Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS Alhuy a demandé au tribunal administratif de Versailles, d'une part, d'annuler les conventions de concession de service public relatives aux opérations de dépannage, de remorquage et de mise en fourrière des véhicules sur le réseau routier et autoroutier national non concédé de l'Essonne, concernant les lots n° 1 (secteur les Ulis - véhicules légers), n° 2 (secteur les Ulis - poids lourds) et n° 3 (secteur Chilly-Mazarin - véhicules légers), ensemble la décision du préfet de l'Essonne rejetant ses offres pour ces lots, d'autre part, d'enjoindre au préfet de l'Essonne de reprendre la procédure de passation au stade de l'avis de concession pour les lots n° 1, 2 et 3, enfin, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 3 678 351 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi.
Par un jugement n° 1907483 du 21 février 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 avril 2022, et un mémoire enregistré le 21 mars 2024 qu'il n'a pas été jugé utile de communiquer, la SAS Alhuy, représentée par Me Debut, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'enjoindre avant-dire droit à la préfecture de l'Essonne de produire les contrats de concession signés, les offres de prix remises par les attributaires, les mémoires techniques et les annexes au rapport d'analyse des offres ;
3°) d'annuler les conventions de concession de service public relatives aux opérations de dépannage, de remorquage et de mise en fourrière des véhicules sur le réseau routier et autoroutier national non concédé de l'Essonne conclues pour les lots n° 1, 2 et 3 ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de reprendre la procédure de passation au stade de l'avis de concession pour les lots n° 1, 2 et 3 ;
5°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 3 678 351 euros en réparation de son manque à gagner, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'appel d'offres et les conventions attaquées, qui concernent des sections d'autoroute du ressort de la préfecture des Hauts-de-Seine, ont été engagés par une autorité partiellement incompétente ;
- l'Etat a méconnu l'obligation de hiérarchisation et de pondération des critères d'attribution ;
- la notification tardive des motifs de rejet des offres de l'exposante révèle un détournement de procédure ; cette omission grave viole non seulement les dispositions de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique mais aussi le droit au recours au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'Etat ne pouvait, sans erreur manifeste d'appréciation, attribuer au groupement MFK Transports les lots n° 1, 2 et 3 dès lors que le principal site d'exploitation et siège social de l'entreprise 3J a été entièrement détruit par un incendie le 2 juin 2019 et que le critère de proximité géographique était l'un des critères d'attribution des offres ;
- à tout le moins, le rejet de l'offre de l'exposante, dont les installations recouvraient la totalité des secteurs concernés par leur implantation aux deux extrémités géographiques, est objectivement incompréhensible et procède d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- les illégalités alléguées imposent l'annulation des conventions conclues ; l'exposante disposait par ailleurs d'une chance sérieuse de se voir attribuer les contrats ; elle est ainsi fondée à solliciter la somme de 3 678 351 euros en réparation de son manque à gagner.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, la SARL Dodeca, représentée par Me Job, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Alhuy la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la SAS Alhuy ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée aux sociétés AMP Dépannages, Harcour Services et au groupement MFK Transports qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- les observations de Me Debut pour la SAS Alhuy et celles de Mme A... pour le ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis de concession publié au bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union Européenne (JOUE) le 27 février 2019, le préfet de l'Essonne a lancé un appel à candidatures en vue de l'attribution, pour six ans, de concessions pour le dépannage, le remorquage et la mise en fourrière des véhicules légers ou lourds sur le réseau routier et autoroutier non concédé de l'Essonne. Le réseau a été divisé en trois secteurs géographiques d'intervention et chaque secteur a fait l'objet de deux lots selon le type de véhicules (véhicules légers et véhicules lourds), soit six lots au total. Par la présente requête, la SAS Alhuy, attributaire des lots n° 4, 5 et 6, relève appel du jugement du 21 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation des conventions de concessions correspondant aux lots n° 1 (véhicules légers - Ulis), 2 (véhicules poids lourds - Ulis) et 3 (véhicules légers - Chilly-Mazarin) attribuées aux sociétés AMP Dépannages, Harcour Services et Dodeca pour le premier, et aux sociétés Harcour Services, Dodeca et au groupement MFK Transports pour les deux autres lots, ainsi qu'à l'indemnisation de son manque à gagner.
Sur les conclusions à fin d'annulation ou de résiliation des contrats de concession :
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Les tiers autres que le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale, ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
3. Saisi par un tiers, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne la compétence du préfet de l'Essonne :
4. S'il résulte de l'instruction qu'un tronçon de 446 mètres de l'autoroute A6a et de 383 mètres de la bretelle A6b est situé dans le département des Hauts-de-Seine et ne relève, par conséquent, pas de la compétence territoriale du préfet du département de l'Essonne, cette incompétence, qui ne concerne pas les lots n° 1 et 2 attaqués et seulement 2,4 % du lot n° 3, ne présente pas dans les circonstances de l'espèce, compte tenu de ce que ces sections d'autoroute ne comportent aucune bretelle d'accès depuis le territoire des Hauts-de-Seine et de l'impératif de gestion efficace du service de dépannage, une gravité telle qu'elle justifie l'annulation de la concession litigieuse ou même d'une de ses clauses ou bien encore sa résiliation. Elle est de surcroît sans rapport avec l'éviction de la société requérante.
En ce qui concerne la notification des motifs de rejet de l'offre :
5. La circonstance que le préfet de l'Essonne aurait notifié tardivement à la SAS Alhuy les motifs de rejet de son offre ne saurait être regardée comme un manquement en rapport direct avec son éviction. Par suite, ce moyen, qui ne constitue pas un vice d'ordre public, doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la hiérarchisation des critères :
6. Il résulte des dispositions du II de l'article 27 du décret du 1er février 2016 que pour les contrats de concession dont la valeur estimée hors taxe est égale ou supérieure au seuil européen publié au Journal officiel de la République française, l'autorité concédante est tenue de procéder à une hiérarchisation des critères d'attribution des offres et d'indiquer cette hiérarchie dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation.
7. La SAS Alhuy fait valoir que si les critères d'analyse des offres ont été annoncés et hiérarchisés dans le règlement de la consultation, les critères 2 et 3 ont été appréciés en fonction de plusieurs sous-critères, à savoir le nombre d'équipages opérationnels et de personnels complémentaires, l'organisation générale, le savoir-faire du personnel et la surface du site pour le critère " Performance des moyens mis en œuvre par l'entreprise " et l'équipement des véhicules, les installations, la sécurité et la gestion environnementale pour le critère " Qualité de la prestation au public ", sans que le poids respectif attribué à chacun de ces sous-critères ne soit porté à la connaissance des candidats.
8. Il résulte toutefois de l'instruction que ces sous-critères ont été annoncés et précisément décrits dans le règlement de consultation suivant l'ordre décroissant de leur importance respective et que le poids des notes attribuées à chacun de ces sous-critères n'a pas remis en cause la hiérarchisation annoncée. Par ailleurs, l'autorité concédante n'est pas tenue de rendre publique sa méthode d'évaluation. Par conséquent, le moyen invoqué ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la disparition d'un élément essentiel du contrat :
9. La SAS Alhuy fait valoir que, postérieurement à l'attribution du contrat, le dépôt de Longjumeau du groupement MFK Transports a été détruit dans un incendie le 2 juin 2019 et que cet élément, qui a " bouleversé l'économie générale du choix des attributions " et entaché la conclusion du contrat " d'une erreur ", imposait au préfet de reprendre une nouvelle consultation. D'une part toutefois, il n'est pas contesté en appel que le groupement MFK Transports ne s'est pas vu attribuer le lot n° 1. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 36 du décret du 1er février 2016 qu'un contrat de concession peut être modifié lorsque " la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu'une autorité concédante diligente ne pouvait pas prévoir " ou bien encore, lorsque les modifications, quel qu'en soit le montant, ne sont pas substantielles. Est notamment regardée comme substantielle une modification qui " introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l'admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d'une offre autre que celle initialement retenue ". En l'espèce, cet évènement, intervenu après l'attribution de la concession, n'était pas prévisible. Par ailleurs, l'administration a dûment été informée de l'incendie et n'a donc pas été induite en erreur au moment de la signature du contrat, ni sur son cocontractant, la société MFK n'ayant pas présenté d'offre sous forme de groupement pour ces lots, ni sur l'offre de l'attributaire. Enfin, il n'est pas établi par la SAS Alhuy, dont la démonstration n'est pas étayée sur ce point, que les deux autres sites du groupement MFK Transports situés à Chilly-Mazarin et Ris-Orangis, d'une surface totale de 9 000 m², ne permettraient pas de répondre aux prescriptions du cahier des charges, ni même que la non prise en compte du site de Longjumeau aurait conduit à modifier l'ordre de classement des offres.
En ce qui concerne l'erreur manifeste d'appréciation de l'offre de la SAS Alhuy :
10. En se bornant à affirmer que le rejet de son offre, alors que les installations recouvraient la totalité des secteurs concernés par leur implantation aux deux extrémités géographiques, est objectivement incompréhensible, alors qu'il résulte de l'instruction que l'implantation des installations du concessionnaire n'était pas le seul critère pris en compte et que les autres sociétés sélectionnées disposaient également de dépôts à proximité des secteurs identifiés au cahier des charges, la SAS Alhuy n'établit pas qu'une erreur manifeste d'appréciation aurait été commise dans l'analyse des offres.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la SAS Alhuy doivent être rejetées.
Sur les autres conclusions :
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Alhuy n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées aux fins d'injonction et d'indemnisation, de même que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu par ailleurs de mettre à la charge de la SAS Alhuy la somme que la société Dodeca sollicite sur le fondement de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Alhuy est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Dodeca sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Alhuy, au ministre de l'intérieur, à la société AMP Dépannages, à la société Harcour Services, à la société Dodeca et au groupement MFK Transports.
Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
La rapporteure,
J. FLORENTLa présidente,
C. SIGNERIN-ICRE
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE00946 2