Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Univers Cars a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner solidairement Pôle Emploi, le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre et l'Etat à lui verser les sommes de 20 000 euros et 5 000 euros, en réparation des préjudices financiers subis et de son préjudice moral.
Par un jugement n° 1805771, 2009936 du 9 décembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 février et 13 mai 2022, la société Univers Cars, représentée par Me Porée, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 décembre 2021 ;
2°) de condamner solidairement Pôle Emploi, le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre et l'Etat à lui verser les sommes de 20 000 euros et 5 000 euros, en réparation des préjudices financiers subis et de son préjudice moral ;
3°) de mettre à la charge solidairement de Pôle Emploi, du groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre et de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le rôle de la Maison de l'Emploi et de la Formation (MEF) est de diffuser les candidatures des demandeurs d'emploi auprès des entreprises ; la MEF est donc intervenue pour proposer la candidature de M. C... ;
- M. C... avait un référent Pôle Emploi au sein de la MEF ;
- M. C... était inscrit auprès de Pôle Emploi alors qu'il ne pouvait travailler régulièrement sur le territoire français ;
- Pôle Emploi lui a assuré que le salarié pouvait travailler sur le territoire français lorsqu'elle lui a posé la question et le formulaire Cerfa transmis par la MEF indiquait que M. C... était inscrit auprès de Pôle Emploi ; elle n'a donc pas failli à son obligation de vérification ; elle s'est d'ailleurs inquiétée dès le 25 juillet 2014 de la situation de M. C... au regard de son droit de travailler en France ;
- l'obtention d'un contrat aidé étant une condition au recrutement de M. C..., la société a subi un préjudice économique et moral.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2022, le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre, représenté par Me Boulan, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité dès lors qu'il n'assure aucune responsabilité dans le processus de recrutement ;
- en tout état de cause, l'entreprise est totalement fautive pour avoir fait travailler le salarié sans vérifier au préalable si l'aide pouvait être accordée ;
- il n'est pas établi que l'aide ait été refusée au motif de la situation irrégulière du salarié ;
- le préjudice allégué n'est pas établi et ne peut dépasser 2 329 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 avril 2022, Pôle Emploi, devenu France Travail Ile-de-France, représenté par Me Bodin, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il n'est pas intervenu dans le processus de recrutement d'autant plus que le salarié, qui avait moins de 25 ans, relevait par suite de la compétence de la MEF et n'était pas inscrit comme demandeur d'emploi auprès de Pôle Emploi ;
- l'employeur doit s'assurer de l'existence d'un titre autorisant l'étranger à travailler ;
- il n'a donné aucun accord à l'obtention d'une aide au titre du dispositif des contrats unique d'insertion ;
- l'entreprise doit obtenir au préalable à l'embauche du salarié, l'accord pour bénéficier de cette aide ;
- la société a prolongé les contrats de M. C... alors même qu'elle n'avait pas obtenu d'accord pour une aide ;
- le préjudice invoqué n'est pas établi et ne peut excéder 47 % du montant des salaires versés au titre du premier contrat.
Le ministre du travail, de la santé et de la solidarité n'a pas produit d'observations en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le 24 mars 2022 en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Le Gars,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me Porée représentant la société Univers Cars, Me Azerou substituant Me Bodin, représentant Pôle Emploi, devenu France Travail Ile-de-France, et de Me Boulan, représentant le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre.
Considérant ce qui suit :
1. La société Univers Cars, souhaitant embaucher un salarié par un contrat unique d'insertion-contrat initiative emploi dans le cadre de la mise en œuvre d'une clause d'insertion sociale, figurant dans un marché public conclu en 2014 avec la commune de Nanterre et imposant de recruter des personnes en difficulté d'insertion, en a informé le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre (MEF), correspondant désigné dans cette clause d'insertion sociale pour l'accompagner dans sa mise en œuvre. La société a retenu la candidature de M. C... qu'elle a embauché à compter du 24 juillet 2014, pour une durée initiale de six mois par un contrat de travail à temps partiel à durée déterminée signé le 17 juillet 2014, renouvelé à plusieurs reprises. L'aide financière escomptée liée à un contrat unique d'insertion ne lui ayant jamais été accordée, la société Univers Cars a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner solidairement Pôle Emploi, la MEF et l'Etat à lui verser les sommes de 20 000 euros et 5 000 euros, en réparation des préjudices financiers subis et de son préjudice moral.
Sur la responsabilité :
2. Aux termes de l'article L. 5134-19-1 du code du travail : " Le contrat unique d'insertion est un contrat de travail conclu entre un employeur et un salarié dans les conditions prévues à la sous-section 3 des sections 2 et 5 du présent chapitre, au titre duquel est attribuée une aide à l'insertion professionnelle dans les conditions prévues à la sous-section 2 des mêmes sections 2 et 5. La décision d'attribution de cette aide est prise par : / 1° Soit, pour le compte de l'Etat, l'institution mentionnée à l'article L. 5312-1, les organismes mentionnés à l'article L. 5314-1 ou, selon des modalités fixées par décret, un des organismes mentionnés au 1° bis de l'article L. 5311-4 ; / 2° Soit le président du conseil général lorsque cette aide concerne un bénéficiaire du revenu de solidarité active financé par le département ; / 3° Soit, pour le compte de l'Etat, les recteurs d'académie pour les contrats mentionnés au I de l'article L. 5134-125. / Le montant de cette aide résulte d'un taux, fixé par l'autorité administrative, appliqué au salaire minimum de croissance. ". Aux termes de l'article L. 5134-19-3 du même code : " Le contrat unique d'insertion prend la forme : (...) 2° Pour les employeurs du secteur marchand mentionnés à l'article L. 5134-66, du contrat initiative-emploi défini par la section 5. ". L'article R. 5134-51 du code du travail prévoit que : " L'aide à l'insertion professionnelle est attribuée préalablement à la conclusion du contrat de travail mentionné à l'article L. 5134-69. ".
3. En premier lieu, la société Univers Cars soutient qu'afin d'exécuter la clause sociale d'insertion, figurant dans le contrat la liant à la commune de Nanterre, et de recruter ainsi une personne rencontrant des difficultés d'insertion, la maison de l'emploi et de la formation (MEF) de Nanterre était chargée de diffuser des candidatures auprès des entreprises, qu'elle lui a proposé celle de M. C..., personne dépourvue d'autorisation de travail en France, ce qui a finalement fait obstacle à l'attribution de l'aide pour un contrat unique d'insertion. Il ressort de cette clause sociale qu'une assistance technique pour en faciliter la mise en œuvre était prévue grâce à un partenariat entre la commune de Nanterre et la MEF, laquelle a pour mission notamment de proposer les personnes susceptibles de bénéficier de l'action d'insertion. Il ressort de courriels datant de juillet 2014 que la société Univers Cars était en contact avec la MEF pour l'exécution de cette clause sociale afin de recruter un salarié rencontrant des difficultés d'insertion, et du courriel du 6 juin 2014 adressé à Mme A..., agent de la MEF, que la société Univers Cars escomptait bénéficier pour cela d'un contrat aidé de type contrat unique d'insertion. Il résulte également de l'instruction que la MEF de Nanterre a transmis par courriel à la société cinq curriculum vitae de personnes en difficulté d'insertion. La société indique les noms de ces cinq personnes parmi lesquelles figure celui M. C.... Si la MEF de Nanterre conteste avoir proposé le curriculum vitae de ce dernier, elle n'indique toutefois aucun nom de personnes qu'elle aurait proposé à la société d'embaucher et se borne à soutenir qu'elle n'a pas conservé d'archives des candidatures proposées. Dans ces conditions, l'intervention de la MEF dans le recrutement de M. C... par la société Univers Cars pour la mise en œuvre de la clause sociale d'insertion du contrat liant la société à la commune de Nanterre doit être regardée comme établie.
4. En deuxième lieu, la société requérante soutient qu'elle a été induite en erreur par la MEF et Pôle Emploi sur la possibilité pour M. C... de travailler régulièrement sur le territoire français. Il résulte de l'instruction que la conseillère Pôle Emploi, Mme B..., a répondu, le 30 juillet 2014, à la société, demandant le 25 juillet 2014 si l'intéressé, muni d'un titre de séjour italien, pouvait travailler en France, que la conseillère de M. C... lui avait assuré formellement qu'il pouvait travailler avec son titre de séjour italien, information également confirmée par courriel le lendemain. Si la société Univers Cars, employeur, n'était pas dispensée de s'assurer auprès des autorités compétentes que M. C... pouvait légalement travailler sur le territoire français avec un titre de séjour italien, cette question posée à la MEF, son interlocuteur en lien avec Pôle Emploi pour le recrutement d'une personne en difficulté d'insertion, constituait bien une demande de vérification alors même qu'elle n'était pas adressée au service de l'Etat compétent. En outre, les assurances formelles de Pôle Emploi n'étaient pas de nature, en raison de sa compétence en matière d'emploi, à inciter la société à douter de la réponse fournie. Il résulte ainsi de l'instruction que cette erreur conjointe de Pôle Emploi et de la MEF a induit en erreur la société sur la possibilité pour M. C... de travailler régulièrement en France, et a été déterminante dans son recrutement.
5. En troisième lieu, la société Univers Cars soutient que la MEF lui a indiqué à tort que M. C... était inscrit auprès de Pôle Emploi depuis moins de six mois, la dispensant ainsi de vérifier si M. C... pouvait travailler régulièrement en France. Toutefois en se bornant à produire le formulaire Cerfa indiquant que M. C... était inscrit auprès de Pôle Emploi, la société n'établit pas que cette erreur proviendrait de Pôle Emploi ou de la MEF. Par suite, aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de ces organismes s'agissant de cette information.
6. Il résulte de ce qui précède que les erreurs commises par Pôle Emploi et la MEF de Nanterre dans le recrutement de M. C... constituent des fautes de nature à engager leur responsabilité, solidairement compte tenu des contacts entre ces deux organismes.
Sur le lien de causalité :
7. La MEF conteste le lien de causalité entre l'impossibilité pour M. C... de travailler régulièrement en France et le refus de contrat aidé, en soutenant que l'absence d'aide est apparemment liée à l'absence de numéro de sécurité sociale de l'intéressé. Toutefois, même après attribution d'un numéro de sécurité sociale à M. C..., aucune aide financière pour le contrat unique d'insertion n'a été versée à la société. Le refus d'octroi de l'aide au contrat unique d'insertion résulte ainsi de la situation irrégulière de M. C....
Sur les causes exonératoires :
8. Pôle Emploi et la MEF soutiennent qu'il incombait à l'employeur de s'assurer, préalablement à la conclusion du contrat de travail, qu'il pouvait bénéficier de l'aide sollicitée au titre du contrat unique d'insertion en application de l'article R. 5134-51 du code du travail, prévoyant l'attribution de l'aide à l'insertion professionnelle préalablement à la conclusion du contrat de travail. Au regard des échanges de courriels, des informations données par la MEF, notamment le 11 juillet 2014, indiquant le déroulement de la procédure selon laquelle, dans un premier temps, l'établissement d'un contrat de travail classique était nécessaire, ainsi que le renseignement d'un fichier afin de transmettre ensuite la demande d'aide, que de l'intervention active de la MEF pour la conclusion de ce contrat d'insertion sociale, des contacts existants entre la MEF et Pôle Emploi, l'imprudence de la société à conclure le contrat de recrutement de M. C... avant la décision d'attribution de l'aide sollicitée est de nature à exonérer partiellement la MEF et Pôle Emploi, à hauteur des deux tiers de leur responsabilité pour la conclusion du premier contrat de travail de six mois du 24 juin 2014 au 24 janvier 2015. En revanche, le renouvellement de ce contrat à compter du 25 janvier 2015, alors que la demande d'aide n'avait toujours pas abouti révèle une imprudence persistante de la société, de nature à exonérer totalement la MEF et Pôle Emploi de leur responsabilité.
Sur le préjudice :
9. Aux termes de l'article L. 5134-72-1 du code du travail : " Le montant de l'aide à l'insertion professionnelle versée au titre d'un contrat initiative-emploi ne peut excéder 47 % du montant brut du salaire minimum de croissance par heure travaillée, dans la limite de la durée légale hebdomadaire du travail. ". Compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, et du calcul non contesté établi par Pôle Emploi, il y a lieu de fixer l'indemnité réparatrice à la somme de 776 euros. En l'absence de préjudice moral établi, les conclusions de la société Univers Cars tendant à la condamnation de Pôle Emploi et la MEF à ce titre doivent être rejetées.
10. Il résulte de ce qui précède que la société Univers Cars est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge à ce titre de la société Univers Cars qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidairement de Pôle Emploi et de la MEF de Nanterre une somme de 1 000 euros à verser à la société Univers Cars à ce titre.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement n° 1805771-2009936 du 9 décembre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 2 : France Travail Ile-de-France et le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre sont condamnés solidairement à verser à la société Univers Cars une indemnité de 776 euros.
Article 3 : France Travail Ile-de-France et le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre sont condamnés solidairement à verser à la société Univers Cars une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par Pôle Emploi et le groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Univers Cars, à France Travail Ile-de-France, à la ministre du travail et de l'emploi et au groupement d'intérêt public Maison Emploi Formation de Nanterre.
Délibéré après l'audience du 17 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente,
Mme Le Gars, présidente assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er octobre 2024.
La rapporteure,
A.C. LE GARS La présidente,
F. VERSOL
La greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 22VE00267