Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCP Canet, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS PCVE, a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Ecole polytechnique à lui verser une somme de 564 330,08 euros toutes taxes comprises (TTC) au titre du solde exigible des situations dues à la SAS PCVE, correspondant à des acomptes mensuels, somme assortie des intérêts au taux de 8,75 % à compter du 25 octobre 2014.
Par un jugement n° 2001006 du 21 février 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la requête de la SCP Canet.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 21 avril 2022 et 13 mars 2023, la SCP Canet, représentée par Me Jorion, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001006 du 21 février 2022 du tribunal administratif de Versailles ;
2°) de condamner l'Ecole polytechnique à lui verser, en qualité de liquidateur judiciaire de la société PCVE, la somme de 564 330,08 euros TTC, augmentée des intérêts au taux de 8,75 %, taux directeur de la Banque centrale européenne, à compter du 25 octobre 2014 ;
3°) d'ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise judiciaire visant à décrire les travaux exécutés, les éventuels désordres et l'état de fonctionnement de l'installation ;
4°) de mettre à la charge de l'Ecole polytechnique la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SCP Canet soutient que :
- sa requête est recevable ; elle ne porte que sur le règlement des acomptes et non sur le solde du marché ni sur la fixation du décompte général ; elle a procédé à plusieurs mises en demeure de payer les situations 3, 4 et 5 de sorte que le courrier du 24 octobre 2019 constitue un mémoire en réclamation qui respecte le formalisme prévu par le cahier des clauses administratives générales (CCAG) de travaux ; le mémoire en réclamation a été adressé à la maîtrise d'œuvre, assurée par les services de l'Ecole polytechnique ; les motifs soulevés figuraient déjà dans le mémoire en réclamation ;
- elle justifie du droit au paiement des situations de travaux en litige dès lors que les travaux ont bien été exécutés et que les projets de décompte ont été formés conformément aux stipulations de l'article 13.1 du CCAG de travaux ; par ailleurs, ces projets de décompte mensuel ont été validés par la maîtrise d'œuvre ;
- les travaux correspondant aux situations de travaux 3, 4 et 5 n'ont fait l'objet d'aucune réserve, les courriers de l'Ecole polytechnique des 26 et 27 novembre 2014 ne précisant pas quelles seraient les non-conformités ou malfaçons en cause ; ses courriers des 2, 8 et 11 décembre 2014 ne font état d'aucune malfaçon et aucun procès-verbal des opérations de réception n'a été établi ; l'Ecole polytechnique n'apporte aucun élément établissant que l'installation de chauffage fonctionne en mode dégradé et le rapport d'expertise n'en fait pas état ; il n'est donc pas permis de déterminer la réalité des dysfonctionnements ou leurs causes ;
- l'Ecole polytechnique a pris possession de l'ouvrage en méconnaissance des stipulations de l'article 41-8 du CCAG de travaux ;
- une nouvelle expertise serait utile pour apprécier la réalité des dysfonctionnements allégués.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 1er décembre 2022 et 3 avril 2023, l'Ecole polytechnique, représentée par Mes Bejot et Ferré, conclut :
1°) au rejet de la requête de la SCP Canet ;
2°) à la mise à la charge de la SCP Canet de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête initiale devant le tribunal administratif était irrecevable ; en effet, elle tend à la fixation du solde du marché sans avoir respecté la procédure applicable ; dans l'hypothèse où le recours ne porterait que sur les situations mensuelles, il serait aussi irrecevable en raison du principe d'indivisibilité et d'unicité du décompte général ; ce recours est aussi irrecevable dès lors que cette demande n'a pas fait l'objet d'une réclamation préalable, et à supposer que le courrier du 24 octobre 2019 puisse être regardé comme une réclamation préalable, le délai pour faire une réclamation porte atteinte à la loyauté des relations contractuelles, le maître d'œuvre n'a jamais été destinataire d'une réclamation, et les moyens soulevés devant le tribunal ne figuraient pas dans le mémoire en réclamation ;
- la demande n'est pas fondée dès lors que les situations n'ont pas été validées par le maître d'œuvre et que la procédure prévue par le CCAG de travaux n'a pas été respectée ; l'Ecole polytechnique a même refusé de reconnaître la réalisation des travaux ; les travaux n'ont pas été exécutés conformément aux obligations contractuelles, tel que cela a été constaté par courriers des 11 et 17 décembre 2014 ; dans ses courriers des 8 décembre 2014 et 30 janvier 2015, la société PCVE s'engageait à réaliser les travaux demandés ; par ailleurs, le rapport de l'expert judiciaire du 29 mars 2019 constatait de nombreuses malfaçons et désordres, qui ont fait l'objet de nombreux courriers de l'Ecole polytechnique ; la prise de possession de l'ouvrage n'établit aucunement le bon fonctionnement de l'ouvrage ; c'est au contraire la prise de possession qui a révélé les dysfonctionnements, constatés au mois de novembre 2014 ;
- la régularité de la prise de possession est sans incidence sur le fonctionnement de l'ouvrage ; l'urgence justifiait une prise de possession en l'absence de réception des travaux et un état des lieux contradictoire a été établi de sorte que la prise de possession n'est aucunement irrégulière ; on ne peut donc déduire de la prise de possession la bonne exécution des travaux ;
- la mesure d'expertise demandée est inutile dès lors qu'une première expertise est déjà intervenue.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pilven,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jorion pour la société Canet et de Me Magnaval pour l'Ecole polytechnique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 mai 2014, l'Ecole polytechnique a conclu un marché public de travaux portant sur la remise à niveau de son réseau de chaleur avec la société SAS PCVE pour un montant de 910 000 euros hors taxes soit 1 092 000 euros toutes taxes comprises (TTC). La direction du patrimoine immobilier de l'Ecole polytechnique a été désignée maître d'œuvre à cet effet. Les travaux ont été réalisés à compter du 23 mai 2014 et la durée prévisionnelle d'exécution des travaux a été estimée à six mois. L'avance forfaitaire d'un montant de 54 600 euros TTC, la situation n° 1 d'un montant de 112 892,86 euros TTC et la situation n° 2 d'un montant de 117 541,60 euros TTC ont été réglées dans leur totalité par l'Ecole polytechnique. Le 26 août 2014, la société SAS PCVE a émis la situation n° 3 d'un montant initial de 317 838,80 euros TTC. A la suite d'une demande de l'Ecole polytechnique, la société a révisé le projet d'acompte mensuel et fixé son montant à 242 634,74 euros TTC. La situation n° 4 a été émise par la société SAS PCVE le 25 septembre 2014 pour un montant de 304 558 euros, puis, le 31 octobre 2014, la situation n° 5 pour un montant de 174 532,37 euros TTC. Le 26 novembre 2014, l'Ecole polytechnique a pris une décision de refus de réception des travaux estimant que les prestations réalisées sur le réseau de chaleur présentaient d'importants dysfonctionnements. Par ordonnance du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Versailles a désigné un expert à la demande de l'Ecole polytechnique. Le 20 juillet 2017, la SAS PCVE a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Cergy-Pontoise puis, le 20 octobre suivant, en liquidation judiciaire. La SCP Canet a été désignée comme liquidateur judiciaire. Le 29 mars 2019, l'expert judiciaire a déposé son rapport. Le 24 octobre 2019, la SCP Canet a formé auprès de l'Ecole polytechnique un recours préalable aux fins d'obtenir le règlement des sommes dues au titre du chantier. L'Ecole polytechnique n'a pas donné suite à cette demande. La SCP Canet demande l'annulation du jugement du 21 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à condamner l'Ecole polytechnique à lui verser la somme de 564 330,08 euros au titre du solde des situations de travaux dû à la SAS PCVE. Elle demande aussi d'ordonner une expertise judiciaire avant-dire droit.
Sur la demande de paiement des situations nos 3, 4 et 5 :
2. Aux termes de l'article 41. 8 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) de travaux, applicable au présent marché en vertu de l'article 2.2 de l'acte d'engagement / cahier des clauses administratives particulières (CCAP) : " Toute prise de possession des ouvrages par le maître de l'ouvrage doit être précédée de leur réception. / Toutefois, s'il y a urgence, la prise de possession peut intervenir antérieurement à la réception, sous réserve de l'établissement préalable d'un état des lieux contradictoire ". Si la réception définitive des travaux peut ressortir de la commune intention des parties, la prise de possession de l'ouvrage n'est pas, à elle seule, de nature à révéler cette commune intention.
3. La société requérante soutient, tout d'abord, que la prise de possession par l'Ecole polytechnique des locaux aurait été faite en méconnaissance des stipulations de l'article 41-8 du CCAG de travaux et que cette prise de possession établit que les travaux auraient été réalisés conformément aux documents contractuels. Il est constant que les ouvrages en cause n'ont pas fait l'objet d'une réception expresse dès lors que l'Ecole polytechnique a, par courrier du 26 décembre 2014, refusé de procéder à cette réception, en raison des nombreux dysfonctionnements constatés sur le réseau de chaleur. Par ailleurs, il n'est pas contesté que l'Ecole polytechnique a pris possession des ouvrages en novembre 2014 et qu'elle a, par des courriers des 26 novembre 2014, 17 décembre 2014 et 12 janvier 2015, fait état de l'importance des dysfonctionnements constatés et de la nécessité d'y remédier pour permettre un règlement du marché. Dès lors, comme l'a à bon droit jugé le tribunal administratif, il ne peut être retenu que les parties aient eu une commune intention de procéder à une réception tacite alors, par ailleurs, que l'Ecole polytechnique était fondée à prendre possession de l'ouvrage pour permettre aux activités de l'école de se poursuivre et qu'un procès-verbal des opérations préalables à la réception a été établi, tenant lieu d'état des lieux contradictoire, le 5 novembre 2014. En tout état de cause, comme l'a justement relevé le tribunal administratif, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l'exécution du marché et, à supposer même qu'une réception tacite ait eu lieu, elle ne serait pas de nature à établir si une somme restait due à la société requérante.
4. La société requérante soutient, ensuite, qu'elle a droit au paiement des situations de travaux en raison de leur validation par le maître d'œuvre sur le fondement de l'article 13.1.8 et de l'article 13.2.2 du CCAG de travaux. Toutefois, le marché prévoit à l'article 21 que l'article 7.2 déroge aux stipulations de l'article 13.1 du CCAG. En vertu de cet article 7.2, les projets de décomptes sont présentés chaque fin de mois. A cette occasion, le titulaire établit et présente au maître d'œuvre le projet récapitulatif, relatif à la période considérée, et enfin ce décompte est signé par le titulaire et le pouvoir adjudicateur ou son représentant.
5. Or, s'agissant de la situation n° 3, la société requérante se fonde sur des mails en date des 16 et 21 octobre 2014 qui se bornent simplement à indiquer que la situation n° 3 a été validée. Cette seule mention par message électronique n'est pas de nature à établir, en l'absence du respect de la condition de signature sur le projet de décompte prévue à l'article 7.2 du marché, que le maître d'œuvre aurait effectivement apporté son accord pour valider cette demande. Il en est de même pour les situations nos 4 et 5, en l'absence sur le projet de décompte de la signature à la fois par la maitrise d'œuvre, représentée en l'espèce par la direction du patrimoine immobilier de l'Ecole polytechnique, et par un représentant du maître de l'ouvrage, tel que le président de l'Ecole polytechnique, représentant le pouvoir adjudicateur, ou le secrétaire général par délégation. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les demandes d'acompte correspondant aux situations nos 3, 4 et 5 auraient été validées au sens des stipulations de l'article 7.2 du marché.
6. La société requérante soutient enfin que, contrairement à ce que fait valoir l'Ecole polytechnique, les travaux correspondant aux situations de travaux nos 3, 4 et 5 n'ont fait l'objet d'aucune réserve, que les courriers de l'Ecole polytechnique des 26 et 27 novembre 2014 ne donnaient aucune précision sur les non-conformités ou malfaçons en cause et que ses courriers des 2, 8 et 11 décembre 2014 ne feraient état d'aucune malfaçon. Toutefois, il ressort du courrier du 11 décembre 2014 que l'Ecole polytechnique a donné une liste des anomalies constatées, autant sur les échangeurs, pompes, vannes et vitesse des fluides, que sur l'absence de refonte ou de montage des sous-stations en hydraulique, sur les armoires électriques, les vannes de réglages de pression différentielle, les manchons antivibratiles, les pressostats d'eau, ou les pots à boue magnétiques. Sont aussi mentionnées les anomalies relatives aux systèmes d'expansion, au calorifugeage, à l'absence d'épreuve ou de purge ou de mise en place de thermomètres. Ces anomalies sont à nouveau mentionnées dans le courrier du 17 décembre 2014. L'importance de ces dysfonctionnements ressort aussi du rapport de l'expert judiciaire qui relève une mauvaise mise en œuvre générale des travaux de calorifugeage, la réalisation de travaux de soudure sur les tuyauteries et la mise en place des accessoires de mesures non conformes aux règles de l'art. Le rapport d'expertise retient ainsi l'absence de réalisation de nombreuses prestations, telles des notes de calculs, l'équilibrage des réseaux de chaleur, un calorifugeage incomplet, l'absence de vannes d'isolement, de manchons antivibratiles, de vannes de vidange, de manomètres mais aussi des installations non conformes au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) tels que les pots à boue installés au lieu de désemboueurs magnétiques, des vases d'expansion au lieu de groupes de maintien de pression, des échangeurs sous-dimensionnés ou des épaisseurs de calorifugeage non conformes au CCTP. La société requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'elle aurait exécuté les prestations prévues au marché et que ces prestations auraient été réalisées dans les règles de l'art et à réclamer, par suite, les sommes correspondant aux situations nos 3, 4 et 5 pour un montant de 564 330,08 euros TTC.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir soulevées par l'Ecole polytechnique, que la SCP Canet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 21 février 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de paiement des situations nos 3, 4 et 5.
Sur la demande d'une nouvelle expertise judiciaire :
8. La SCP Canet demande en outre que soit ordonnée la réalisation d'une nouvelle expertise judiciaire. Toutefois, et bien que l'Ecole polytechnique ne donne aucun élément sur les travaux de reprise qu'elle aurait fait effectuer, les constats réalisés par l'expert judiciaire dans son rapport du 20 janvier 2019 sont suffisants pour établir le fonctionnement défectueux du réseau de chauffage en raison de la méconnaissance par la SAS PCVE de ses obligations contractuelles. Cette nouvelle demande d'expertise, ne présentant aucune utilité, doit dès lors être rejetée.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. L'Ecole polytechnique n'étant pas la partie perdante à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la SCP Canet tendant à mettre une somme à sa charge. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCP Canet une somme de 2 000 euros à verser à l'Ecole polytechnique au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCP Canet est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Ecole polytechnique tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP Canet, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS PCVE, et à l'Ecole polytechnique.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
M. Ablard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
Le rapporteur,
J-E. PilvenLe président,
F. EtienvreLa greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne à la préfète de l'Essonne en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE00944 2