Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 3 janvier 2019 de l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité de contrôle n° 1 des Hauts-de-Seine accordant à la société Cameca l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire, ensemble la décision de la ministre du travail du 2 juillet 2019 confirmant cette décision.
Par un jugement n° 1910996 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 1er août 2022 et 13 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Carlus, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de la société Cameca une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les décisions attaquées sont insuffisamment motivées ;
- elles ont été prises au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'employeur n'a pas respecté la procédure d'enquête mise en place par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ;
- les faits reprochés ne sont pas établis et ne sont en tout état de cause pas suffisamment graves pour justifier son licenciement.
Par deux mémoires en défense, enregistrés respectivement les 15 novembre 2022 et 27 mai 2024, la société Cameca, représentée par Me Adeline-Delvolvé, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministre du travail, de la santé et des solidarités, qui n'a pas produit d'observations malgré une mise en demeure du 20 octobre 2022.
Par une ordonnance du 21 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ablard,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- les observations de Me Lochouarn, substituant Me Carlus, pour M. A..., et celles de Me Harir, pour la société Cameca.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 30 novembre 2018, reçu le 4 décembre suivant, la société Cameca a demandé l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. A..., recruté le 2 janvier 2007, exerçant les fonctions de monteur micro-mécanicien, et détenant les mandats de délégué syndical, membre du comité d'entreprise, délégué du personnel et représentant syndical au comité d'entreprise. Par une décision du 3 janvier 2019, l'inspectrice du travail de la 4ème section de l'unité de contrôle n° 1 des Hauts-de-Seine a autorisé ce licenciement. Par une décision du 2 juillet 2019, la ministre du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. A... et confirmé la décision du 3 janvier 2019. M. A... relève appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
En ce qui concerne la légalité de la décision de l'inspectrice du travail du 3 janvier 2019 :
3. A l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, la société Cameca a reproché à M. A..., d'une part, un harcèlement sexiste et des outrages sexistes à l'encontre d'une collègue de travail et, d'autre part, des menaces, violences verbales et propos déplacés ayant causé des souffrances diverses chez certains collaborateurs de l'entreprise. Pour autoriser le licenciement de M. A..., l'inspectrice du travail a considéré que le principe du contradictoire avait été respecté par l'autorité administrative, que la matérialité du premier grief invoqué par l'employeur était établie, que ces faits justifiaient, à eux seuls, compte tenu de leur gravité, le licenciement de l'intéressé, et qu'il n'existait aucun lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. A....
4. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de l'inspectrice du travail doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges et exposés au point 4 du jugement attaqué.
5. En deuxième lieu, M. A... soutient que la décision attaquée a été prise au terme d'une procédure irrégulière, l'employeur n'ayant pas respecté la procédure d'enquête mise en place par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Il fait à cet égard valoir que le comité d'entreprise n'a pas disposé d'éléments objectifs lui permettant de rendre un avis éclairé le 30 novembre 2018 dès lors qu'en méconnaissance de son obligation de neutralité, l'employeur a rédigé lui-même une synthèse partiale des témoignages recueillis lors de l'enquête qui s'est déroulée du 29 octobre au 8 novembre 2018, en particulier, en reprenant des phrases sorties de leur contexte afin d'étayer l'allégation selon laquelle il aurait tenu des propos sexistes, et en omettant délibérément les passages dans lesquels les salariés interrogés déclarent n'avoir été témoins d'aucun fait de cette nature. S'il est vrai, comme le fait valoir le requérant, que l'employeur indique, dans son courrier de convocation à l'entretien préalable au licenciement, daté du 20 novembre 2018, que " la société a établi un compte-rendu des interviews ", alors que M. Eudier, secrétaire du CHSCT, membre de la commission d'enquête, indique pour sa part, dans son attestation du 1er avril 2019, que la synthèse de l'enquête " a été établie conjointement par les membres de la commission d'enquête " et qu'" à aucun moment l'employeur n'est intervenu dans la rédaction de cette synthèse ", ces éléments contradictoires ne sont pas de nature à établir que le compte-rendu transmis au comité d'entreprise n'aurait pas été impartial, pas plus que l'attestation établie le 15 mai 2019 par un collègue appartenant au même syndicat, faisant état de la " participation active " du responsable des ressources humaines au cours de l'enquête. Il est par ailleurs constant que les membres du comité d'entreprise ont été destinataires des auditions des salariés dans leur version intégrale, chaque entretien ayant fait l'objet d'un verbatim, réalisé par un sténographe appartenant à la société Ubiqus, spécialisée dans la prise de notes, présent lors des auditions, et signé par la personne concernée. En tout état de cause, il ne ressort pas d'une lecture comparée de cette synthèse et des transcriptions réalisées par le prestataire Ubiqus que la teneur des déclarations des salariés concernés n'aurait pas été reproduite de manière impartiale dans le compte-rendu transmis au comité d'entreprise. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté.
6. En dernier lieu, M. A... soutient que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis et ne sont, en tout état de cause, pas suffisamment graves pour justifier son licenciement. Il fait à cet égard valoir que seuls six salariés sur les dix-sept concernés ont été entendus par la commission d'enquête, que leurs déclarations sont insuffisamment circonstanciées, que l'inspectrice du travail et la ministre ont admis qu'aucun salarié n'a été directement témoin des propos qui lui sont imputés et qu'il existe un doute sur la réalité de ces propos, qu'il ressort des témoignages que les salariés concernés sont satisfaits de l'ambiance de travail, que si ses plaisanteries peuvent parfois heurter la sensibilité de certains de ses collègues, elles ne sauraient être assimilées à un harcèlement sexiste ou des outrages sexistes, qu'en tout état de cause, ses plaisanteries n'ont jamais visé la salariée concernée, et que ses propos parfois déplaisants visaient indistinctement des hommes et des femmes. S'il est vrai, comme le fait valoir le requérant, que l'inspectrice du travail a relevé dans sa décision qu'" à l'exception d'un salarié, aucun salarié n'a été directement témoin de propos sexistes ou blessants qui auraient été directement et personnellement adressés par M. A... à Mme B... " et que " certains des témoignages recueillis sont par ailleurs des témoignages de seconde main ", il ressort des pièces du dossier et, en particulier, des différents témoignages recueillis au cours de l'enquête, concordants et suffisamment circonstanciés, que l'intéressé a tenu de façon récurrente des propos de nature ouvertement sexiste en présence de ses collègues, et notamment de Mme B.... Si le requérant soutient que ses propos, dont il reconnaît le caractère à tout le moins déplacé, n'ont jamais visé personnellement Mme B..., il ressort des pièces du dossier que cette salariée, seule femme du service, a souffert de ce comportement et subi une dégradation de ses conditions de travail, au point d'être placée en arrêt de travail à compter du 9 octobre 2018 et de présenter finalement sa démission le 10 mai 2019. Si M. A... produit deux attestations établies par des collègues de travail, faisant état de ses qualités humaines et de l'efficacité de son action syndicale, ces seuls documents ne sont pas de nature à remettre en cause la teneur et la portée des témoignages des autres salariés et l'appréciation de l'administration. Dans ces conditions, compte tenu de leur nature et de leur caractère répété, les faits d'outrages sexistes reprochés à M. A..., dont la matérialité est établie, sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, nonobstant la circonstance qu'il n'a jamais été sanctionné au cours de sa carrière et que la démission de Mme B... n'est finalement intervenue qu'après son licenciement. Par suite, et alors, au demeurant, que le rapport de la commission d'enquête concluant à l'existence d'un tel comportement a fait l'objet d'un vote favorable du CHSCT et que le comité d'entreprise s'est prononcé en faveur du licenciement, le moyen tiré d'une erreur d'appréciation commise par l'inspectrice du travail doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité de la décision de la ministre du travail du 2 juillet 2019 :
7. Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet (...) ". Lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement formée par un employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision.
8. La ministre du travail, saisie d'un recours hiérarchique par M. A..., a, par sa décision du 2 juillet 2019, confirmé la décision de l'inspectrice du travail du 3 janvier 2019. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de ce que la décision de la ministre du travail serait insuffisamment motivée et aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière doivent être écartés comme inopérants.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Cameca, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. A... le versement à la société Cameca de la somme qu'elle demande sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Cameca au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à la société Cameca et au ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
M. Ablard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.
Le rapporteur,
T. ABLARDLe président,
F. ETIENVRELa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE01914