture, la somme de 13 500 euros à parfaire, majorée des intérêts au taux légal à compter de la réception de sa réclamation préalable et de leur capitalisation, en réparation du manque à gagner subi par le groupement à la suite du rejet de son offre présentée pour l'attribution du marché d'assistance à maitrise d'ouvrage pour la rénovation de la Tour aux figures de Jean Dubuffet ;

4°) de mettre à la charge du département des Hauts-de-Seine la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle ne disposait d'aucune qualité pour présenter, au nom des autres membres du groupement, des conclusions indemnitaires dirigées contre le département des Hauts-de-Seine et que ses conclusions tendant à la réparation des préjudices des sociétés Concrete Pathology et SBBG Architecture devaient, par suite, être rejetées comme irrecevables ;

- la candidature et l'offre de la société attributaire étaient irrégulières et inappropriées ;

- en effet, les compétences mises en avant par la société HISIF et ses sous-traitants n'étaient ni utiles ni en adéquation avec celles exigées par l'acheteur, le règlement de consultation prévoyant à cet égard la présence d'un architecte, d'un ingénieur et d'un technicien, ce qui n'était pas le cas en l'espèce ; les difficultés d'exécution du marché, en particulier concernant la réalisation du " diagnostic structure ", ont d'ailleurs confirmé cette inadéquation ; en tout état de cause, l'offre de l'attributaire ne comportait pas tous les renseignements requis ;

- l'offre de l'attributaire, d'un montant de 18 650 euros HT, était par ailleurs anormalement basse, comme le montre l'écart de 26 % entre cette offre et l'estimation de l'acheteur, d'un montant de 25 000 euros hors taxes (HT) ; elle aurait dû conduire ce dernier à interroger la société HISIF afin d'obtenir des explications ; cette offre était par ailleurs d'un montant trois fois inférieur à celle du groupement évincé, d'un montant de 52 857 euros HT ; elle ne correspondait manifestement pas à la réalité du marché du point de vue des ressources en personnel nécessaires, des compétences requises et du volume d'heures de travail qu'exige une telle prestation ; elle était dès lors de nature à compromettre la bonne exécution du marché ; enfin, le département des Hauts-de-Seine, qui a retenu un délai de réalisation de 185 jours, a établi une estimation du montant du marché manifestement sous-évaluée, dès lors qu'il en résulte un taux horaire moyen de 16,89 euros seulement ;

- la méthode de notation retenue a permis de neutraliser le critère de la valeur technique et n'a pas permis de retenir l'offre économiquement la plus avantageuse ; l'écart extrême entre les notes attribuées sur le critère du prix (2,7 / 40 pour le groupement évincé et 37,3 / 40 pour l'attributaire) a de fait privé le groupement de toute chance d'obtenir le marché en cause, alors que son offre était supérieure d'un point de vue technique ; compte tenu de la méthodologie retenue s'agissant du critère de la valeur technique, le " retard " du groupement était presque impossible à rattraper ;

- l'offre du groupement évincé a été dénaturée par l'acheteur qui a également commis des erreurs manifestes d'appréciation ; en effet, contrairement à la société HISIF qui ne dispose pas d'architecte, le groupement dispose de toutes les compétences requises avec la présence en son sein d'un bureau d'architecture spécialisé, d'une société spécialiste des diagnostics des bâtiments et dotée de son propre laboratoire, et de la société AB Consultant, dotée d'une grande expérience dans l'analyse architecturale ; à cet égard, le régime de la co-traitance avec solidarité conjointe est un avantage pour l'acheteur ; en outre, son estimation du temps nécessaire à la bonne exécution des prestations était réaliste, contrairement à celle de l'attributaire ; enfin, les contraintes du site ont bien été prises en compte ; par suite, elle aurait dû obtenir la note maximale sur le critère de la valeur technique ;

- l'impossibilité pour le groupement évincé de participer à la phase des négociations l'a empêché d'améliorer son offre et d'obtenir le marché ;

- le groupement évincé disposant de chances sérieuses d'obtenir le marché, il a droit au remboursement intégral de son manque à gagner, d'un montant de 13 500 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2024, le département des Hauts-de-Seine, représenté par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société AB Consultant la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société AB Consultant ne disposait d'aucune qualité pour présenter, au nom des autres membres du groupement, des conclusions indemnitaires dirigées contre le département des Hauts-de-Seine et que ses conclusions tendant à la réparation des préjudices des sociétés Concrete Pathology et SBBG Architecture devaient, par suite, être rejetées comme irrecevables ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ablard,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gallo pour la société AB Consultant, et celles de Me Bernard, substituant Me Cabanes, pour le département des Hauts-de-Seine.

Considérant ce qui suit :

1. Le département des Hauts-de-Seine a lancé le 22 avril 2015 une consultation selon la procédure adaptée ouverte en vue de la conclusion d'un marché d'assistance technique à maîtrise d'ouvrage pour la rénovation de la Tour aux figures de Jean Dubuffet à l'Ile Saint-Germain sur le territoire de la commune d'Issy-les-Moulineaux. Seuls, la société HISIF et le groupement composé des sociétés AB Consultant, Concrete Pathology et SBBG Architecture ont déposé une offre le 5 juin 2015. Le 12 octobre 2015, la société AB Consultant, mandataire du groupement, a été informée que son offre, ayant obtenu la note de 40,2 sur 100, avait été rejetée et que le marché avait été attribué à la société HISIF, dont l'offre a obtenu la note de 97,3 sur 100. Par un courrier du 19 février 2019, reçu le 26 février suivant, la société AB Consultant a demandé au département des Hauts-de-Seine une indemnité de 13 500 euros en réparation des préjudices que le groupement estime avoir subis du fait du rejet de son offre. Par un courrier du 23 avril 2019, le département des Hauts-de-Seine lui a répondu qu'elle pouvait seulement prétendre au remboursement des frais engagés en vue de la présentation de l'offre. La société AB Consultant relève appel du jugement du 31 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité son indemnité à la somme de 2 000 euros.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel tendant à l'annulation de la décision du 23 avril 2019 :

2. La décision du 23 avril 2019 par laquelle le département des Hauts-de-Seine a partiellement rejeté la réclamation préalable présentée par la société AB Consultant le 26 février 2019 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de la requérante qui, en formulant les conclusions analysées ci-dessus, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit de l'intéressée à percevoir la somme qu'elle réclame, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige. Par suite, ces conclusions doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. A la suite du rejet de leur offre, la société AB Consultant demande réparation du préjudice subi par l'ensemble des membres du groupement dont elle était le mandataire. Toutefois, et comme l'ont relevé les premiers juges, le groupement candidat au marché en cause n'est pas doté de la personnalité morale et aucun marché n'a été conclu entre ce groupement et le pouvoir adjudicateur. Dès lors, la qualité de mandataire du groupement candidat ne lui donne pas qualité pour représenter les autres membres du groupement pour la réparation du préjudice subi du fait de l'éviction du groupement lors de l'attribution du marché. Dans ces conditions, la société AB Consultant n'a pas qualité pour présenter, au nom des autres membres du groupement, des conclusions indemnitaires dirigées contre le département des Hauts-de-Seine. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société AB Consultant ne dispose d'aucune qualité pour présenter, au nom des autres membres du groupement, des conclusions indemnitaires dirigées contre le département des Hauts-de-Seine et qu'ils ont, par voie de conséquence, rejeté comme irrecevables ses conclusions tendant à la réparation des préjudices des sociétés Concrete Pathology et SBBG Architecture.

Sur les autres conclusions indemnitaires :

4. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 53 du code des marchés publics, alors en vigueur : " (...) III. - Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue. (...) ". Aux termes du 1° du I de l'article 35 de ce code, alors en vigueur : " (...) Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. (...) ". Aux termes de l'article 5.1 du règlement de la consultation du marché en cause : " Les critères relatifs à la candidature sont : garanties et capacités professionnelles, techniques et financières ". Aux termes de l'article 5.2 de ce règlement : " (...). La valeur technique sera appréciée à partir du mémoire technique remis à l'appui de l'offre et permettant au maître d'ouvrage d'apprécier les qualités techniques, humaines, matérielles et méthodologiques du candidat pour réaliser les différentes prestations demandées (...) ".

6. La société AB Consultant soutient que la candidature et l'offre de la société HISIF étaient irrégulières et inappropriées, dès lors que les compétences mises en avant par cette société et ses sous-traitants n'étaient ni utiles ni en adéquation avec celles exigées par l'acheteur, le règlement de consultation prévoyant à cet égard la présence d'un architecte, d'un ingénieur et d'un technicien, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Toutefois, d'une part, la requérante ne produit aucun élément laissant supposer que la société HISIF ne disposerait pas, comme le fait valoir en défense le département des Hauts-de-Seine, de compétences en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage, de conseil, d'expertise et de médiation, de management des études et travaux en sites pollués, ainsi que de management de dossiers spécifiques. D'autre part, si la méthode de notation des offres, exposée par le règlement de la consultation, mentionne, au sujet du " mémoire descriptif des moyens humains " que doivent présenter les candidats à l'appui de leur offre, la présence d'un architecte au sein de leur équipe, elle n'en fait pas une obligation. Par ailleurs, rien n'interdisait à la société HISIF d'associer au projet, outre la société SCYNA 4 spécialisée dans les études de structure, le cabinet d'avocats GB2A chargé du traitement des questions juridiques et la société GVI spécialisée en ingénierie et en économie de la construction. La requérante ne produit aucun élément de nature à établir que la société HISIF et ses sous-traitants ne disposaient pas des compétences requises pour exécuter cette mission d'assistance à maitrise d'ouvrage et, en particulier, pour réaliser le " diagnostic structure " prévu par le marché, ce document ayant au demeurant été versé aux débats par le département des Hauts-de-Seine. Enfin, si la requérante fait valoir, comme en première instance, que l'offre de l'attributaire ne comportait pas tous les renseignements exigés par les documents de consultation, elle n'assortit pas cette allégation des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, et nonobstant le classement à l'inventaire des monuments historiques de la Tour aux figures, le moyen doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 55 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et vérifié les justifications fournies. (...) Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; 3° L'originalité de l'offre ; 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le candidat. (...) ".

8. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

9. La société AB Consultant soutient que l'offre de la société HISIF étant anormalement basse, le département des Hauts-de-Seine aurait dû solliciter auprès d'elle toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Toutefois, la circonstance que l'offre de la société HISIF, d'un montant de 18 650 euros HT, était inférieure de 26 % à l'estimation de l'acheteur, d'un montant de 25 000 euros HT, et par ailleurs près de trois fois inférieure à celle du groupement évincé, d'un montant de 52 857 euros HT, n'est pas, à elle seule, de nature à établir que le pouvoir adjudicateur aurait dû considérer que l'offre de la société HISIF paraissait anormalement basse. En outre, si la requérante soutient que cette offre ne correspondait manifestement pas à la réalité du marché du point de vue des ressources en personnel nécessaires, des compétences requises et du volume d'heures de travail qu'exige une telle prestation, et qu'elle était dès lors de nature à compromettre la bonne exécution du marché, elle ne produit aucun élément de nature à l'établir et ne peut utilement soutenir que la société HISIF et ses sous-traitants ont rencontré d'importantes difficultés lors de l'exécution de leur mission. Enfin, il résulte de l'instruction que le département des Hauts-de-Seine a estimé à 185 heures le volume d'heures de travail nécessaires pour exécuter la mission, et non 185 jours, comme l'indique à tort, en raison d'une erreur de plume, le rapport d'analyse des offres. A cet égard, il ne résulte de l'instruction ni que cette estimation du volume horaire total serait erronée ni que le taux horaire moyen résultant de cette estimation, qui est de 135,13 euros HT et non 16,89 euros comme l'affirme la requérante, serait manifestement sous-évalué. Compte tenu de ce qui précède, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre de la société HISIF, retenant un volume de 145 heures de travail pour un taux horaire moyen de 128,62 euros HT, serait également manifestement sous-évaluée. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur que le département des Hauts-de-Seine a considéré que cette offre n'était pas anormalement basse et qu'elle ne justifiait dès lors pas qu'il sollicite auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Par suite, le moyen doit être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes du I de l'article 53 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l'environnement, les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, les performances en matière d'insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d'utilisation, les coûts tout au long du cycle de vie, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l'assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d'exécution, la sécurité d'approvisionnement, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ; 2° Soit, compte tenu de l'objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. ".

11. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

12. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

13. L'article 5.2 du règlement de la consultation prévoit que " les critères intervenant pour le jugement des offres sont pondérés de la manière suivante : valeur technique : 60 % ; prix des prestations : 40 % ". Tandis que le critère du prix ne comporte aucun sous-critère, le critère de la valeur technique comporte deux sous-critères : " pertinence des moyens humains affectés à la mission " (20 points) et " organisation des moyens humains et matériels " (40 points). Ces deux sous-critères étaient eux-mêmes décomposés respectivement en deux sous-sous-critères (notés sur 10 et 10 points) et trois sous-sous-critères (notés sur 15, 15 et 10 points). La méthode de notation des offres indique, d'une part, que " la valeur technique sera appréciée à partir du mémoire technique remis à l'appui de l'offre et permettant au maître d'ouvrage d'apprécier les qualités techniques, humaines, matérielles et méthodologiques du candidat pour réaliser les différentes prestations demandées (...) " et, d'autre part, que le calcul de la note obtenue par les candidats au titre du critère du prix " est effectué selon une formule dite "non linéaire médiane" (...) qui permet le maintien d'une progressivité des notes en fonction des prix des différentes offres, entre la note minimale et la note maximale (...) ". A l'issue de l'analyse des offres, la société HISIF a obtenu le marché avec une note de 97,3 points sur 100 (60 points pour la " valeur technique " et 37,3 points pour le " prix des prestations "), tandis que le groupement a été classé en seconde position avec une note de 40,2 points sur 100 (37,5 points pour la " valeur technique " et 2,7 points pour le " prix des prestations ").

14. La société AB Consultant soutient que la méthode de notation retenue a permis de neutraliser le critère de la valeur technique et empêché de retenir l'offre du groupement, qui était pourtant la plus avantageuse économiquement. Elle fait valoir que l'écart extrême entre les notes attribuées sur le critère du prix (2,7 / 40 pour le groupement évincé et 37,3 / 40 pour l'attributaire) a de fait privé le groupement de toute chance d'obtenir le marché en cause, alors que son offre était supérieure d'un point de vue technique et que compte tenu de la méthodologie retenue s'agissant du critère de la valeur technique, le " retard " du groupement était presque impossible à rattraper. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit, il résulte de l'instruction que l'offre de la société HISIF, d'un montant de 18 650 euros HT, était près de trois fois inférieure à celle du groupement évincé, d'un montant de 52 857 euros HT. Compte tenu de cette différence importante, l'écart entre les notes obtenues par la société HISIF et le groupement évincé est cohérent au regard de l'écart entre les montants de leurs offres respectives. Dans ces conditions, la société AB Consultant n'est pas fondée à soutenir que la méthode de notation retenue aurait permis de neutraliser le critère de la valeur technique et empêché de retenir l'offre du groupement, plus avantageuse économiquement selon elle. Par suite, le moyen doit être écarté.

15. En quatrième lieu, la société AB Consultant soutient que l'offre du groupement évincé a été dénaturée par l'acheteur qui a également commis des erreurs manifestes d'appréciation. Il ressort du rapport d'analyse des offres que le pouvoir adjudicateur a considéré, s'agissant du premier sous-critère " pertinence des moyens humains affectés à la mission ", pour lequel le groupement a obtenu la note de 12,5 sur 20, que les " mémoires descriptifs nominatifs des moyens humains " du groupement étaient insuffisamment détaillés et ne permettaient dès lors pas de vérifier l'adaptation des personnels mis à disposition par ses membres. La société AB Consultant n'établit pas, en rappelant dans ses écritures la composition du groupement évincé ainsi que les avantages qui s'attacheraient selon elle au régime de la co-traitance, que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en relevant cette insuffisance et en lui attribuant pour ce motif la note de 12,5 sur 20. En outre, si elle soutient que c'est au prix d'une erreur manifeste que le pouvoir adjudicateur a attribué à la société HISIF la note maximale au titre de ce premier sous-critère, alors même qu'elle ne disposait pas d'architecte, il résulte de l'instruction que cette société et ses sous-traitants, spécialisés ainsi qu'il a été dit en ingénierie et dans les études de structure, pouvaient se prévaloir des compétences nécessaires à l'exécution de la mission d'assistance à maitrise d'ouvrage. Par ailleurs, si la société requérante soutient, s'agissant des deux premiers sous-sous-critères du second sous-critère " Organisation des moyens humains et matériels ", que le groupement aurait dû obtenir la note maximale dès lors qu'elle a proposé un délai d'exécution réaliste (583 heures) tenant compte des particularités du monument à rénover et des contraintes liées à son environnement, elle ne produit aucun élément de nature à établir qu'un tel délai, trois fois supérieur à celui qui avait été estimé par le département des Hauts-de-Seine et celui qui avait été proposé par la société HISIF, était justifié au regard de ces contraintes et particularités. Enfin, si la société AB Consultant soutient, s'agissant du troisième sous-sous-critère du second sous-critère de la valeur technique, que le groupement aurait dû également obtenir la note maximale et non la note de 5 sur 10 seulement, les éléments qu'elle produit, en particulier un extrait du mémoire technique qu'elle avait remis au département à l'appui de son offre, ne sont pas de nature à établir que le département des Hauts-de-Seine aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que le groupement " ne prend pas la mesure du volet monument historique/œuvre d'art, primordial dans cette opération ainsi que de l'intervention dans un parc en activité et très fréquenté ". Par suite, le moyen doit être écarté.

16. En cinquième et dernier lieu, il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté, qu'en raison d'une erreur matérielle imputable à l'administration, la société requérante n'a pas reçu le courriel du 1er juillet 2015 par lequel le département des Hauts-de-Seine a invité le groupement à participer à la phase de négociation. Comme l'ont relevé les premiers juges, en ne mettant pas en mesure le groupement de participer à cette phase de négociation, le département des Hauts-de-Seine a méconnu le principe d'égalité de traitement des candidats, ainsi que l'article 5.3 du règlement de la consultation, relatif aux négociations. La société AB Consultant soutient que l'impossibilité pour le groupement évincé de participer à la phase des négociations l'a empêché d'améliorer son offre et d'obtenir le marché. Elle fait à cet égard valoir que le groupement évincé, qui disposait de chances sérieuses d'obtenir le marché, a droit au remboursement intégral de son manque à gagner, d'un montant de 13 500 euros. Il résulte cependant de l'instruction qu'avant la phase de négociation, le groupement évincé avait obtenu la note de 40,2 sur 100 et la société HISIF la note de 87,3 sur 100. S'il ne peut être exclu que la participation du groupement à la phase de négociation du marché lui aurait donné la possibilité d'améliorer son offre et d'obtenir une note supérieure à celle qui lui a été finalement attribuée, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la société requérante n'établit pas, par les éléments qu'elle produit, que le groupement aurait pu présenter une offre plus avantageuse que celle de la société HISIF, eu égard en particulier à l'important écart entre les notes des deux candidats avant la négociation, rappelées ci-dessus, et au prix de l'offre du groupement évincé, deux fois plus élevé que l'estimation du pouvoir adjudicateur. Dans ces conditions, si le groupement évincé n'était pas dépourvu de toute chance d'emporter le marché, il n'avait pas de chances sérieuses de l'obtenir. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société AB Consultant n'avait droit qu'au remboursement des frais qu'elle a personnellement exposés pour la présentation de l'offre du groupement évincé, et fixé le montant de ce remboursement à la somme de 2 000 euros.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société AB Consultant n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a limité son indemnité à la somme de 2 000 euros.

Sur les dépens :

18. Aucuns dépens n'ayant été exposés dans la présente instance, les conclusions de la société AB Consultant tendant au remboursement des dépens sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Hauts-de-Seine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société AB Consultant demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société AB Consultant le versement au département des Hauts-de-Seine d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société AB Consultant est rejetée.

Article 2 : La société AB Consultant versera la somme de 2 000 euros au département des Hauts-de-Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société AB Consultant et au département des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Etienvre, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

M. Ablard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.

Le rapporteur,

T. Ablard

Le président,

F. Etienvre

La greffière,

S. Diabouga

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01964


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01964
Date de la décision : 17/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Réparation. - Préjudice. - Caractère direct du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. ETIENVRE
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : ADDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-17;22ve01964 ?
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