Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 30 décembre 2022, le 26 janvier 2024 et le 30 mai 2024, la société Auchan hypermarché, représentée par Me Encinas, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision du 13 octobre 2022 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a délivré à la société Lidl une autorisation d'exploitation commerciale pour l'extension de 579,30 mètres carrés de surface de vente d'un supermarché situé 8 rue du Lot à Buchelay ;
2°) et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt à agir et sa requête est recevable ;
- la décision attaquée est entachée d'irrégularité en ce qu'il n'est pas démontré que la procédure d'envoi des convocations à la réunion de la commission ait été respectée ;
- elle est entachée d'erreurs d'appréciation des effets du projet sur sa localisation et son intégration urbaine, sur la consommation économe de l'espace, sur l'animation de la vie urbaine, sur les flux de transport, sur son accessibilité par les transports collectifs et les modes doux de circulation, sur la préservation et la revitalisation du tissu commercial de centre-ville, sur sa qualité environnementale, sur son insertion paysagère et architecturale, sur son accessibilité par les consommateurs en termes de proximité par rapport aux lieux de vie et sur la variété de l'offre, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce.
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 mars et 25 juin 2024, la société Lidl, représentée par Me Robbes, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Auchan hypermarché en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
La Commission nationale d'aménagement commercial a déposé des pièces le 8 janvier 2024.
La requête a été communiquée à la commune de Buchelay, à la société Mahb et à la société Mafical qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Aventino,
- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,
- et les observations de Me Encinas pour la société Auchan Hypermarché et de Me Sabbagh pour la société Lidl.
Considérant ce qui suit :
1. La société Lidl a déposé le 15 avril 2022 une demande d'autorisation d'exploitation commerciale pour l'extension de sa surface de vente de 579,30 m² au sein d'un ensemble commercial situé ZAC des Closeaux, 8 rue du Lot à Buchelay. La commission départementale d'aménagement commercial des Yvelines a émis un avis favorable le 8 juin 2022. Saisie d'un recours préalable obligatoire par la société Auchan hypermarché, qui exploite un hypermarché dans cette même commune, la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) a autorisé le projet par une décision du 13 octobre 2022. La société Auchan hypermarché demande à la cour d'annuler cette décision d'autorisation d'exploitation commerciale.
Sur la légalité de la décision du 13 octobre 2022 :
En ce qui concerne la procédure devant la Commission nationale d'aménagement commercial :
2. Aux termes de l'article R. 752-35 du code de commerce : " La commission nationale se réunit sur convocation de son président. / Cinq jours au moins avant la réunion, chacun des membres reçoit, par tout moyen, l'ordre du jour ainsi que, pour chaque dossier : / 1° L'avis ou la décision de la commission départementale ; / 2° Le procès-verbal de la réunion de la commission départementale ; / 3° Le rapport des services instructeurs départementaux ; / 4° Le ou les recours à l'encontre de l'avis ou de la décision ; / 5° Le rapport du service instructeur de la commission nationale. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, conformément aux exigences réglementaires rappelées ci-dessus, les membres de la CNAC ont été simultanément destinataires le 28 septembre 2022, par l'application www.e-convocations.com, d'une convocation en vue de la 546ème séance de la commission du 13 octobre 2022, au cours de laquelle a été examiné le projet en litige. Cette convocation était assortie de l'ordre du jour de cette séance et précisait que les documents mentionnés à l'article R. 752-35 du code de commerce seraient disponibles, au moins cinq jours avant la tenue de la séance, sur la plateforme de téléchargement. La CNAC produit également une attestation d'envoi de réunion générée par l'application mentionnant la liste des membres destinataires ainsi qu'une attestation établie le 20 décembre 2023 par la secrétaire de la commission. Elle produit également deux copies d'écran établissant qu'un fichier intitulé " CNAC 546 et 547 " a été partagé via la plate-forme d'échanges de fichiers SOFIE aux membres de la commission à compter du 6 octobre 2022 et que certains de ces membres l'ont téléchargé dès cette même date. La circonstance que certains des membres de la commission n'en auraient pas pris connaissance avant la séance est sans incidence sur la régularité de leur convocation. Par suite, en l'absence d'éléments circonstanciés de nature à remettre en cause les pièces justificatives fournies par la CNAC, qui ne sont contredites par aucune pièce du dossier, le moyen tiré de l'irrégularité de la convocation des membres devant la CNAC doit être écarté.
En ce qui concerne l'appréciation portée sur le projet par la Commission nationale d'aménagement commercial :
4. Aux termes de l'article L. 752-6 du code de commerce : " (...) La commission départementale d'aménagement commercial prend en considération : 1° En matière d'aménagement du territoire : a) La localisation du projet et son intégration urbaine ; b) La consommation économe de l'espace, notamment en termes de stationnement ; c) L'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral ; d) L'effet du projet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone ; / 2° En matière de développement durable : a) La qualité environnementale du projet, notamment du point de vue de la performance énergétique, du recours le plus large qui soit aux énergies renouvelables et à l'emploi de matériaux ou procédés éco-responsables, de la gestion des eaux pluviales, de l'imperméabilisation des sols et de la préservation de l'environnement ; b) L'insertion paysagère et architecturale du projet, notamment par l'utilisation de matériaux caractéristiques des filières de production locales ; c) Les nuisances de toute nature que le projet est susceptible de générer au détriment de son environnement proche. (...) / 3° En matière de protection des consommateurs : a) L'accessibilité, en termes, notamment, de proximité de l'offre par rapport aux lieux de vie ; b) La contribution du projet à la revitalisation du tissu commercial, notamment par la modernisation des équipements commerciaux existants et la préservation des centres urbains ; c) La variété de l'offre proposée par le projet, notamment par le développement de concepts novateurs et la valorisation de filières de production locales ; d) Les risques naturels, miniers et autres auxquels peut être exposé le site d'implantation du projet, ainsi que les mesures propres à assurer la sécurité des consommateurs. (...) ".
5. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'aménagement commercial ne peut être refusée que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi. Il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles statuent sur les dossiers de demande d'autorisation, d'apprécier la conformité du projet à ces objectifs, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du code de commerce. Les dispositions ajoutées au I de l'article L. 752-6 du code de commerce, par la loi du 23 novembre 2018, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes. Elles se bornent à prévoir un critère supplémentaire pour l'appréciation globale des effets du projet sur l'aménagement du territoire et ne subordonnent pas la délivrance de l'autorisation à l'absence de toute incidence négative sur le tissu commercial des centres-villes.
Quant à l'objectif d'aménagement du territoire :
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet est situé au nord de la commune de Buchelay et à proximité de la commune de Mantes-la-Jolie. Il est également situé à proximité d'axes routiers fréquentés, est accessible par les transports en commun ainsi que par des modes de transport doux et est notamment distant de moins de dix minutes à pied du quartier d'habitations le plus proche comme en atteste le procès-verbal de constat d'huissier établi le 29 février 2024 et produit par la société pétitionnaire. A ce titre, la société requérante n'établit pas, par le seul constat de l'absence de piétons sur les photographies annexées au constat précité, que la circonstance que ce cheminement piéton doit emprunter un pont franchissant une voie ferrée serait de nature à constituer une barrière psychologique faisant obstacle à cet accès. Dans ces conditions, le projet, qui permet d'attirer une clientèle locale et de passage, n'est pas contraire au critère de l'intégration urbaine.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet consiste à agrandir la surface de vente d'un magasin à l'enseigne Lidl d'environ 580 m² implanté au sein d'une zone d'activité commerciale depuis 2018 par la reprise du local commercial qui jouxte le magasin existant. Le rapport d'instruction devant la CNAC ainsi que le dossier de demande de déclaration préalable auquel le maire de Buchelay ne s'est pas opposé, attestent de ce que le projet, qui ne prévoit aucune nouvelle construction, diminuera le nombre de places de stationnement, lesquelles sont au demeurant mutualisées avec les autres enseignes de l'ensemble commercial, et augmentera la surface perméable du site, en perméabilisant 60 places de stationnement. Par conséquent, le moyen tiré du non-respect de l'objectif de consommation économe de l'espace devra être écarté.
8. En troisième lieu, il ressort du dossier du pétitionnaire et notamment de l'analyse d'impact que la zone de chalandise regroupe une population d'un peu plus de 64 000 habitants dont la croissance démographique a augmenté de 10% et de près de 45% sur la commune d'implantation et, d'après les projections, devrait encore augmenter d'environ 6% dans les années à venir. Si la vacance commerciale observée dans la commune d'implantation du projet, soit un local, représente le tiers des locaux commerciaux présents, elle peut être relativisée compte tenu de leur faible nombre. Si cette vacance commerciale représente également un taux de plus de 20 % à Rosny-sur-Seine, qui bénéficie, comme d'autres communes de la zone, d'un programme de soutien aux commerces de proximité, elle demeure, au sein de l'ensemble de la zone de chalandise, inférieure à la moyenne nationale. En outre, compte tenu de la nature du projet, qui consiste en une augmentation mesurée d'une surface de vente d'un supermarché existant pour offrir davantage d'espaces aux consommateurs et aux employés ainsi qu'une gamme de produits plus importante, son impact économique sur les petits commerces de centre-ville est, aux termes de l'analyse produite dans le dossier de demande, qualifié de négligeable pour la commune d'implantation de Buchelay, et de minime pour les communes de la zone de chalandise de Mantes-la-Jolie, Mantes-la-Ville et Rosny-sur-Seine. A ce titre, l'avis de la chambre de commerce et d'industrie Versailles-Yvelines du 1er juin 2022 n'est pas de nature à remettre en cause cette analyse établie à partir de projections chiffrées et précises, par sa seule mention au conditionnel de ce que le projet " pourrait avoir un impact " sur les petits commerces et de ce que le projet augmentera la concurrence entre grandes et moyennes surfaces alimentaires. Si cet avis comme les écritures de la société requérante font état de la densité commerciale importante dans la zone de chalandise, ce critère ne figure plus au nombre des critères qui doivent être pris en compte par la CNAC et, en tout état de cause, doit être relativisé dès lors que l'hypermarché Auchan, qui représente 50% de cette offre, a vocation à attirer une clientèle au-delà de la zone de chalandise du projet en litige. Il ne ressort donc pas des pièces du dossier que la réalisation du projet viendra perturber les équilibres économiques existants s'agissant en particulier du commerce de proximité. Il en résulte, en dépit de l'absence de constat d'évasion commerciale dans la zone, que les moyens tirés des effets négatifs du projet sur l'animation de la vie urbaine et la préservation et revitalisation du tissu commercial du centre-ville doivent être écartés.
9. En quatrième lieu, il ressort de l'étude de trafic actualisée réalisée par le bureau d'études EMTIS, se fondant sur des comptages recueillis du mercredi 14 au mardi 20 septembre 2022, que les conclusions de l'étude de trafic initiale, se fondant sur des comptages recueillis de janvier à février 2021 pendant le couvre-feu lié à la crise sanitaire de l'épidémie de COVID, demeurent pertinentes dès lors que si la circulation est plus importante de 12 % en moyenne, la circulation reste qualifiée de fluide. Il ressort en outre de ces deux études que les réserves de capacité des giratoires à proximité du projet sont importantes de sorte que l'augmentation du trafic engendrée par le projet, qualifiée de faible, n'aura pas d'impact de nature à congestionner les flux de circulation. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est accessible aux transports en commun, dès lors qu'il est desservi par deux lignes de bus. Il est également accessibles aux piétons et aux cycles, par des pistes cyclables, et prévoit des aménagements au sein de son emprise foncière afin de faciliter cet accès aux modes de transports doux. Si la société requérante allègue que l'accès commun aux poids lourds et aux véhicules est dangereux, ce second accès est situé à l'arrière du magasin et dessert outre l'aire de livraison, l'aire de stationnement du personnel. Le dossier indique en outre que les livraisons sont prévues en dehors des heures de pointe. Enfin, la circonstance que cet accès soit situé face à un autre accès à un parc de stationnement n'est pas, à elle seule, de nature à établir l'existance d'un risque dès lors qu'il n'est pas allégué que la largeur de la voie serait insuffisante ou que les conditions de visibilité seraient dégradées. Le moyen tiré de ce que le projet serait, sur les critères de l'effet sur les flux de transports et son accessibilité par les transports collectifs et les modes de déplacement les plus économes en émission de dioxyde de carbone, entaché d'une erreur d'appréciation ne peut dès lors qu'être écarté.
Quant à l'objectif de développement durable :
10. En premier lieu, il ressort du rapport d'instruction auprès de la CNAC et du dossier de déclaration préalable que le projet prévoit l'installation de 588 m² panneaux photovoltaïques en toiture et de 38 m² sur le parc à chariots, soit un total de 626 m² permettant de couvrir entre 25 % et 35% des besoins énergétiques du bâtiment. Ainsi qu'il a été dit au point 7, le projet prévoit la suppression de quelques places de stationnement et l'imperméabilisation de 60 places. Il crée en outre 8 places électriques ainsi qu'un parc à vélos de 14 places (dont 4 électriques). Il prévoit la plantation de 16 arbres supplémentaires et d'une haie graminée. Enfin, il ressort des pièces du dossier que sont prévus plusieurs autres aménagements permettant d'améliorer la performance énergétique du bâtiment en termes d'éclairage et de chauffage. Le moyen tiré de ce que le projet serait entaché d'une erreur d'appréciation du critère de la qualité environnementale du projet doit dès lors être écarté, nonobstant l'absence d'élément sur la gestion des eaux pluviales du bâtiment.
11. En second lieu, si la société requérante conteste la qualité architecturale du projet et son insertion dans le paysage environnant, le projet, qui ne nécessite aucune nouvelle construction, prendra place dans un bâtiment existant, évitant la création d'une friche commerciale. Il est en outre situé dans une zone d'activité commerciale constituée de bâtiments ne présentant aucun caractère homogène ni intérêt architectural. Il ressort des pièces du dossier que les aménagements extérieurs seront améliorés par la plantation d'arbres supplémentaires et la perméabilisation de places de stationnements. Il en résulte que l'appréciation par la Commission nationale d'aménagement commerciale de l'insertion paysagère et architecturale du projet n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation.
Quant à l'objectif de protection des consommateurs :
12. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisante accessibilité du site d'implantation du projet par rapport aux lieux de vie, au regard des transports publics et des modes de déplacement doux doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 6 et 9 du présent arrêt.
13. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet prévoit une amélioration du confort d'achat des clients et proposera une offre de produits de producteurs du département des Yvelines et de la région Ile-de-France. La circonstance qu'aucun de ces producteurs ne soit situé dans la zone de chalandise est sans incidence sur l'appréciation du critère lié à la variété de l'offre proposée. En conséquence, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation au regard de la variété de l'offre commerciale doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Auchan hypermarché n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 13 octobre 2022 par laquelle la CNAC a délivré à la société Lidl une autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension de la surface de vente de son enseigne située à Buchelay.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la société Auchan hypermarché sur leur fondement. Dans les circonstances de l'espèce, la société Auchan hypermarché versera une somme de 2 000 euros à la société Lidl en application des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Auchan hypermarché est rejetée.
Article 2 : La société Auchan hypermarché versera une somme de 2 000 euros à la société Lidl en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auchan hypermarché, à la société Lidl, à la société Mafical, à la société Mahb, à la commune de Buchelay, au président de la Commission nationale d'aménagement commercial et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Aventino, première conseillère,
M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2024.
La rapporteure,
B. AventinoLe président,
B. Even
La greffière,
I. Szymanski
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 22VE02907