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02/07/2024 | FRANCE | N°22VE01902

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 2ème chambre, 02 juillet 2024, 22VE01902


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Fontenay-sur-Eure a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté interministériel du 29 avril 2020 par lequel le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle consécutive selon elle à un phénomène de mouvements de terrain imputable à la sécheresse et à la réhydratation des sols, entre le 1er ja

nvier et le 1er octobre 2019, ainsi que la décision du ministre de l'intérieur du 14 septem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Fontenay-sur-Eure a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté interministériel du 29 avril 2020 par lequel le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle consécutive selon elle à un phénomène de mouvements de terrain imputable à la sécheresse et à la réhydratation des sols, entre le 1er janvier et le 1er octobre 2019, ainsi que la décision du ministre de l'intérieur du 14 septembre 2020 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2004139 du 30 mai 2022, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 juillet 2022, la commune de Fontenay-sur-Eure, représentée par Me Merlet-Bonnan, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté interministériel en ce qu'il a refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire, ainsi que cette décision de rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de prendre une décision de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire, pour la période du 1er janvier au 1er octobre 2019, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché de défaut de visa d'un mémoire et de réponse à plusieurs moyens ;

- il a été pris en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles était irrégulièrement composée, dès lors qu'elle comportait plusieurs membres de la caisse de réassurance ;

- la procédure de consultation de cette commission est entachée d'impartialité ;

- ni cette commission, ni les ministres n'ont examiné sa situation particulière, dès lors qu'il n'est pas établi que la préfète leur ait transmis un dossier complet et que la commission s'est sentie liée par le tableau établi par Météo-France ;

- les ministres se sont sentis liés par l'avis de la commission interministérielle ;

- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait dès lors que les données relatives à l'humidité des sols utilisées sont erronées ;

- il est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances, dès lors que les critères et le modèle utilisés pour caractériser l'intensité anormale d'un agent naturel ne sont ni fiables, ni pertinents ;

- il est entaché d'une erreur dans l'appréciation de l'anormalité de l'intensité de l'agent naturel dès lors que les dommages subis sur le territoire de la commune et les aléas météorologiques ayant eu lieu au cours de l'année 2019 permettent de regarder cette condition comme remplie ;

- il méconnaît le principe d'égalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, représenté par Me Fergon, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Fontenay-sur-Eure la somme de 3 000 euros à verser à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la commune de Fontenay-sur-Eure ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles ;

- la circulaire interministérielle du 19 mai 1998 relative à la constitution des dossiers concernant les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle ;

- la circulaire du ministre de l'intérieur du 10 mai 2019 relative à la procédure de l'état de catastrophe naturelle et à la révision des critères permettant de caractériser l'intensité des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols à l'origine de mouvements de terrain différentiels ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Even,

- et les conclusions de M. Frémont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Fontenay-sur-Eure, s'estimant en état de catastrophe naturelle, a présenté à la préfète d'Eure-et-Loir une demande de reconnaissance de cet état au titre d'un phénomène de mouvements différentiels de terrains, consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2019 et le 1er octobre 2019 sur le fondement de l'article L. 125-1 du code des assurances. Par l'arrêté interministériel du 29 avril 2020, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de l'action et des comptes publics ayant, à l'annexe 2 de cet arrêté, inscrit la commune de Fontenay-sur-Eure sur la liste de celles pour lesquelles l'état de catastrophe naturelle n'a pas été constaté au titre de cette période, ont ainsi refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire. Par une décision du 14 septembre 2020, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours gracieux formé par la commune de Fontenay-sur-Eure à l'encontre de cet arrêté. Elle fait appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté en tant qu'il a rejeté sa demande de reconnaissance de l'état catastrophe naturelle et cette décision de rejet de son recours gracieux.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte du jugement contesté que le tribunal administratif a omis de viser un mémoire produit par la commune de Fontenay-sur-Eure le 10 décembre 2021, communiqué le 29 décembre suivant, et de viser et de répondre au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité qu'il contient. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité, le jugement attaqué a été rendu dans des conditions irrégulières et doit donc être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la commune de Fontenay-sur-Eure devant le tribunal administratif d'Orléans tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 29 avril 2020 et de la décision du ministre de l'intérieur du 14 septembre 2020.

Sur la légalité de l'arrêté interministériel du 29 avril 2020 et de la décision du ministre de l'intérieur du 14 septembre 2020 :

4. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises. / L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. ".

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : (...) 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé et les chefs des services que le décret d'organisation du ministère rattache directement au ministre ou au secrétaire d'Etat ; 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs, les chefs des services à compétence nationale mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997 susvisé (...) ".

6. L'arrêté attaqué du 29 avril 2020 a été signé, au nom du ministre de l'intérieur, par M. A... D..., nommé par décret du 17 juillet 2019, publié au journal officiel de la République française (JORF) le 18 juillet 2019, à compter du 26 août 2019, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises au ministère de l'intérieur, au nom du ministre de l'économie et des finances, par M. F... E..., renouvelé par arrêté du 28 avril 2019, publié au JORF le 25 avril 2019, à compter du 22 mai 2019, à l'emploi de chef du service du financement de l'économie, et, au nom du ministre de l'action et des comptes publics, par M. C... B..., chargé par un arrêté du 26 février 2020, publié au JORF le 4 mars 2020, d'exercer par intérim les fonctions de sous-directeur, chargé de la cinquième sous-direction de la direction du budget. Il résulte, respectivement, de l'arrêté du 18 juin 2018 portant organisation et attributions de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, de l'arrêté du 13 février 2018 portant organisation de la direction générale du Trésor et de l'arrêté du 18 décembre 2019 portant organisation de la direction du budget, que la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle relève des affaires placées sous leur autorité. Dès lors, les signataires de l'arrêté attaqué bénéficiaient, en application des dispositions précitées du 1° de l'article premier du décret du 27 juillet 2005 en ce qui concerne MM. D... et E..., et du 2 de ce même décret en ce qui concerne M. B..., d'une délégation de signature émanant de chacun des ministres intéressés. Par suite, la commune de Fontenay-sur-Eure n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué du 29 avril 2020 serait entaché d'incompétence.

7. En deuxième lieu, si les dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances précitées exigent que la décision des ministres, assortie de sa motivation, soit, postérieurement à la publication de l'arrêté, notifiée par le représentant de l'Etat dans le département à chaque commune concernée, elles ne sauraient en revanche être interprétées comme imposant une motivation en la forme d'un arrêté de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qui serait une condition de légalité de ce dernier. Ainsi, la circonstance que la lettre de notification de la préfète d'Eure-et-Loir serait insuffisamment motivée est sans incidence sur la légalité de l'arrêté interministériel litigieux.

8. En troisième lieu, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

S'agissant de l'insuffisance du dossier de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle transmis par la préfète d'Eure-et-Loir au ministre de l'intérieur :

9. Le ministre de l'intérieur, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer et le secrétaire d'Etat au budget ont, par une circulaire du 19 mai 1998, posé les règles de constitution, de validation et de transmission des dossiers de demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Cette circulaire, qui a été rendue opposable par sa publication le 1er janvier 2019 dans les conditions prévues aux articles R. 312-10 et D. 312-11 du code des relations entre le public et l'administration, précise que dans le cas de dommages résultant de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, le préfet de département compétent doit joindre à la demande de reconnaissance de la ou des communes qu'il transmet aux services du ministère de l'intérieur : " - [son] rapport circonstancié sur la nature et l'intensité de l'évènement indiquant avec précision les dates et heures de début et de fin de l'évènement, le nombre de communes concernées et les mesures de prévention qui ont été prises, qui peuvent être prises, ou qui sont envisagées (...), - le rapport météorologique [et] géotechnique [en cas de première demande], (...) - la liste de communes atteintes, des cantons et des arrondissements concernés, classés par ordre alphabétique, - la liste de communes ayant déjà bénéficié d'un arrêté interministériel au titre de la sécheresse et des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols (...). ".

10. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée a été prise sur la base d'une analyse de données relatives à la commune de Fontenay-sur-Eure, géotechniques et météorologiques par le biais d'indicateurs d'humidité des sols superficiels, comparées à des seuils préalablement définis. Dans ces conditions, la circonstance, à la supposer établie, que le dossier transmis par la préfète d'Eure-et-Loir au ministre de l'intérieur n'aurait pas comporté tous les éléments prévus par la circulaire précitée n'a pas influencé le sens de la décision prise, et n'a pas privé la commune d'une garantie. Par suite, la commune de Fontenay-sur-Eure ne peut utilement se prévaloir de ce que la préfète ne lui aurait pas demandé de lui adresser des éléments sur l'épisode climatique considéré avant de transmettre son dossier, et le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de transmission du dossier de demande au ministre de l'intérieur doit donc être écarté.

S'agissant des moyens liés à l'avis de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles :

11. Les ministres à qui il incombe de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement des administrations placées sous leur autorité ont la faculté, même en l'absence de dispositions le prévoyant expressément, de s'entourer, avant de prendre les décisions relevant de leur compétence, des avis qu'ils estiment utiles de recueillir. Le ministre de l'intérieur et de la décentralisation, le ministre de l'économie, des finances et du budget et le secrétaire d'Etat chargé du budget ont par une circulaire du 27 mars 1984, institué une commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles, pour donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis.

12. En premier lieu, la circulaire interministérielle du 27 mars 1984 précitée précise, en son titre IV, que cette commission interministérielle " est composée : / - d'un représentant du ministère de l'intérieur et la décentralisation, appartenant à la direction de la sécurité civile ; / - d'un représentant du ministère de l'économie, des finances et du budget, appartenant à la direction des assurances ; / - d'un représentant du secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget, appartenant à la direction du budget " et que son secrétariat " est assuré par la caisse centrale de réassurance ".

13. Il ressort des pièces du dossier que lors de sa réunion du 21 avril 2020, la commission interministérielle était composée de deux représentants du ministère de l'intérieur, appartenant à la direction de la sécurité civile, d'un représentant du ministère de l'économie et des finances, appartenant à la direction générale du Trésor, laquelle comprend la sous-direction des assurances, deux représentants du ministre de l'action et des comptes publics, appartenant à la direction du budget, ainsi que de trois représentants du ministère de la transition écologique et solidaire et trois membres de la caisse centrale de réassurance. Ainsi, la commission était composée de plus de trois membres et de plus d'un secrétaire, contrairement aux prévisions de la circulaire du 27 mars 1984. Toutefois, en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que, par elle-même, cette composition aurait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise ou aurait privé la commune de Fontenay-sur-Eure d'une garantie. En particulier, si la commune soutient que les représentants de la direction du budget du ministre de l'action et des comptes publics et ceux de la caisse centrale de réassurance auraient intérêt à voir les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle refusées, elle n'apporte pas d'élément suffisant permettant de corroborer ces allégations, alors d'ailleurs que la représentation du ministre chargé du budget, qui au demeurant est prévue par la circulaire du 27 mars 1984, et les membres de la caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'Etat proposant, avec la garantie de ce dernier, la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, ne se sont pas trouvés, contrairement à ce qu'allègue la commune, en situation de supériorité numérique au sein de la commission interministérielle, laquelle est investie d'une mission purement technique et consultative. Par suite, l'arrêté du 29 avril 2020 n'est pas irrégulier du fait que des personnalités non prévues par la circulaire du 27 mars 1984 ont siégé au sein de la commission interministérielle.

14. En deuxième lieu, pour les motifs énoncés au point précédent du présent arrêt, le moyen tiré de ce que la procédure de consultation de la commission interministérielle aurait méconnu le principe d'impartialité doit être écarté.

15. En troisième lieu, si la commune de Fontenay-sur-Eure soutient que la commission, puis les ministres, n'auraient pas procédé à une étude particulière de son dossier, d'une part, ainsi qu'il a été dit au point 10 du présent arrêt, la circonstance, à la supposer établie, que le dossier transmis par la préfète d'Eure-et-Loir au ministre de l'intérieur n'aurait pas comporté tous les éléments prévus par la circulaire précitée n'a pas influencé le sens de la décision prise, et n'a pas privé la commune d'une garantie. D'autre part, si la commission interministérielle a rendu son avis sur la base d'un tableau établi par Météo-France indiquant les valeurs des indicateurs d'humidité des sols correspondant à chaque maille de rattachement de la commune pour chaque saison, la durée de retour correspondante et sa conclusion quant à la vérification ou non du critère météorologique, il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de la commission et les ministres se seraient bornés à entériner ce tableau sans procéder à la comparaison des données qu'il contenait aux critères d'appréciation de l'état de catastrophe naturelle. Enfin, la circonstance que la commission interministérielle ait étudié de nombreuses demandes au cours de la séance à l'issue de laquelle elle a rendu son avis concernant celle de la commune de Fontenay-sur-Eure n'est pas, au regard notamment des données utilisées et aux travaux préparatoires effectués pour ce faire, de nature à établir que cette commission puis les ministres n'auraient pas examiné la situation particulière de la requérante. Ce moyen doit donc être écarté.

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

16. Il résulte des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances précitées que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance sur leur territoire de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Pour ce faire, ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune.

17. Il ressort des pièces du dossier que la méthodologie et les critères mis en œuvre par les ministres pour prendre la décision contestée afin de caractériser l'intensité des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols à l'origine de mouvements de terrain différentiels sont ceux énoncés par une circulaire du 10 mai 2019. Il ressort des termes de cette circulaire que " deux critères sont pris en compte cumulativement : un critère géotechnique et un critère météorologique. ". Le critère géotechnique est relatif à la présence dans le sol de la commune d'argiles sensibles au phénomène de " retrait-gonflement " et le critère hydrométéorologique est relatif au niveau d'humidité des sols superficiels. L'analyse de ce dernier critère est effectuée sur la base de données recueillies par Météo-France, qui permettent d'établir un indicateur d'humidité des sols superficiels,G...s Index "), ainsi qu'une durée de retour de cet indicateur pour chacune des quatre saisons. Une intensité anormale, au sens des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances précitées, de l'agent naturel " sécheresse " est retenue lorsque cette durée de retour est supérieure ou égale à 25 ans. L'indice SWI, qui représente, sur une profondeur d'environ deux mètres, l'état de la réserve en eau du sol par rapport à la réserve utile, est établi de manière journalière, via le modèle météorologique développé par Météo-France sous la dénomination Safran/Isba/Modcou (SIM), pour chacune des 8981 mailles géographiques de 8 kilomètres de côté couvrant le territoire. Pour définir l'indicateur d'humidité des sols superficiels d'un mois donné, Météo-France s'appuie sur la moyenne des indices SWI journaliers traité par le modèle SIM au cours de ce mois et des deux précédents. Pour chacune des quatre saisons, trois indicateurs d'humidité des sols superficiels mensuels moyens sont donc définis. Si l'indice d'un seul mois présente une durée de retour supérieure ou égale à 25 ans, c'est toute la saison qui sera considérée comme subissant un épisode de sécheresse-réhydratation anormal. Enfin, si le critère d'une durée de retour d'au moins 25 années est établi pour une maille couvrant une partie du territoire communal, il est considéré comme rempli pour l'ensemble du territoire communal pour la période concernée.

18. En premier lieu, si la commune requérante soutient que les données SWI mensuelles retenues par les ministres pour conclure à l'absence d'état de catastrophe naturelle sur son territoire et produites en annexe de la lettre de notification de l'arrêté attaqué sont erronées, elle produit, pour étayer ces allégations, un rapport intitulé " Données mensuelles SIM2 ", obtenu via le site " Publithèque " de Météo-France, qui liste les indices mensuels SWI sur les deux mailles territoriales auxquelles est rattachée son territoire pour l'année 2019. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment de la note produite par le ministre de l'intérieur et des outre-mer en appel, émanant de Météo-France, datée de novembre 2019, que l'indice d'humidité des sols superficiels utilisé par les ministres est un indice SWI particulier, issu du modèle SIM configuré de façon à ce que les caractéristiques géologiques du sol et le couvert végétal soient uniformisés sur l'ensemble du territoire français, qui est utilisé exclusivement dans le cadre des procédures de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle du fait de phénomènes de sécheresse-réhydratation. Ces données dites " SWI uniformes ", utilisées par les ministres pour prendre l'arrêté attaqué, ne peuvent donc pas être comparées avec les indices SWI obtenus via la Publithèque de Météo-France produits par la commune requérante. Le moyen tiré de l'existence en la matière d'une erreur de fait dont serait entachée la décision contestée doit donc être écarté.

19. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 17 que la méthodologie mise en œuvre par les ministres, qui a été redéfinie en 2019 et qui prend désormais en compte, selon les termes de la circulaire ministérielle du 10 mai 2019 précitée, les " informations techniques les plus pertinentes scientifiquement en intégrant les progrès de la modélisation hydrométéorologique réalisés par Météo-France ", repose sur un critère météorologique qui, contrairement à ce que soutient la requérante, est rapporté à l'ensemble de la saison concernée ou à l'ensemble du territoire communal, lorsque l'indice d'un seul mois présente une durée de retour de 25 années au moins, ou lorsque le critère d'une durée de retour d'au moins 25 années est établi pour une seule des mailles géographiques auxquelles est rattachée la commune concernée. A cet égard, les circonstances que les mailles de rattachement de la commune de Fontenay-sur-Eure s'étalent sur une surface plus étendue que celle du territoire de la commune et qu'au surplus aucun des points correspondant à ces mailles ne se situe sur ce territoire sont sans incidence sur la pertinence de cet outil. En outre, il ressort des pièces du dossier que la prise en compte, pour déterminer l'indicateur d'humidité des sols superficiels d'un mois donné, de l'indice SWI mensuel de ce mois ainsi que de ceux des deux mois précédents, a pour objet de prendre en considération la cinétique lente qui caractérise le phénomène de retrait gonflement des sols argileux, à l'origine des mouvements de terrain différentiels. Par ailleurs, si ce critère météorologique est basé sur une représentation des sols uniformisée sur l'ensemble du territoire national, le critère géotechnique a quant à lui pour objet d'observer le pourcentage du sol de la commune demanderesse où la présence d'argiles sensibles au phénomène de retrait gonflement est avérée. Ainsi, les critères pris en compte par les ministres, et exposés au point 17 du présent arrêt, n'apparaissent dépourvus ni de fiabilité, ni de pertinence pour apprécier l'anormalité de l'intensité de l'agent naturel concerné, au sens des dispositions précitées de l'article L. 125-1 du code des assurances. Par suite, la commune de Fontenay-sur-Eure n'est pas fondée à soutenir que les ministres, en employant cette méthodologie et ses critères, auraient entaché leur décision d'une erreur de droit ou d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances.

20. En troisième lieu, en se bornant à soutenir que d'importantes fissures sont apparues sur les façades de plusieurs habitations ainsi que sur certaines routes sur son territoire, et à se prévaloir de bulletins mensuels émanant de Météo-France ainsi que des alertes canicule et des arrêtés limitant l'usage de l'eau qui ont été pris par la préfète d'Eure-et-Loir entre les mois de juin et de septembre 2019, la commune de Fontenay-sur-Eure ne conteste pas sérieusement les données météorologiques retenues par les ministres, qui concluent à la non-satisfaction du critère associé, alors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, ce critère n'est pas inapproprié pour apprécier le caractère ou non anormal de l'intensité de l'agent naturel " sécheresse ". Par suite, le moyen tiré de l'existence d'une erreur dans l'appréciation de l'anormalité de l'intensité de l'agent naturel sécheresse doit être écarté.

21. En dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité administrative règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, l'autorité administrative doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi par le législateur. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

22. D'une part, dès lors qu'il n'existe aucun droit acquis au maintien des critères d'appréciation de l'état de catastrophe naturelle, la commune de Fontenay-sur-Eure ne peut utilement soutenir que l'évolution, même récurrente, de ces critères créeraient une rupture d'égalité entre des sinistrés ayant subi des dommages identiques à des moments différents.

23. D'autre part, si le zonage du territoire en mailles de 8 kilomètres de côté a pour conséquence que le nombre de mailles de rattachement soit proportionnel à la superficie du territoire de la commune intéressée cette différence du nombre de mailles de rattachement, qui permet d'apprécier les critères météorologique et géotechnique exposés au point 17 du présent arrêt au regard des caractéristiques locales de chaque territoire, n'a pas pour effet d'instituer entre les communes plus ou moins étendues, qui au demeurant se trouvent donc dans des situations différentes, une différence de traitement qui porterait atteinte au principe d'égalité.

24. Enfin, il n'est pas établi que les critères utilisés par les ministres et exposés au point 17 du présent arrêt seraient discriminants, alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 19, ils ne sont dépourvus ni de pertinence, ni de fiabilité, notamment au regard de la prise en compte des caractéristiques des territoires et de la cinétique lente du phénomène de retrait gonflement des sols argileux. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit donc être écarté.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la commune de Fontenay-sur-Eure tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur, du ministre de l'économie et des finances et du ministre chargé de l'action et des comptes publics du 29 avril 2020 en tant qu'il a refusé de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur son territoire, et de la décision du ministre de l'intérieur du 14 septembre 2020 rejetant son recours gracieux ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Fontenay-sur-Eure demande à ce titre. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Fontenay-sur-Eure une somme de 1 500 euros à verser à l'Etat sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 30 mai 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la commune de Fontenay-sur-Eure devant le tribunal administratif d'Orléans et le surplus des conclusions de sa requête devant la Cour sont rejetés.

Article 3 : La commune de Fontenay-sur-Eure versera à l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Fontenay-sur-Eure, au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre délégué chargé des comptes publics.

Copie en sera adressée au préfet d'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le président-rapporteur,

B. EVEN

L'assesseure la plus ancienne,

B. AVENTINO

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre délégué chargé des comptes publics en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE01902


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE01902
Date de la décision : 02/07/2024

Analyses

12-03 Assurance et prévoyance. - Contentieux.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Bernard EVEN
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELAS ELIGE BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;22ve01902 ?
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