Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes séparées, la société Métro France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler, d'une part, la décision implicite née le 31 juillet 2018 par laquelle la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par elle à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 28 février 2018 refusant de lui accorder l'autorisation de licenciement pour faute de M. C... A..., ensemble la décision de l'inspecteur du travail du 28 février 2018 et, d'autre part, la décision expresse du 26 novembre 2018 de la ministre du travail, en tant qu'elle a rejeté sa demande d'autorisation de licencier M. C... A....
Par un jugement nos 1811189 et 1901181 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a joint ces deux demandes, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la société Métro France tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 28 février 2018 et de la décision implicite de la ministre du travail du 31 juillet 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2022, la société Métro France, représentée par Me Desaint, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 26 novembre 2018 de la ministre du travail ;
3°) d'enjoindre à la ministre du travail d'autoriser le licenciement de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir ou, à titre subsidiaire, de rendre une nouvelle décision dans ce même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens de l'instance.
Elle soutient que :
- la décision du 26 novembre 2018 est insuffisamment motivée dès lors que la ministre du travail n'a pas statué en fonction des éléments de droit et de fait existant au jour de sa décision et qu'elle n'a pas apprécié le grief tiré de la dégradation des conditions de travail ;
- les faits reprochés à M. A... ne sont pas prescrits ;
- l'ensemble des faits reprochés à M. A... ont été portés à sa connaissance à l'occasion de son entretien préalable ;
- M. A... a commis des fautes graves de nature à justifier son licenciement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2024, le ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Métro France ne sont pas fondés.
La procédure a été communiquée à M. A..., qui n'a pas produit d'observations à ce stade de la procédure.
Par ordonnance du 7 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 8 avril 2024 en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gholami Bavil, pour la société Métro France, et de M. C... A....
Deux notes en délibéré, présentées par M. A..., ont été enregistrées le 3 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... a été recruté par la société Métro France par contrat de travail à durée indéterminée conclu le 31 juillet 2001. Il exerçait, en dernier lieu, les fonctions d'organisateur et détenait le mandat de délégué du personnel suppléant sur l'établissement de Métro Cash et Carry France Services Centraux. Le 5 janvier 2018, la société Métro France a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. A... pour faute grave. Par une décision du 28 février 2018, l'inspecteur du travail a refusé de faire droit à cette demande. L'employeur a alors formé, le 28 mars 2018, un recours hiérarchique devant la ministre du travail, resté, dans un premier temps, sans réponse expresse et donc rejeté par une décision implicite née le 31 juillet 2018. Puis, dans un second temps, par une décision expresse du 26 novembre 2018, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé le licenciement pour faute de M. A.... La société Métro France a formé deux recours contentieux, l'un à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 28 février 2018 ensemble la décision implicite de rejet de la ministre du travail, l'autre à l'encontre de la décision expresse du 26 novembre 2018 de la ministre du travail, en tant qu'elle a rejeté sa demande d'autorisation de licenciement. Par le jugement nos 1811189 et 1901181 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a joint ces deux demandes, a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la société Métro France tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 28 février 2018 et de la décision implicite de la ministre du travail du 31 juillet 2018 et a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. La société Métro France relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du 26 novembre 2018 de la ministre du travail :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
3. La société Métro France soutient que la décision attaquée est insuffisamment motivée. Elle reproche en effet à la ministre du travail de ne pas avoir examiné le grief tiré de la dégradation des relations de travail entrainée par le comportement de M. A.... Toutefois, la ministre du travail a estimé que ce grief ne pouvait être retenu dès lors que son contenu n'avait pas été suffisamment explicité à M. A... au cours de l'entretien préalable du 2 janvier 2018. Par suite, elle n'avait pas à examiner si les faits reprochés à M. A... au titre de ce grief étaient ou non établis, ni à mentionner le courriel du 16 novembre 2018 envoyé par la société Métro France, qui avait pour objet de lui démontrer le bien-fondé de ce grief.
4. En deuxième lieu, dès lors que la ministre du travail n'avait pas à mentionner ce courriel, cette absence de mention n'est pas de nature à révéler qu'elle aurait statué en ne prenant pas en compte les éléments de droit et de fait au jour de sa décision.
5. En troisième lieu, le moyen tiré du caractère non prescrit des faits reprochés à M. A... est inopérant dès lors que la ministre du travail ne s'est pas fondée sur une telle prescription pour refuser le licenciement sollicité.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation ". Aux termes de l'article L. 1232-3 du même code : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. ". Aux termes de l'article R. 1232-1 de ce code : " La lettre de convocation prévue à l'article L. 1232-2 indique l'objet de l'entretien entre le salarié et l'employeur. Elle précise la date, l'heure et le lieu de cet entretien. Elle rappelle que le salarié peut se faire assister pour cet entretien par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou, en l'absence d'institutions représentatives dans l'entreprise, par un conseiller du salarié ".
7. En l'espèce, le courrier de convocation de M. A... à l'entretien préalable au licenciement, en date du 20 décembre 2017, ne donne aucune précision quant aux faits qui lui sont reprochés. Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable du 2 janvier 2018 que, lors cet entretien, il a été reproché à M. A... " d'être le catalyseur inquiétant de la dégradation au sein de l'entreprise des conditions de travail (des) collaborateurs, par des insultes et des menaces ", mais que son employeur, qui se prévalait d'attestations d'autres employés, a refusé d'en divulguer le nombre et le contenu et que M. A..., malgré ses demandes en ce sens, n'a obtenu aucune précision supplémentaire sur ce qui lui était exactement reproché. Or, si l'employeur n'était pas dans l'obligation de divulguer à M. A... les témoignages des salariés entendus par la commission d'enquête, il lui incombait de détailler de façon suffisante les faits reprochés au salarié afin de lui permettre de s'expliquer. Par suite, la ministre du travail n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que ce grief ne pouvait être retenu faute pour M. A... d'avoir eu la possibilité de s'en expliquer.
8. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail : " Aucun salarié (...) ne peut être (...) licencié (...) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ". Il résulte de ces dispositions que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
9. Il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 30 mai 2017 adressé à Mme D..., directrice des ressources humaines, M. A... a porté contre cette dernière et contre M. B..., son supérieur hiérarchique direct, des accusations liées aux faits de harcèlement et de discrimination qu'il disait subir en raison de ses activités syndicales. M. A... se référait à un événement récent, à savoir le refus de remplacer son ordinateur professionnel, ainsi qu'à vingt autres faits qui auraient eu lieu au cours des derniers mois et qui visaient, selon lui, à vider son poste de travail de sa substance et à l'isoler. La société Métro France a mis en place une commission d'enquête au cours de laquelle sept salariés ont été auditionnés, et qui a conclu que le " décalage entre les graves accusations portées par M. A... et la réalité des faits est tel, qu'il apparaît impossible pour la commission d'enquête que M. A... ait pu objectivement ou subjectivement penser être véritablement victime d'une situation de harcèlement moral et de discrimination ". Toutefois, dans les conclusions de son rapport, la commission d'enquête ne se prononce explicitement que sur le refus de remplacer l'ordinateur professionnel de M. A..., qui était justifié selon elle par des motifs de sécurité informatique, mais pas sur les vingt autres agissements dénoncés par M. A.... Si, au cours de leurs auditions, des salariés interrogés ont remis en cause la réalité de certains faits allégués par M. A..., d'autres faits font seulement l'objet d'une divergence d'interprétation quant à leur caractère discriminatoire. En ce qui concerne le refus de remplacer son ordinateur, M. A... n'a pas reporté des faits inexacts mais a seulement interprété ce refus comme discriminatoire, ce qu'il a pu faire en toute bonne foi, eu égard aux nombreux conflits qui l'opposaient à son employeur. Dans ces conditions, il existe un doute sur la mauvaise foi de M. A..., qui doit lui profiter. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la ministre aurait commis une erreur d'appréciation en refusant de retenir les faits précités à l'encontre du salarié et en estimant que ces faits ne constituaient pas une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Métro France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation, n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction de la société Métro France ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société Métro France et non compris dans les dépens.
Sur les dépens :
13. La société Métro France ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ses conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Métro France est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à la société Métro France et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 octobre 2024.
La rapporteure,
C. Pham Le président,
F. Etienvre
La greffière,
S. Diabouga
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE02197