Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 22 septembre 2020 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision du 2 janvier 2020 par laquelle l'inspectrice du travail avait refusé d'accorder à la société Fiducial Private Security l'autorisation de le licencier et, d'autre part, autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2011706 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 9 décembre 2022, M. E..., représenté par la société Ad Legem Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 22 septembre 2020 précitée ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que les pièces numérotées 99 et 100 ont été réceptionnées par lui seulement après clôture de l'instruction et communiquées trop tardivement pour qu'il puisse en débattre utilement ;
- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, dès lors que la convocation et la poursuite de l'entretien préalable, la présentation de la demande d'autorisation de licenciement et la présidence du comité social et économique lors de la séance au cours duquel ce comité s'est prononcé sur cette demande d'autorisation de licenciement ont été menées par différents salariés de la société Fiducial Staffing, société étrangère à l'employeur ;
- il n'a commis aucune faute en ne respectant pas la clause de mobilité de son contrat, dès lors que cette clause est nulle du fait de son manque de précision et que les postes qui lui étaient proposés modifiaient ses conditions de travail ou portaient atteinte à sa vie privée et familiale ;
- son licenciement constitue l'aboutissement d'un harcèlement moral dont il est l'objet depuis de nombreuses années.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2023, la société Fiducial Private Security, représentée par Me Laplante, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. E... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête et informe la cour qu'il n'a pas d'autres observations à présenter.
Par ordonnance du 4 juin 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 21 juin 2024 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Abauzit pour M. E..., et de Me Volpe substituant Me Laplante, pour la société Fiducial Private Security.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... E... était engagé depuis le 1er août 2002 en contrat à durée indéterminée en qualité d'agent de surveillance, catégorie agent d'exploitation, par la société Fiducial Private Security, qui exerce son activité dans le domaine de la prévention et de la sécurité. À la date des faits litigieux, il était par ailleurs titulaire des mandats de défenseur syndical et candidat aux élections du comité social et économique. Par courrier en date du 14 novembre 2019, la société Fiducial Private Security a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. E... au motif qu'il avait refusé de rejoindre les six affectations qui lui avaient été successivement proposées, malgré la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail. Par décision du 3 janvier 2020, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement au motif que la clause de mobilité inscrite dans son contrat était illicite et nulle en raison d'absence de définition de zone géographique d'application. Sur recours hiérarchique de la société et par décision du 22 septembre 2020, la ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. E.... Celui-ci relève régulièrement appel du jugement n° 2011706 du 13 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 22 septembre 2020.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 613-2 du code de justice administrative : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. Cet avis le mentionne. (...) ". L'article R. 613-4 de ce même code dispose : " Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-3 de ce même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que les pièces jointes numérotées n° 99 et 100 versées aux débats par la société Fiducial Private Security avaient été mises à disposition le jeudi 22 septembre 2022 à 15 heures 26, soit avant la clôture de l'instruction. Si le conseil de M. E... ne les a effectivement réceptionnées que le 26 septembre, soit après clôture de l'instruction, ce fait lui est imputable. Par ailleurs, le requérant ne peut utilement soutenir que le caractère insuffisant de ce délai pour examiner ces pièces serait de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué, alors qu'il n'a sollicité aucun report d'audience et que le président de la formation de jugement avait simplement la faculté, et non l'obligation, de rouvrir l'instruction. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit en conséquence être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre compétent doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ". L'article L. 1232-6 du même code dispose : " Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. / Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur (...) ". Il résulte de ces articles que la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement.
6. En l'espèce, il est constant que Mme C... G..., employée de la société Fiducial Staffing, a signé la convocation à l'entretien préalable au licenciement du 11 septembre 2019 et mené cet entretien préalable. Il ressort des pièces du dossier que la société Fiducial Staffing et la société Fiducial Private Security sont toutes deux détenues à 100 % par la société Fiducial SC et que, par une convention de services du 6 mai 2015, la société Fiducial Staffing assure pour la société Fiducial Private Security certaines prestations, dont " l'administration du personnel et le domaine juridique social : / gestion des entrées et sorties du personnel ". En outre, par acte en date du 30 août 2016, M. Gérard Martin, président de la société Fiducial Private Security, avait donné délégation de pouvoir à Mme G..., en sa qualité de responsable des ressources humaines de la branche sécurité, " aux fins de le représenter (...) dans le cadre de la gestion des relations tant individuelles que collectives des salariés de ladite société ". Mme G..., à qui incombait ainsi la gestion des ressources humaines de la société Fiducial Private Security et qui était salariée d'une société sœur, n'est pas une personne étrangère à la société employant M. E... et pouvait légalement se voir confier un mandat afin de conduire la procédure de licenciement en cause.
7. En deuxième lieu, la présidence du comité social et économique (CSE) examinant une demande d'autorisation de licenciement, la présentation d'une telle demande et l'introduction d'un recours à l'encontre d'une décision de refus d'autorisation de licenciement peuvent être assurées par une personne étrangère à la société, pourvu qu'elle soit régulièrement habilitée. En l'espèce, par actes du 8 juillet et du 11 septembre 2019, M. B... a donné mandats à Mme D... et à Mme F..., salariées de la société Fiducial Staffing, notamment pour " présider et animer les réunions du CSE de la société Fiducial Private Security " en sa qualité de directrice des relations sociales, pour la première, et pour " le représenter (...) dans le cadre de la gestion des relations tant individuelles que collectives des salariés de ladite société " en sa qualité de directrice des ressources humaines, pour la seconde. Du fait de ces mandats et de la convention de services du 6 mai 2015, Mme D... pouvait régulièrement présider le CSE examinant la demande d'autorisation de licenciement de M. E... et Mme F... était habilitée à présenter la demande d'autorisation de licenciement de M. E... ainsi que le recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail.
8. En troisième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
9. Par ailleurs, en l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles. En revanche, sous réserve de la mention au contrat de travail d'une clause de mobilité, tout déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.
10. D'une part, l'article 11 du contrat de travail de M. E... est constitué par une clause de mobilité par laquelle il s'était engagé " à répondre dans les plus brefs délais à toute autre affectation suivant les nécessités de l'entreprise et en tout lieu où la Société exerce ou exercera ses activités ". L'article 3 de son contrat de travail indiquait par ailleurs : " Lieu de travail : tout lieu où la société exerce ou exercera son activité (...) Région : Ile-de-France ". Par suite, cette clause de mobilité n'est pas insuffisamment précise.
11. D'autre part, la ministre du travail a estimé que M. E... avait commis une faute justifiant son licenciement en refusant l'affectation sur le site Coca-Cola situé à Grigny que lui avait proposé son employeur. Cette affectation, qui était desservie par les transports en commun, répondait tant à la clause de mobilité qu'à la quantité de travail de 76 heures prévue à l'avenant de son contrat de travail. Si M. E... se prévaut de la mention d'un temps complet dans le courrier du 8 juillet 2019 lui proposant pour la première fois cette affectation, cette mention résultait d'une simple erreur de plume, le planning joint à ce courrier correspondant à une durée de travail de 76 heures, et cette erreur a été rectifiée expressément par un courrier du 2 août 2019. Par ailleurs, le requérant ne justifie pas que, ainsi qu'il le prétend, cette affectation porterait une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Par suite, son refus, réitéré le 9 août 2019, de prendre ce poste, alors que toute ambiguïté concernant la durée de son temps de travail était levée, constitue une faute grave de nature à justifier son licenciement.
12. En quatrième et dernier lieu, aucune disposition législative ou réglementaire n'oblige la ministre du travail à surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure de résiliation judiciaire de son contrat de travail initiée par M. E... devant le conseil des prud'hommes. Il n'est pas établi que la faute commise par M. E..., et justifiant son licenciement, aurait été commise à la suite d'un harcèlement moral dont il aurait fait l'objet, dès lors que son changement d'affectation était motivé par la perte du marché de gardiennage du site Axa Technology, auquel le requérant était auparavant affecté. Par suite, après avoir exposé les motifs du changement d'affectation de M. E... et avoir démontré que son refus de rejoindre cette nouvelle affectation n'était pas justifié, la ministre du travail pouvait autoriser le licenciement du requérant sans se prononcer expressément sur l'existence ou non d'un harcèlement moral.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée, que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que M. E... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Fiducial Private Security présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les conclusions de la société Fiducial Private Security tendant au paiement des dépens :
15. La société Fiducial Private Security ne justifiant pas avoir, au cours de l'instance, exposé de dépens, au sens et pour l'application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions qu'elle présente à ce titre doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Fiducial Private Security tendant au remboursement des dépens et au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E..., au ministre du travail et de l'emploi et à la société Fiducial Private Security.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
La rapporteure,
C. PhamLe président,
F. Etienvre
La greffière,
F. Petit-GallandLa République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE02734