Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Clichy distribution a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par une demande enregistrée sous le n° 1908138, de condamner solidairement la régie autonome des transports parisiens (RATP) et Ile-de-France mobilités (IDFM) à lui verser une provision d'un montant de 8 230 000 euros en réparation des préjudices commerciaux subis du 1er février 2017 au 31 mars 2019 en raison des travaux de prolongement de la ligne de métro n°14 et, par une demande enregistrée sous le n° 1908363, de condamner solidairement la RATP et Ile-de-France mobilités à lui verser la somme de 11 875 827 euros en réparation des préjudices commerciaux subis du 1er février 2017 au 31 octobre 2019.
Par un jugement nos 1908138 et 1908363 du 28 avril 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur la demande de provision et a rejeté le surplus des conclusions de la société Clichy distribution.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 juin 2022, 6 juillet 2023 et 18 janvier 2024, la société Clichy distribution, représentée par Me Levy, avocat, doit être regardée comme demandant à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette sa demande présentée sous le n° 1908363 ;
2°) à titre principal, de condamner solidairement la RATP et IDFM à lui verser la somme de 11 875 827,00 euros en réparation des préjudices commerciaux subis du 1er février 2017 au 31 octobre 2019 en raison des travaux de prolongement de la ligne de métro n°14, augmentée des intérêts légaux à compter du 16 avril 2019 et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la RATP et IDFM à lui verser la somme de 9 500 661,06 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 16 avril 2019 et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge solidaire de la RATP et IDFM la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- elle a subi un préjudice anormal et spécial du fait des travaux entrepris pour l'extension de la ligne de métro n° 14, ces travaux ayant rendu l'accès au centre commercial particulièrement difficile durant plus de cinq ans et son chiffre d'affaires ayant connu une chute inédite, en particulier à compter de 2016/2017 ;
- aucune cause étrangère ne saurait expliquer cette baisse anormale du chiffre d'affaires ; d'une part, le magasin E. Leclerc, situé dans le centre commercial " So Ouest " à Levallois-Perret, a ouvert en octobre 2012 et remplacé l'un des deux hypermarchés Leclerc jusqu'alors ouvert sur la commune ; son impact a donc été très limité tant en volume qu'en durée alors que cet hypermarché ne cible pas la même clientèle ; il en est de même du magasin Carrefour Qwartz ouvert depuis le 9 avril 2014 et situé à Villeneuve-la-Garenne, qui ne partage aucunement la même clientèle, aucune baisse n'ayant d'ailleurs été observée dans les deux mois qui ont suivi son ouverture ; s'agissant du magasin E. Leclerc ouvert depuis le 21 avril 2016 et situé boulevard MacDonald à Paris 19ème, les deux magasins sont éloignés géographiquement et la superficie du magasin implique une zone d'attraction limitée ; s'agissant de la conjoncture économique des hypermarchés, l'indice Insee ne montre pas de tendance baissière particulière sur la période et les enseignes Leclerc connaissent par ailleurs une forte hausse et gagnent des part de marchés ainsi qu'en attestent les chiffres de 2019 ; enfin, la fermeture de l'espace culturel Leclerc situé à proximité du centre commercial est due aux difficultés d'exploitation consécutives aux travaux de la RATP et ne saurait donc expliquer la baisse de son chiffre d'affaires ;
- l'installation d'une nouvelle station de métro en face du magasin ne permettra pas de compenser ses pertes, dès lors que les études réalisées démontrent que seuls 7 % des clients en 2022 viennent au magasin en métro, contre 2 % en 2013 ;
- à supposer que des causes étrangères soient retenues, elles ne devraient être prises en compte qu'au stade de l'indemnisation et non remettre en cause l'appréciation du lien de causalité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 avril 2023, 4 janvier 2024, ainsi qu'un dernier mémoire enregistré le 7 février 2024, non communiqué, la régie autonome des transports parisiens (RATP), représentée par Me Lapisardi, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Clichy distribution la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2023, Ile-de-France mobilités (IDFM), représentée par Me Lubac, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Clichy distribution la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- les observations de Me Levy pour la société Clichy distribution, celles de Me Villalard pour la RATP et celles de Me Boudoyen pour IDFM.
Considérant ce qui suit :
1. La société Clichy distribution relève appel du jugement du 28 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a refusé de faire droit à sa demande de condamnation solidaire de la régie autonome des transports parisiens (RATP) et d'Ile-de-France mobilités (IDFM) à lui verser la somme de 11 875 827 euros en réparation des préjudices commerciaux qu'elle estime avoir subis du 1er février 2017 au 31 octobre 2019 en raison des travaux de prolongement de la ligne de métro n° 14.
2. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués, et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
3. Il résulte de l'instruction que les travaux nécessaires à l'extension de la ligne 14 du métro ont conduit, à compter d'avril 2014 jusqu'en octobre 2019, à des perturbations de la circulation au droit du centre commercial Leclerc de Clichy consistant principalement en la réduction de la circulation du boulevard Victor Hugo desservant l'hypermarché à compter d'octobre 2014 puis sa fermeture totale d'avril 2015 à septembre 2016 avant une réouverture progressive à la circulation, à la mise en sens unique de la rue Pierre Dreyfus permettant d'accéder au parking du magasin à compter d'avril 2014, ainsi qu'à la présence à compter de 2017 jusqu'en mars 2019 d'emprises de chantier doublées de palissades encerclant l'entrée du centre commercial et réduisant la circulation, l'accès et la visibilité de l'hypermarché jusqu'à mars 2019. Toutefois, si ces travaux ont été de nature, sur une période de plusieurs années, à ralentir sensiblement la circulation aux alentours du centre commercial et à gêner l'accès au magasin, cette gêne étant accentuée par la modification régulière de l'emprise du chantier, ces travaux n'ont pas rendu impossible l'accès à l'hypermarché, dont le parking a pu rester ouvert sur toute la période, ni n'en ont altéré significativement la visibilité, compte tenu de la dimension et du positionnement en hauteur de son enseigne et des panneaux permettant de guider les clients qui ont été apposés sur les palissades du chantier.
4. Il résulte par ailleurs de l'instruction que, malgré une gêne importante de circulation due aux travaux dont la société Clichy distribution s'est plainte dès mars 2014, le chiffre d'affaires de l'entreprise n'a connu qu'une baisse modérée les trois premières années du chantier (-3,45 % en 2014, -7,33 % en 2015, -14,71 % en 2016), y compris durant la période de fermeture totale du boulevard Victor Hugo, principale voie d'accès au centre commercial selon la société requérante, et alors qu'à compter de mars 2015, le transit par ce secteur était déjà fortement déconseillé par des panneaux installés notamment sur le boulevard périphérique. En outre, si le chiffre d'affaires de l'hypermarché Leclerc a continué à chuter durant les années 2017 à 2019 (-22,54 % en 2017, -27,43 % en 2018, -29,67 % au 31 octobre 2019), la fréquentation du magasin n'a pas diminué dans les mêmes proportions sur toute la période (-1,21 % en 2014,
-1,06 % en 2015, -6,47 % en 2016, -12,39 % en 2017, -18,50 % en 2018 et de -18,95 % jusqu'au 31 octobre 2019 par rapport à 2013) et il résulte de l'instruction que le marché des hypermarchés a connu une baisse globale de chiffre d'affaires entre les années 2010 et 2018 de 3,3 % due en particulier à la baisse des ventes des produits non-alimentaires.
5. En outre, il est constant que durant la période des travaux, trois enseignes ont ouvert en 2012, 2014 et 2016 à Levallois, Villeneuve-la-Garenne et dans le 19ème arrondissement de Paris. Si le magasin E-Leclerc ouvert à Paris n'apparaît pas en mesure de concurrencer directement le centre commercial de Clichy compte tenu de sa superficie et de son éloignement (6,2 km), l'hypermarché E-Leclerc ouvert en octobre 2012 dans le nouveau centre commercial So Ouest, à moins de 3 km, ainsi que l'hypermarché Carrefour installé au sein du nouveau centre commercial Qwartz ouvert en avril 2014, à proximité de la commune de Saint-Ouen, où réside environ 30 % de la clientèle de l'hypermarché Leclerc de Clichy, étaient de nature sur le long terme à concurrencer directement la société Clichy distribution, dont l'enseigne, ouverte en 1996, présentait des signes de vieillissement. A cet égard, la seule circonstance que la fréquentation de l'hypermarché Carrefour impose de traverser la Seine n'est pas de nature à démontrer que le nouveau centre commercial n'aurait pas attiré une partie de la clientèle de la société requérante. En outre, la circonstance que le chiffre d'affaires de la société Clichy distribution a stagné durant le premier semestre 2014 alors que celui du magasin Leclerc de Levallois continuait de croître ne permet pas de considérer que l'impact de la concurrence de ce nouveau magasin aurait cessé après 2013 alors qu'en 2015 et 2016, le chiffre d'affaires du magasin de Levallois a continué de progresser pendant que celui de Clichy poursuivait sa baisse.
6. Enfin, si le chiffre d'affaires de la société Clichy distribution a connu une amélioration depuis la fin des travaux, celui-ci reste toutefois en 2022 inférieur de -22,51 % à celui de l'enseigne en 2013, sans que cette baisse ne puisse s'expliquer par la seule circonstance que les clients ne modifient pas instantanément leurs habitudes de consommation.
7. Dans ces circonstances, il ne résulte pas de l'instruction que la baisse de chiffre d'affaires de la société Clichy distribution est imputable, pour une part excédant les sujétions normales que doivent supporter les riverains des voies publiques, aux travaux de prolongation de la ligne 14.
8. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu par ailleurs de mettre à la charge de la société Clichy distribution la somme que la RATP et IDFM demandent sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Clichy distribution est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la RATP et IDFM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Clichy distribution, à la régie autonome des transports parisiens et à Ile-de-France mobilités.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
Mme Bahaj, première conseillère,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01511 2