Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire du 9 janvier 2020 rejetant sa demande de protection fonctionnelle et sa réclamation indemnitaire, et de condamner cette commune à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de ses préjudices.
Par un jugement n° 2001099 du 21 juin 2022, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 21 août 2022 et le 28 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Cochereau, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de condamner la commune de Châteauneuf-sur-Loire à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) d'enjoindre à la commune de Châteauneuf-sur-Loire de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Châteauneuf-sur-Loire le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal administratif a omis de statuer sur ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 janvier 2020 portant refus de protection fonctionnelle ;
- il a méconnu son office en omettant de rechercher si le comportement de l'administration était fautif indépendamment de tout harcèlement ;
- il a méconnu son office en s'abstenant de vérifier si chacune des fautes invoquées était effectivement justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit, d'erreurs de fait, d'erreurs de qualification juridique des faits, de contradiction de motifs et de dénaturation des faits ;
- l'exposant a apporté la preuve de nombreux agissements fautifs imputables à l'équipe municipale, à savoir une surcharge de travail, un déclassement professionnel, des reproches injustifiés, des menaces de sanction disciplinaire, des brimades écrites et orales, des convocations intempestives à des contre-visites médicales, des refus illégaux de placement en congé de longue durée, un refus illégal de placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service, une inexécution et un retard dans l'exécution de deux jugements et un maintien à demi-traitement malgré un placement en congé de longue durée ;
- la maire de la commune ne pouvait elle-même se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle sans méconnaître le principe d'impartialité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2024, la commune de Châteauneuf-sur-Loire, représentée par Me Rainaud, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de M. B... ;
2°) d'annuler l'article 2 du jugement attaqué ;
3°) de mettre à la charge de M. B... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
- il est inéquitable qu'elle supporte les frais exposés par elle en première instance.
Vu les autres pièces du dossier ;.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Camenen,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- les observations de Me Lemoine pour M. B... et celles de Me Hallé pour la commune de Châteauneuf-sur-Loire.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., éducateur territorial des activités physiques et sportives employé depuis 2001 par la commune de Châteauneuf-sur-Loire en qualité de directeur du service des sports et de la vie associative, relève appel du jugement du 21 juin 2022 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du maire de cette commune du 9 janvier 2020 rejetant sa demande de protection fonctionnelle et d'indemnisation de ses préjudices et à la condamnation de la commune à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de ses préjudices.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, il ressort du dossier de première instance que M. B... a demandé au tribunal administratif d'annuler la décision du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire du 9 janvier 2020 refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle. Le jugement attaqué n'a pas statué sur ces conclusions. Par suite, il doit être annulé dans cette mesure.
3. En deuxième lieu, à l'appui de sa demande de première instance, M. B... a demandé réparation de ses préjudices causés par " les agissements fautifs de la collectivité, qualifiables de harcèlement moral " (titre du A du II de sa demande page 4). Ainsi, les faits dénoncés par M. B... visant seulement à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, l'intéressé ne saurait être regardé comme ayant entendu demander réparation des préjudices résultant de chacune des fautes qui auraient été commises par la commune, indépendamment du harcèlement moral dont il estimait être victime. D'ailleurs, dans sa demande de protection fonctionnelle du 4 novembre 2019, M. B... se borne à dénoncer les faits de harcèlement moral dont il aurait été victime et à en demander réparation et n'a pas demandé réparation de fautes commises par la commune indépendamment de tout harcèlement moral. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif a entaché le jugement attaqué d'irrégularité en ne se prononçant pas sur le caractère fautif de chacun des faits qu'il avait dénoncés.
4. Enfin, si M. B... soutient que le tribunal administratif a " méconnu son office " en s'abstenant de vérifier si chacune des fautes invoquées était effectivement justifiée par des considérations étrangères à tout harcèlement, un tel moyen, qui relève du bien-fondé du jugement attaqué, est sans incidence sur la régularité de ce jugement et ne peut utilement être invoqué en appel. Il va de même des moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs de droit, d'erreurs de fait, d'erreurs de qualification juridique des faits, de contradiction de motifs ou de dénaturation des faits.
5. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... par la voie de l'évocation et de statuer sur ses conclusions indemnitaires par l'effet dévolutif de l'appel.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires alors en vigueur : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes du IV de son article 11 : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ".
7. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
8. En premier lieu, M. B... invoque l'existence d'une surcharge de travail à partir de 2014. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des nombreux documents médicaux produits par M. B..., que celui-ci a été placé en congé de maladie à compter de mai 2019 dans un contexte de difficultés et d'épuisement professionnels. Si, dans un courriel du 17 mai 2019 adressé à la maire de la commune et à l'adjoint en charge des sports, M. B... s'est notamment plaint d'une charge de travail trop importante, la maire lui a apporté dès le lendemain une réponse circonstanciée non sérieusement contestée par l'intéressé dans laquelle elle reconnaît que la charge de travail de M. B... est conséquente mais relève notamment que le passage à mi-temps d'un agent dans son service a été compensée par l'arrivée d'un autre agent, que la charge de travail globale du service des sports n'a pas évoluée de façon significative depuis 2014 et que l'intéressé n'a pas sollicité depuis longtemps un rendez-vous avec elle. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, la charge de travail de M. B... n'est pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont il aurait fait l'objet.
9. En deuxième lieu, aucun élément du dossier ne permet d'établir que M. B... aurait effectué des tâches sans rapport avec ses fonctions de directeur du service des sports et de la vie associative et qu'il aurait fait l'objet d'un déclassement professionnel.
10. En troisième lieu, M. B... soutient qu'il a été victime de reproches injustifiés, de menaces de sanction disciplinaire et de brimades écrites ou orales faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral. Toutefois, l'existence de menaces de sanction disciplinaire n'est pas établie par la copie d'un document relatif à la procédure disciplinaire dans la fonction publique territoriale que M. B... aurait retrouvé sur son bureau le 15 mai 2019. A l'appui de sa requête, M. B... se prévaut notamment de l'attestation de l'ancien directeur général des services de la commune du 15 novembre 2019 ainsi que d'une attestation de l'ancienne directrice des finances et des ressources humaines de la commune entre 2013 et 2015. Si cette dernière attestation fait état d'une dégradation des conditions de travail du personnel communal à la suite de l'élection d'une nouvelle équipe en 2014 et si elle mentionne notamment un comportement inapproprié de l'adjoint en charge des sports à son égard, elle ne comporte pas d'élément précis et circonstancié concernant les relations de M. B... avec les élus. En outre, si l'attestation précitée de l'ancien directeur général des services fait un constat général assez proche concernant l'existence d'une souffrance au travail généralisée au sein des services de la commune et la dégradation de la relation entre les agents et les élus, elle ne comporte pas davantage d'élément précis et circonstancié de nature à établir que M. B... aurait personnellement fait l'objet de reproches injustifiés de la part des élus, qu'il n'avait pas les moyens et de bonnes conditions pour effectuer ses missions voire, comme elle l'indique, que les élus souhaitaient en réalité le départ de l'intéressé. D'ailleurs, le rapport d'audit établi en 2018 par ce même directeur général des services ne fait apparaître aucun élément en ce sens s'agissant de M. B.... Le compte rendu d'entretien professionnel de l'intéressé établi la même année par ce directeur général des services se borne à indiquer que l'intéressé " est un bon agent très volontaire, qui a fait face à une année dense en projets, alors que les moyens humains étaient en plein ajustement " et que " malgré cette situation, où il s'est retrouvé seul pendant quelques mois, il a assumé avec rigueur l'ensemble de tâches dévolues aux secteurs sous sa responsabilité ". D'une manière générale, si les échanges de courriels entre M. B... et les élus révèlent l'existence de relations parfois tendues ou de propos maladroits, en particulier avec l'adjoint en charge des sports, ils ne comportent pas d'éléments suffisants de nature à établir un exercice anormal du pouvoir hiérarchique et à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral dont l'intéressé aurait fait l'objet. Leurs échanges de SMS produits par la commune ne révèlent pas davantage d'éléments en ce sens.
11. En quatrième lieu, si M. B... a été convoqué à deux contre-visites médicales sollicitées par la commune de Châteauneuf-sur-Loire à l'occasion de la prolongation de son congé de maladie en août 2019, il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'il a été préalablement informé de cette démarche et de la nécessité d'informer le service en cas d'absence prolongée de son domicile, d'autre part, qu'il ne s'est rendu à aucune de ces deux convocations. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, alors même qu'elles ont lieu en période estivale, ces convocations à des contre-visites ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
12. En cinquième lieu, si un jugement n° 2001802 du tribunal administratif d'Orléans du 21 juin 2022 a annulé pour erreur de fait et erreur d'appréciation l'arrêté du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire du 23 mars 2020 refusant de reconnaître la pathologie de M. B... comme imputable au service, le tribunal a toutefois indiqué, au point 5 de ce jugement, que la surcharge d'activité subie par le requérant à compter de 2014 ne révélait pas un harcèlement moral de la part de la commune. De plus, si dans un jugement n° 2101589 du 5 juillet 2022, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision implicite du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire rejetant la demande de congé de longue durée de M. B..., la demande de l'intéressé avait fait l'objet d'un avis défavorable du comité médical départemental et du comité médical supérieur. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, l'illégalité de ce refus ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
13. En sixième lieu, si M. B... invoque une inexécution ou un retard dans l'exécution des deux jugements précités ainsi qu'un maintien à demi-traitement malgré un placement en congé de longue durée, l'arrêté du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire du 30 août 2022 produit par le requérant, pris moins de deux mois après l'intervention du jugement précité du 5 juillet 2022, a toutefois placé l'intéressé en congé de longue durée du 3 juin 2020 au 23 septembre 2022 et a prévu qu'il percevrait sa rémunération à plein traitement pendant cette période. Ainsi, compte tenu de l'intervention de l'arrêté du 30 août 2022, l'existence d'un harcèlement moral résultant de l'inexécution des jugements du tribunal administratif et du maintien à demi-traitement de M. B... ne peut être présumée.
14. Enfin, en l'absence de tout élément suffisant pouvant faire présumer l'existence d'un tel harcèlement moral visant M. B... et provenant de la maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire, celle-ci a pu, sans méconnaître le principe d'impartialité, se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle de l'intéressé.
15. Il résulte de ce qui précède qu'aucun fait ne faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral, les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire rejetant sa demande de protection fonctionnelle doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.
Sur les conclusions indemnitaires :
16. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de harcèlement moral, les conclusions indemnitaires de M. B... doivent être rejetées..
17. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés en première instance :
18. Le tribunal administratif n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif en rejetant, dans les circonstances de l'espèce, les conclusions présentées par la commune de Châteauneuf-sur-Loire sur ce fondement. Par suite, les conclusions de la commune de Châteauneuf-sur-Loire tendant à la réformation de l'article 2 du jugement attaqué doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance d'appel :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Châteauneuf-sur-Loire, qui n'est pas la partie perdante, verse une quelconque somme à M. B... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions de même nature présentées par la commune de Châteauneuf-sur-Loire peuvent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2001099 du tribunal administratif d'Orléans du 21 juin 2022 est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire rejetant sa demande de protection fonctionnelle.
Article 2 : La demande de M. B... tendant à l'annulation de la décision du maire de la commune de Châteauneuf-sur-Loire rejetant sa demande de protection fonctionnelle et le surplus de ses conclusions en appel sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Châteauneuf-sur-Loire sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Châteauneuf-sur-Loire.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2024.
Le rapporteur,
G. CAMENEN
La présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au préfet du Loiret en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE02065