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02/07/2024 | FRANCE | N°23VE02881

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 1ère chambre, 02 juillet 2024, 23VE02881


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 20 décembre 2017 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), unité mixte de recherche (UMR) 1190, à importer à des fins de recherche des cellules embryonnaires humaines (CSEh) d'une lignée H1-WA01 provenant du WiCell Research Institute (USA).



Par

un jugement n° 1803434 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La fondation Jérôme Lejeune a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 20 décembre 2017 par laquelle la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), unité mixte de recherche (UMR) 1190, à importer à des fins de recherche des cellules embryonnaires humaines (CSEh) d'une lignée H1-WA01 provenant du WiCell Research Institute (USA).

Par un jugement n° 1803434 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19VE01976 du 8 juillet 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement et la décision contestée.

Par une décision n° 467400 du 29 décembre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 mai 2019 et 30 juillet 2020, la fondation Jérôme Lejeune, représentée par Me Hourdin, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision contestée ;

3°) de mettre à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les motifs du jugement sont particulièrement laconiques ;

- le tribunal a entaché sa décision d'erreurs de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision contestée méconnaît les articles R. 2151-15 et R. 2151-16 du code de la santé publique faute de mention de l'adresse du fournisseur ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article R. 2151-16 du code de la santé publique faute de précision sur les informations devant être apposées sur le conditionnement extérieur ;

- les conditions de fond posées à l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, tenant au respect des principes fondamentaux posés par les articles 16 à 16-8 du code civil, garantissant le respect du corps humain, ne sont pas remplies ;

- l'Agence de la biomédecine ne s'est pas assurée du consentement et de l'absence de paiement du couple géniteur ;

- elle ne s'est pas assurée du respect des stipulations de l'article 18 de la convention d'Oviedo.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2019 et 3 septembre 2020, et après cassation, le 29 février 2024, l'Agence de la biomédecine, représentée par la SCP Piwnica et Molinié, avocats au Conseil d'Etat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la fondation Jérôme Lejeune.

Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 mai 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, au 4 juin 2024.

La requête a été communiquée à l'INSERM, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,

- et les observations de Me de Cenival, pour l'Agence de la biomédecine.

Considérant ce qui suit :

1. Par la décision contestée du 20 décembre 2017, publiée au Journal officiel le 10 février 2018, la directrice générale de l'Agence de la biomédecine a autorisé, en application des dispositions de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), unité mixte de recherche (UMR) 1190 à importer à des fins de recherche des cellules embryonnaires humaines (CSEh) d'une lignée H1 en provenance du WiCell Research Institute (USA). La fondation Jérôme Lejeune relève appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. " La fondation requérante fait valoir que le tribunal a écarté ses moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2151-16 " aux termes d'une motivation particulièrement laconique ". A supposer qu'elle ait ainsi entendu soulever un moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué, il ressort des motifs du jugement que le moyen manque en fait.

3. En second lieu, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Si la fondation Jérôme Lejeune fait valoir que le tribunal a entaché sa décision d'erreurs de droit et d'erreur manifeste d'appréciation, ces moyens sont sans incidence sur la régularité du jugement attaqué et relèvent du bien-fondé de la décision contestée.

Sur la légalité de la décision contestée :

4. L'article 18 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine stipule : " 1. Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon. / 2. La constitution d'embryons humains aux fins de recherche est interdite. " Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2151-6 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " L'importation de cellules souches embryonnaires aux fins de recherche est soumise à l'autorisation préalable de l'Agence de la biomédecine. Cette autorisation ne peut être accordée que si ces cellules souches ont été obtenues dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil. " L'article R. 2151-13 du même code disposait : " Tout organisme qui importe ou exporte des cellules souches embryonnaires doit être en mesure de justifier qu'elles ont été obtenues dans le respect des principes mentionnés aux articles 16 à 16-8 du code civil, avec le consentement préalable du couple géniteur de l'embryon qui a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne fait plus l'objet d'un projet parental, et sans qu'aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, n'ait été alloué au couple. " Aux termes de l'article R. 2151-15 : " Le directeur général de l'Agence de la biomédecine autorise l'importation et l'exportation de cellules souches embryonnaires à des fins de recherche, après avis du conseil d'orientation. (...) Cette autorisation est délivrée pour chaque opération envisagée et comporte les informations mentionnées à l'article R. 2151-16. / (...) " et aux termes de l'article R. 2151-16 du même code, dans sa rédaction applicable : " Toute opération d'importation ou d'exportation à des fins de recherche (...) de cellules souches embryonnaires est subordonnée à l'apposition sur le conditionnement extérieur des informations suivantes : / 1° La mention "cellules souches embryonnaires" ; / 2° La désignation des cellules concernées ; / 3° L'usage auquel ces cellules sont destinées ; / 4° Pour l'importation, le nom et l'adresse de l'organisme étranger fournisseur, de l'organisme autorisé à importer et du destinataire / (...) ".

5. En premier lieu, il résulte des dispositions combinées des articles R. 2151-15 et R. 2151-16 du code de la santé publique que la décision du directeur général de l'Agence de la biomédecine autorisant l'importation de cellules souches embryonnaires humaines doit comporter l'adresse de l'organisme étranger fournisseur de ces cellules. En l'espèce, eu égard à la notoriété du WiCell Research Institute, institut américain de recherche à but non lucratif de renommée mondiale dans le secteur de la banque et de la caractérisation de cellules souches pluripotentes, dont l'adresse à Madison dans l'Etat du Wisconsin était précisée dans la demande, la mention (USA, lignée H1) permettait, en dépit de l'absence de mention de son adresse complète, d'assurer une identification dépourvue de toute ambiguïté de l'organisme étranger fournisseur des cellules souches embryonnaires humaines qui pourront être importées. Par suite, le moyen tiré du défaut de mention, dans la décision contestée, de l'adresse de l'organisme étranger fournisseur, peut être écarté.

6. En deuxième lieu, la fondation Jérôme Lejeune fait également valoir que l'Agence de la biomédecine doit vérifier l'apposition des informations sur le conditionnement extérieur requises par l'article R. 2151-16 du code de la santé publiques dès le stade de l'autorisation d'importation et que ces dispositions ont été méconnues, sans d'ailleurs préciser les mentions manquantes. Cependant, ces dispositions, destinées à identifier, pour des raisons de sécurité sanitaire et de traçabilité, le contenu du colis qui sera préparé et expédié par l'organisme étranger fournisseur, concernent l'opération d'importation, postérieure à l'autorisation en litige. Par suite, l'éventuelle méconnaissance des obligations relatives au conditionnement extérieur du colis est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de l'autorisation d'importation. Le moyen ne peut dès lors qu'être écarté comme inopérant.

7. En troisième lieu, il appartient à l'Agence de la biomédecine, lors de l'instruction de la demande d'autorisation d'importation de lignées de cellules souches embryonnaires humaines, de vérifier l'effectivité du respect, par l'organisme exportateur, des conditions posées par le code de la santé publique, sans qu'il lui soit nécessaire de vérifier par elle-même le consentement éclairé préalable du couple géniteur de l'embryon. En l'espèce, l'organisme fournisseur, institut à but non lucratif de renommée mondiale ainsi qu'il a été dit, a déclaré que l'embryon dont cette lignée est dérivée provient du don anonyme et gratuit d'un embryon issu d'une assistance médicale à la procréation (AMP) et ne faisant plus partie d'un projet parental. Il ressort des attestations du WiCell Research Institute et de la Wisconsin Alumni Research Foundation (WARF), annexées à la demande d'autorisation d'importation, que le consentement au don à des fins de recherche a été recueilli auprès des deux donneurs de gamètes et que ceux-ci n'ont reçu aucune incitation financière. Ces informations ont été vérifiées par l'Agence de la biomédecine à l'occasion des deux rapports d'expertise scientifique établis par des experts indépendants les 19 et 30 novembre 2017 et des deux rapports d'instruction des 8 novembre et 3 décembre 2017 présentés au conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine, lequel a émis un avis favorable le 7 décembre 2017. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la lignée cellulaire WA01 (H1) a été enregistrée par le National Institutes of Health (NIH), agence gouvernementale américaine qui n'a procédé à son inscription qu'après vérification des principes éthiques figurant dans ses lignes directrices. Selon ces lignes directrices adoptées en 2009, pour les embryons donnés avant leur entrée en vigueur, un groupe de travail du NIH a examiné les documents présentés, notamment les formulaires de consentement, permettant de vérifier notamment que les embryons dont ont été dérivées les CSEh ont été créés par fécondation in vitro à des fins de reproduction et n'étaient plus nécessaires à cette fin, que les donneurs ont donné leur consentement écrit et volontaire quant à leur utilisation à des fins de recherche et que les donneurs ne se sont vu proposer aucune incitation pour le don d'embryon. La lignée H1 a également été enregistrée par le hPSCreg, registre européen des souches embryonnaires soutenu par la Commission européenne, qui vérifie la provenance éthique des lignées cellulaires pluripotentes. Il est ainsi établi que l'embryon dont sont issues les CSEh importées a été conçu dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et ne faisait plus l'objet d'un projet parental, qu'aucun paiement n'a été alloué au couple géniteur et que les donneurs ont consenti à ce don à des fins de recherche. Cette lignée de référence mondiale dans de nombreux protocoles de différenciation de CSEh en cellules pancréatiques a d'ailleurs été déjà distribuée à plus de 700 chercheurs de 375 institutions dans 43 pays. Dans ces conditions, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 18 de la convention d'Oviedo, des dispositions des articles L. 2151-6 et R. 2151-13 du code de la santé publique et des principes fondamentaux les principes de primauté et de dignité de la personne, d'inviolabilité du corps humain et de non-patrimonialité du corps humain énoncés par le code civil, doivent être écartés.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la fondation Jérôme Lejeune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Agence de la biomédecine la somme que la fondation Jérôme Lejeune demande au titre de ces dispositions. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la fondation Jérôme Lejeune une somme de 1 500 euros au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la fondation Jérôme Lejeune est rejetée.

Article 2 : La fondation Jérôme Lejeune versera la somme de 1 500 euros à l'Agence de la biomédecine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à fondation Jérôme Lejeune, à l'Agence de la biomédecine et à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Versol, présidente de chambre,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

Mme Troalen, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juillet 2024.

La rapporteure,

O. DORIONLa présidente,

F. VERSOLLa greffière,

A. GAUTHIER

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23VE02881


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23VE02881
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-05 Santé publique. - Bioéthique.


Composition du Tribunal
Président : Mme VERSOL
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. LEROOY
Avocat(s) : HOURDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;23ve02881 ?
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