Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 2 août 2022 par lequel le préfet de Loir-et-Cher a approuvé la charte départementale d'engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques, ainsi que la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.
Par un jugement n° 2300371 du 8 janvier 2024, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du préfet de Loir-et-Cher du 2 août 2022 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de l'association et de l'union requérantes et a rejeté les conclusions présentées par celles- ci sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I) Par une requête n° 24VE00670, enregistrée le 11 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule l'arrêté du préfet de Loir-et-Cher du 2 août 2022 et la décision implicite de rejet du recours gracieux de l'association Générations Futures et de l'Union syndicale solidaires ;
2°) de rejeter le surplus de la demande de première instance.
Le ministre soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation quant au caractère indivisible des dispositions de la charte, de sorte qu'une annulation partielle pouvait être prononcée ;
- la charte approuvée n'a pas ajouté de conditions aux dispositions de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, mais a précisé les notions de " zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments ", en adoptant une interprétation conforme à l'objectif de protection des personnes poursuivi par la loi ;
- les dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime n'imposent pas que les chartes dressent une liste exhaustive des modalités d'information préalables dès lors notamment, d'une part, que l'information des résidents et des personnes fortuitement présentes ne saurait être identique, d'autre part, qu'elle doit tenir compte du type d'exploitation ou de culture concernées ; si la charte, qui met en place un volet collectif et un volet individuel d'information préalable, ne précise pas le type de moyens à mettre en œuvre, c'est pour ne pas priver l'agriculteur de sa marge d'appréciation ; l'administration veille à ce que l'information délivrée sur les traitements à venir soit adaptée et suffisante.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 16 août 2024 et 10 septembre 2024, l'Association Générations Futures, et l'Union syndicale solidaires , représentées par Me Lafforgue, avocat, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête d'appel est devenue sans objet dès lors qu'un nouvel arrêté préfectoral portant approbation de la nouvelle charte d'engagements des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques a été adopté le 29 avril 2024 ;
- l'interprétation donnée par le préfet des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives et réglementaires ; le préfet n'était, au demeurant, pas compétent pour édicter ce type de règles nouvelles ;
- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime compte tenu du défaut d'information préalable des résidents et personnes présentes, dont les modalités sont laissées à la libre appréciation des utilisateurs ; en tout état de cause, les seules modalités d'information citées dans la charte ne constituent pas, à l'évidence, des modalités d'information préalables au traitement mais concomitantes à celui-ci.
Par une intervention présentée à l'appui de la requête, enregistrée le 25 août 2024 et un mémoire enregistré le 26 septembre 2024, non communiqué, Chambres d'agriculture France et la chambre d'agriculture de Loir-et-Cher, représentées par Me Margaroli, demandent à la cour :
1°) d'admettre leur intervention volontaire conjointe ;
2°) de faire droit aux conclusions de la requête présentée par le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire tendant à l'annulation du jugement n° 2300371 du tribunal administratif d'Orléans ;
3°) de rejeter le surplus de la demande de première instance.
Elles soutiennent que :
- au regard de leur objet, leur intervention en cause d'appel doit être admise ;
- l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée dès lors que la charte a bien reçu application ;
- en définissant les " bâtiments habités " et " lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière ", la charte d'engagements litigieuse ne crée aucune " règle nouvelle " mais ne fait que préciser la portée des dispositions du III de l'article L. 253- 8 du code rural et de la pêche maritime et de l'arrêté du 4 mai 2017; le préfet était bien compétent pour adopter des mesures de précision du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime qui s'inscrivent en cohérence avec l'intention du législateur de protéger les personnes et non les bâtiments ;
- les dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime n'imposent pas que les chartes d'engagements prévoient une modalité d'information préalable mais " des modalités d'information " qui n'ont donc pas vocation à être exhaustives ou maximalistes mais doivent être adaptées à la situation locale dans tous ses aspects ; ces dispositions n'indiquent aucunement si l'information préalable doit être fournie quelques minutes, jours, mois, ou heures avant le début du traitement ; le tribunal s'est mépris sur la distinction entre obligation de moyens et de résultats et a excédé les limites de son contrôle, alors qu'il était tenu à un contrôle restreint.
II) Par une requête n° 24VE00671, enregistrée le 11 mars 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2300371 rendu le 8 janvier 2024 par le tribunal administratif d'Orléans.
Il soutient, par les mêmes moyens que ceux développés dans la requête n° 24VE00670, que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 2 août 2022 du préfet de Loir-et-Cher aux motifs pris, d'une part, d'une erreur de droit tirée de l'ajout d'une condition tenant au caractère irrégulier ou discontinu de l'occupation des bâtiments protégés et, d'autre part, de la méconnaissance des dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime ; les dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative trouvent à s'appliquer au regard de l'existence de moyens sérieux de nature à justifier l'infirmation de la solution retenue par les premiers juges, ainsi que le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par le jugement.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2024, et régularisé le 24 avril 2024, l'Association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires, représentées par Me Lafforgue, avocat, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'État d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir qu'aucun des moyens développés n'étant de nature à entraîner l'annulation du jugement attaqué, les conclusions à fin de sursis à exécution ne peuvent qu'être rejetées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n°284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 ;
- le décret n°2022-62 du 25 janvier 2022 ;
- l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- et les observations de Me Margaroli représentant Chambres d'agriculture France et la chambre d'agriculture de Loir-et-Cher, et de Me Lafforgue représentant l'association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 2 août 2022, le préfet de Loir-et-Cher a approuvé la charte départementale d'engagements des utilisateurs agricoles des produits phytopharmaceutiques. L'association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires ont formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté par un courrier du 29 septembre 2022 lequel a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. Par un jugement du 8 janvier 2024, le tribunal administratif d'Orléans a annulé cet arrêté, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux de l'association et de l'union requérantes et a rejeté les conclusions présentées par celles-ci sur le fondement de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative. Par la requête n°24VE00670, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire fait appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable, et demande, en outre, par la requête n°24VE00671, le sursis à exécution du même jugement.
Sur la requête n° 24VE00670 aux fins d'annulation du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'intervention :
2. Eu égard à la nature et à l'objet du litige, Chambres d'agriculture France et la chambre départementale d'agriculture de Loir-et-Cher justifient d'un intérêt pour intervenir au soutien de la requête du ministre. Leur intervention est admise.
En ce qui concerne l'exception de non-lieu à statuer :
3. L'association Générations Futures et autre font valoir que la requête d'appel est devenue sans objet dès lors qu'un nouvel arrêté préfectoral portant approbation d'une nouvelle charte d'engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques pour le département de Loir-et-Cher a été publié le 3 mai 2024. Toutefois l'arrêté en litige, régulièrement publié, approuvant la charte contestée a produit des effets et reçu application préalablement à l'annulation prononcée par le tribunal et l'arrêté du 3 mai 2024 approuvant la nouvelle charte n'est, quant à lui, pas devenu définitif. Au surplus, cette nouvelle charte ne saurait être regardée comme ayant eu pour objet ou pour effet de se substituer à celle en litige dès lors, d'une part, que tirant les conséquences des motifs d'annulation retenus par le jugement attaqué, elle n'est pas rédigée en des termes identiques et, d'autre part, qu'elle s'inscrit dans un cadre juridique distinct issu notamment de l'arrêté du 14 février 2023 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de certains produits phytopharmaceutiques, modifiant l'arrêté du 4 mai 2017. Il s'ensuit que l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
4. Si le ministre fait grief au jugement d'être entaché d'une insuffisance de motivation du rejet du moyen tiré du caractère divisible des dispositions de la charte, de sorte qu'une annulation partielle pouvait être prononcée, il ressort toutefois des termes mêmes du jugement et notamment de son point 20, que les premiers juges ont expressément et suffisamment précisé les raisons pour lesquelles, notamment du fait de l'insuffisante précision des mesures d'information du public, ils ont estimé que les dispositions entachées d'excès de pouvoir n'étaient pas divisibles du reste des dispositions de la charte. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté approuvant la charte départementale d'engagements des utilisateurs agricoles de produits phytopharmaceutiques :
S'agissant du cadre juridique :
5. D'une part, aux termes du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime : " I.- (...) l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits (...) / L'autorité administrative peut interdire ou encadrer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans des zones particulières, et notamment : / 1° (...) les zones utilisées par le grand public ou par des groupes vulnérables au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 (...) / L'autorité administrative peut aussi prendre des mesures pour encadrer : (...) / 4° Les dispositifs et techniques appropriés à mettre en œuvre lors de l'utilisation des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code pour éviter leur entraînement hors de la parcelle. ". Il résulte de l'article R. 253-45 du même code que, lorsque le produit est soumis à autorisation de mise sur le marché, les mesures mentionnées par ces dispositions sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation.
6. Par l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, ces ministres ont notamment fixé les dispositions particulières relatives aux distances de sécurité au voisinage des zones d'habitation et des zones accueillant des groupes de personnes vulnérables. Les articles 14-1 et 14-2 de cet arrêté, dans leur rédaction issue de l'arrêté du 25 janvier 2022 susvisé, prévoient, en l'absence de distance minimale de sécurité fixée par l'autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique, des distances minimales de sécurité destinées à protéger les personnes habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées. L'article 14-1 impose une distance de sécurité minimale de 20 mètres qui ne peut être réduite, lorsque sont utilisés des produits phytopharmaceutiques comportant certaines mentions de danger ou contenant une substance considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l'homme. L'article 14-2 retient, pour d'autres produits phytopharmaceutiques, une distance minimale de sécurité de 10 mètres pour les cultures hautes et de 5 mètres pour les cultures basses, ces distances pouvant être adaptées dans les conditions prévues à l'annexe 4 de l'arrêté du 4 mai 2017 modifié. Elles le sont notamment lorsque les techniques de réduction de la dérive sont mises en œuvre conformément à des chartes d'engagements.
7. D'autre part, aux termes du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime : " A l'exclusion des produits de biocontrôle mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 253-6, des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d'application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d'engagements à l'échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique. / Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l'intérêt de la santé publique, l'autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, restreindre ou interdire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III. / Un décret précise les conditions d'application du présent III. ". En vertu de ces dispositions, lorsque les produits phytopharmaceutiques sont utilisés à proximité des zones d'habitation, cette utilisation est subordonnée aux mesures de protection contenues dans des chartes d'engagements des utilisateurs, approuvées par l'autorité administrative lorsqu'elle constate que les mesures qui y sont inscrites sont suffisantes pour protéger les personnes habitant à proximité des zones traitées. Ces chartes doivent nécessairement faire l'objet d'une décision de l'autorité administrative pour produire des effets juridiques.
8. Aux termes de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret du 25 janvier 2022 : " L'utilisation des produits phytopharmaceutiques mentionnée au III de l'article L. 253-8 est réalisée dans le cadre de chartes d'engagements des utilisateurs, qui intègrent au moins les mesures de protection suivantes : / - des modalités d'information des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement (UE) 284/2013 ; / - les distances de sécurité et les mesures apportant des garanties équivalentes définies en application de l'article L. 253-7 ; / - des modalités de dialogue et de conciliation entre les utilisateurs et les habitants concernés ; / - des modalités d'information des résidents et des personnes présentes au sens du règlement (UE) n° 284/2013 préalables à l'utilisation des produits ; / Les chartes peuvent également inclure : / - le recours à des techniques ou moyens de réduction de la dérive ou de l'exposition des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement (UE) 284/2013 ; / - des bonnes pratiques pour l'application des produits phytopharmaceutiques ; / - des modalités relatives aux dates ou horaires de traitements les plus adaptés ; / - des modalités pratiques d'application des distances de sécurité ou de déploiement de mesures anti-dérives. ".
9. Aux termes, enfin, de l'article D. 253-46-1-5 du même code : " Dans les deux mois qui suivent la transmission d'un projet de charte, le préfet se prononce sur le caractère adapté des mesures de protection proposées aux objectifs de l'article L. 253-8 et sur sa conformité aux exigences mentionnées à l'article D. 253-46-1-2. / Le préfet peut demander aux organisations concernées de modifier le projet dans un délai qui ne peut être supérieur à deux mois. Le préfet peut réduire ce délai, notamment en cas d'impératif de santé publique. / Lorsque le préfet constate que les mesures prévues par une charte sont adaptées et conformes, il met en œuvre la consultation du public conformément à l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement en vue de son adoption. (...) / Les décisions préfectorales et les chartes adoptées sont publiées au recueil des actes administratifs et sur le site internet de chaque préfecture concernée. (...) ".
10. Pour annuler l'arrêté en litige du 2 août 2022, le tribunal a retenu que le préfet de Loir-et-cher, d'une part, avait commis une erreur de droit en approuvant une charte qui avait ajouté une condition tenant au caractère irrégulier ou discontinu de l'occupation des bâtiments protégés par les distances de sécurité méconnaissant ainsi le sens et la portée des dispositions législatives et réglementaires précitées et, d'autre part, avait méconnu les dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime en approuvant une charte comportant des dispositions insuffisamment précises quant aux modalités d'information préalables à l'utilisation des produits des résidents et des personnes présentes.
S'agissant de la méconnaissance par la charte des dispositions du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime :
11. Pour contester l'annulation prononcée par le tribunal sur ce point, le ministre ainsi que les chambres d'agriculture intervenantes font valoir qu'en mentionnant tant pour les bâtiments habités que pour les lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière qu' " En cas de caractère irrégulier ou discontinu de l'occupation (...) les traitements peuvent être effectués en limite de propriété, dès lors que le bâtiment n'est pas occupé le jour du traitement et dans les 2 jours suivants le traitement. " la charte approuvée n'a pas ajouté une condition aux dispositions du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, mais a seulement précisé les notions de " zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments ", en adoptant une interprétation conforme à l'objectif de protection des personnes poursuivi par la loi.
12. Toutefois et ainsi que l'a relevé le tribunal, il résulte des dispositions du III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, éclairées par les travaux parlementaires, que les " zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments " sont définies par les limites des bâtiments dans lesquelles les résidents sont susceptibles de se rendre et des parcelles d'agrément contiguës à ces bâtiments, telles que des cours ou jardins, cette notion étant ainsi dépourvue d'imprécision. En autorisant que des traitements au moyen de produits phytopharmaceutiques puissent être effectués en limite de propriété, en cas d'occupation irrégulière ou discontinue des bâtiments d'habitation, lorsque ces bâtiments sont inoccupés le jour du traitement et dans les deux jours suivants le traitement, alors que des règles de distances minimales, rappelées au point 6, ont été fixées, indépendamment des conditions d'occupation des bâtiments, par les articles 14-1 et 14-2 de l'arrêté du 4 mai 2017, dans leur rédaction issue de l'arrêté du 25 janvier 2022, les dispositions contestées de la charte ont fixé, contrairement à ce qui est soutenu, une règle nouvelle, au demeurant subjective et difficile à contrôler, sans qu'aucune norme de rang supérieur ait prévu une telle possibilité. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir qu'aucune règle nouvelle n'a été édictée.
13. Par ailleurs, il n'est pas contesté par le ministre qu'en fixant des règles particulières applicables à l'épandage à proximité d'une " très grande propriété " et d'un " lieu très étendu ", notions qui laissent à la libre appréciation des utilisateurs des produits phytopharmaceutiques le soin de définir ce qui constitue une très grande propriété ou un lieu très étendu, la charte n'a pas, ainsi que l'a relevé le tribunal, déterminé des mesures de protection adaptées aux objectifs de l'article L. 253-8 et aux exigences mentionnées à l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime.
S'agissant de la méconnaissance par la charte des dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime :
14. La charte d'engagement approuvée par l'arrêté litigieux prévoit, au titre des modalités d'information préalables des résidents et des personnes présentes, un dispositif collectif couplé à un dispositif individuel. La charte indique que " le dispositif collectif peut reposer sur un bulletin mis en ligne sur le site de la Chambre d'agriculture s'appuyant notamment sur les bulletins de santé des végétaux s'ils existent et actualisé à plusieurs reprises pendant la campagne culturale. ". Elle énumère ensuite les cultures couvertes par ces bulletins. S'agissant du dispositif individuel, la charte prévoit qu'il repose sur chaque utilisateur procédant à des traitements, avant toute réalisation d'un traitement phytopharmaceutique. Elle indique que cette modalité individuelle doit permettre à toute personne à proximité de la zone traitée, résident ou personne présente, d'avoir connaissance du moment effectif où intervient la réalisation d'un traitement et que " différents moyens de type visuel ou numérique peuvent être mis en œuvre, seuls ou en association. Il peut s'agir par exemple de l'utilisation du gyrophare sur le tracteur. "
15. Pour contester le motif d'annulation retenu par le tribunal et tiré de l'insuffisante précision des modalités d'information préalables des résidents et des personnes présentes à l'utilisation des produits, le ministre et les chambres d'agriculture intervenantes font valoir que les dispositions de l'article D. 253-46-1-2 du code rural et de la pêche maritime, citées au point 8, n'imposent pas que les chartes dressent une liste exhaustive des modalités d'information préalables dès lors notamment, d'une part, que l'information des résidents et des personnes fortuitement présentes ne saurait être identique et, d'autre part, qu'elle doit tenir compte du type d'exploitation ou de cultures concernées. Toutefois, d'une part, le dispositif collectif repose exclusivement sur la mise en ligne facultative d'un bulletin et ne prévoit ni une information effective suffisamment fine des périodes d'intervention pour chaque culture, ni le recours à un mode de publication alternatif en l'absence d'une telle mise en ligne. D'autre part, s'agissant du dispositif individuel, si les termes de la charte énoncés au point précédent rappellent le caractère obligatoire de l'information des résidents et des personnes présentes, ils n'en fixent pas les modalités en se bornant, sans autre précision, à indiquer que l'utilisateur de produits phytopharmaceutiques peut utiliser différents dispositifs, de type visuel ou numérique, alors que l'article D. 253-46-1-2 impose que les chartes d'engagements intègrent des modalités d'information préalables, lesquelles constituent des mesures de protection. Si la charte précise à titre d'exemple qu'il peut s'agir d'un gyrophare, un tel dispositif, qui ne constitue pas, en toute hypothèse, une information préalable à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, ne saurait être regardé comme suffisant. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal, qui ne s'est pas mépris sur la distinction entre obligation de moyens et de résultats et n'a pas excédé les limites de son contrôle, a estimé que, compte tenu de l'insuffisante précision des modalités d'information préalables à l'utilisation des produits des résidents et des personnes présentes au sens du règlement (UE) n° 284/2013, l'arrêté litigieux était entaché d'illégalité en approuvant une charte élaborée en méconnaissance des dispositions de l'article D. 253- 46-1-2 du code rural et de la pêche maritime.
16. Il résulte de ce qui précède, que le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé l'arrêté du préfet de Loir-et-Cher du 2 août 2022, ensemble la décision de rejet du recours gracieux de l'association Générations Futures et de l'Union syndicale solidaires.
Sur les frais liés au litige :
17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à l'association Générations Futures et à l'Union syndicale solidaires d'une somme de 500 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête n° 24VE00671 aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :
18. La cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête n° 24VE00670 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 24VE00671 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les interventions de Chambres d'agriculture France et de la chambre départementale d'agriculture de Loir-et-Cher sont admises.
Article 2 : La requête n° 24VE00670 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est rejetée.
Article 3 : L'État versera à l'association Générations Futures et à l'Union syndicale solidaires une somme de 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24VE00671 du ministre tendant à ce qu'il soit sursis à exécution du jugement n° 2300371 du tribunal administratif d'Orléans du 8 janvier 2024.
Article 5 : Les conclusions présentées par l'association Générations Futures et l'Union syndicale solidaires dans l'instance n° 24VE00671 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, à l'association Générations Futures, à l'Union syndicale solidaires, à Chambres d'agriculture France et à la chambre départementale d'agriculture de Loir-et-Cher.
Copie en sera adressée au préfet de Loir-et-Cher.
Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente-assesseure,
M. De Miguel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 novembre 2024.
I. La rapporteure,
I. DanielianLa présidente,
L. Besson-LedeyLa présidente,
II. I. DanielianLa greffière,
A. Audrain Foulon
La greffière,
A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
Nos 24VE00670, 24VE00671