Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit en cas d'exécution d'office, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et l'a informé de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction de séjour et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 14 mars 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 2307751, 2307752 du 20 juin 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes pour tardiveté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 juillet 2023, M. B..., représenté par Me Djidjirian, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 20 juin 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 mars 2023 contesté ;
3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer une carte de séjour temporaire, dans un délai de quinze jours à partir de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande n'était pas tardive car les mentions des voies et délais de recours ont été faites dans une langue qu'il ne comprenait pas, sans qu'il soit assisté d'un interprète, alors que l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français lui a été notifié par voie postale et qu'il n'était pas en état de réceptionner le pli ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que toute sa famille vit en France ;
- cette décision est entachée d'une erreur de fait, dès lorsqu'elle se fonde sur la circonstance qu'il n'est pas démuni d'attaches familiales en Arménie ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que sa présence en France ne constitue plus une menace pour l'ordre public depuis qu'il suit un traitement ;
- la décision lui refusant un délai de départ volontaire est insuffisamment motivée, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français n'est pas motivée, dès lors qu'elle ne fait aucun cas de sa situation psychologique pour apprécier la menace pour l'ordre public ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit, faute de prendre en compte l'intégralité des circonstances dans l'évaluation de la menace à l'ordre public ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur d'appréciation à l'égard de ces dispositions ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de la menace pour l'ordre public qui résulterait de sa présence en France ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2024, le préfet des Hauts-de-Seine conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Par une ordonnance du 11 juillet 2024, l'instruction a été close le 29 août 2024, en application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience dans la présente instance.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Tar a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant arménien né le 6 septembre 1977, est entré en France le 15 avril 2009 et s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " le 17 novembre 2014, laquelle a été renouvelée jusqu'au 16 novembre 2016. Il s'est ensuite vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la même mention, renouvelée sans discontinuité, son dernier titre de séjour étant valable du 17 novembre 2020 au 16 novembre 2022. Par un arrêté du 8 avril 2022, le préfet des Hauts-de-Seine lui a retiré cette carte de séjour pluriannuelle, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit en cas d'exécution d'office, lui a fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et l'a informé de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. Par un jugement du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer la situation de l'intéressé. A la suite de ce réexamen, par un arrêté du 3 mars 2023, le préfet des Hauts-de-Seine a retiré l'autorisation provisoire de séjour accordée à M. B... jusqu'au 8 juillet 2023, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné en cas d'exécution d'office et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. B... fait appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise rejetant pour tardiveté sa demande d'annulation de cet arrêté du 3 mars 2023.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine en date du 3 mars 2023 a été notifié à M. B..., le 5 juin 2023, par voie postale et non par voie administrative. En outre, il ressort de l'ampliation de cet arrêté qu'il comportait l'indication du délai de recours contentieux de deux mois. Dans ces conditions, le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure, prévu par les dispositions de l'article L. 614-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du II de l'article R. 776-2 du code de justice administrative, dans leur rédaction alors en vigueur, n'étaient pas opposables à M. B... et c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande comme irrecevable, au motif qu'elle n'a été enregistrée au greffe du tribunal que le 8 juin 2023, après l'expiration du délai de quarante-huit heures. Le requérant est par suite fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du 20 juin 2023.
3. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur les conclusions de la demande de M. B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2023.
Sur la légalité de l'arrêté du 3 mars 2023 :
4. Aux termes de l'article L. 432-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public "
5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... réside régulièrement sur le territoire français depuis le mois de novembre 2014, sous couvert de titres de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", avec son épouse et leur fils, âgé de vingt ans à la date de l'arrêté contesté et inscrit en première année de licence de géographie à l'université Paris I Panthéon Sorbonne. Il est constant que, le 16 octobre 2021, M. B... a commis des faits de violence aggravée suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, de menace de mort et de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, commis sur la personne d'un policier, faits pour lesquels il a été condamné à une peine de quatre mois d'emprisonnement, assortie du sursis simple, par un jugement du tribunal correctionnel de Nanterre en date du 15 avril 2022. Si les faits commis par M. B... sont d'une réelle gravité, le tribunal correctionnel a retenu l'altération du discernement de l'intéressé à l'époque des faits, après avoir relevé que ce dernier souffre depuis des années de troubles bipolaires, aggravés par une agression dont il a été victime en 2019, et qu'il était en rupture de soins. Il ressort également des pièces du dossier que, postérieurement aux faits pour lesquels il a été condamné, M. B... a repris le suivi médical rendu nécessaire par sa pathologie psychiatrique, ainsi qu'il en justifie par des attestations de suivi et des ordonnances médicales. A la suite de la réitération de faits de violence, notamment contre les forces de l'ordre lors de son interpellation après une querelle familiale, l'intéressé a fait l'objet d'une admission en soins psychiatriques à l'hôpital Paul Guiraud à Clamart, à compter du 5 avril 2023, prolongé jusqu'au 5 février 2024, par arrêté portant maintien d'une mesure en soins psychiatriques pris par le préfet des Hauts-de-Seine le 3 août 2023. Il n'est pas contesté que M. B... bénéficie désormais d'un suivi ambulatoire, spécialisé et mensuel. Par ailleurs, M. B... a été reconnu travailleur handicapé par une décision de la maison départementale des personnes handicapées des Hauts-de-Seine en date du 6 juillet 2020. Ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce, M. B... est fondé à soutenir qu'en l'obligeant à quitter le territoire français, le préfet des Hauts-de-Seine a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision du 3 mars 2023 l'obligeant à quitter le territoire français sans délai, ainsi que, par voie de conséquence, celle de la décision du même jour portant interdiction de retour sur le territoire français.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la demande et de la requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2023 par lequel le préfet des Hauts-de-Seine lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit en cas d'exécution d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a seulement lieu d'enjoindre au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 20 juin 2023 et l'arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 3 mars 2023 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet territorialement compétent de réexaminer la situation de M. B..., dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et au préfet des Hauts-de-Seine.
Délibéré après l'audience du 15 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2024.
Le rapporteur,
G. TARLa présidente,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 23VE01647