Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 29 décembre 2020 par laquelle le directeur du centre de détention de Châteaudun a refusé de procéder à la modification des tarifs du catalogue de cantine de cet établissement pénitentiaire en tant qu'il méconnait les tarifs fixés au niveau national par le ministre de la justice.
Par un jugement n° 2100925 du 23 février 2023, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision contestée du 29 décembre 2020 en tant qu'elle maintient des tarifs supérieurs à ceux des deux cent quatre-vingt-six produits dont les prix ont été harmonisés au sein des établissements en gestion directe et a enjoint au directeur du centre de détention de Châteaudun de modifier le catalogue de cantine de l'établissement en tant qu'il propose des prix supérieurs à ceux des deux cent quatre-vingt-six produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
I. Par un recours, enregistré le 24 avril 2023, sous le n° 23VE00849, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 23 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de M. B....
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur de fait en retenant à tort que le prix des produits du catalogue de cantine du centre de détention de Châteaudun, établissement en gestion déléguée, serait nettement supérieur au prix des mêmes produits dans le catalogue national ;
- l'acquisition de produits par le biais de la cantine ne constitue qu'une faculté pour les détenus, qui bénéficient de la distribution gratuite de trois repas par jour, et, pour les nouveaux arrivants et pour les détenus qui disposent de ressources insuffisantes, des produits d'hygiène indispensables ;
- c'est en raison d'une nécessité d'intérêt général qu'il existe une différenciation de tarification des cantines entre les établissements pénitentiaires ;
- il n'existe pas de rupture d'égalité quant aux tarifs du catalogue de cantine entre les détenus affectés dans un établissement en gestion publique et ceux affectés en établissement en gestion déléguée ;
- l'annulation de la décision contestée emportant des effets importants pour l'administration qui ne sauraient être absorbés dans un délai aussi restreint, le tribunal a commis une erreur d'appréciation, d'une part, en refusant de déroger à l'effet rétroactif de l'annulation qu'il a prononcée, d'autre part, en refusant de reporter dans le temps les effets de l'annulation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2024, M. B..., représenté Me Ciaudo, conclut au rejet du recours et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le tribunal n'a pas commis d'erreur de fait dès lors que la différence de prix sur les deux cent quatre-vingt-six produits fixés par l'accord-cadre est effectivement constatée entre les établissements en gestion déléguée et ceux en gestion directe ;
- le tribunal n'a pas commis d'erreur d'appréciation en ce qui concerne l'existence d'une rupture d'égalité, dès lors que la décision de déléguer le service des cantines ou de gérer ce service en régie ne modifie pas les conditions d'incarcération des détenus ou la nature même du service rendu, que le ministre ne peut se prévaloir d'un intérêt public lié à la nécessité de poursuivre les contrats de délégation de service public conclus avec des opérateurs privés, les détenus n'ont pas le choix quant aux lieux de leur affectation en établissement pénitentiaire ;
- le tribunal n'a pas commis d'erreur d'appréciation en ce qui concerne l'absence de report dans le temps des effets de l'annulation.
II. Par un recours enregistré le 24 avril 2023, sous le n° 23VE00850, le garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-17 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement n° 2100925 du tribunal administratif d'Orléans du 23 février 2023.
Il soutient que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public retenu par le tribunal ainsi que les autres moyens ne sont pas fondés et que l'exécution du jugement aurait des conséquences difficilement réparables.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 novembre 2023.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Versol,
- et les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., alors détenu au centre de détention de Châteaudun, établissement dont la gestion des fonctions non régaliennes a été déléguée à un prestataire privé, a vainement demandé au directeur de ce centre d'aligner les tarifs du catalogue de cantine de l'établissement sur les tarifs fixés au niveau national pour les établissements pénitentiaires en gestion publique. Par un jugement du 23 février 2023, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision contestée du 29 décembre 2020 en tant qu'elle maintient des tarifs supérieurs à ceux des deux cent quatre-vingt-six produits dont les prix ont été harmonisés au sein des établissements en gestion publique et a enjoint au directeur du centre de détention de Châteaudun de modifier le catalogue de cantine, en tant qu'il propose des prix supérieurs à ceux de deux cent quatre-vingt-six produits fixés au niveau national par le ministre de la justice pour les établissements placés en gestion publique, dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Par la requête, enregistrée le 24 avril 2023, sous le n° 23VE00849, le garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel de ce jugement et, par la requête n° 23VE00850, il demande qu'il soit sursis à son exécution. Ces requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu pour la cour de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête 23VE00849 :
2. Aux termes de l'article 3 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, modifiée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, alors en vigueur, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 111-3 du code pénitentiaire : " Les fonctions de direction, de surveillance et de greffe des établissements pénitentiaires sont assurées par l'administration pénitentiaire. Les autres fonctions peuvent être confiées à des personnes de droit public ou privé bénéficiant d'une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article 25 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale alors en vigueur, repris à l'article R. 332-33 du code pénitentiaire : " Les personnes détenues ont la possibilité d'acquérir par l'intermédiaire de la cantine divers objets, denrées ou prestations de service en supplément de ceux qui leur sont fournis gratuitement. Cette faculté s'exerce sous le contrôle du chef d'établissement (...) / Les prix pratiqués à la cantine sont portés à la connaissance des personnes détenues (...) ". Aux termes de l'article D. 344 du code de procédure pénale alors en vigueur, repris à l'article D. 332-34 du code pénitentiaire, applicable quel que soit le mode de gestion de la cantine : " Ces prix sont fixés périodiquement par le chef de l'établissement pénitentiaire. Sauf en ce qui concerne le tabac, ils doivent tenir compte des frais exposés par l'administration pour la manutention et la préparation ".
3. La fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure.
4. Il ressort des pièces du dossier que la gestion de la cantine du centre de détention de Châteaudun est assurée par un prestataire, titulaire du marché, qui assure l'intégralité des tâches opérationnelles, notamment d'achat, de stockage, de reconditionnement des produits, ainsi que de distribution des catalogues, de collecte des bons de commande et de livraison des produits en cellule. Les tarifs appliqués dans l'établissement intègrent les prix du prestataire, eux-mêmes soumis à un dispositif d'ajustement annuel appliqué en fonction du prix le plus bas constaté, sur chaque produit ou service, dans deux hypermarchés locaux de référence, le catalogue et les tarifs actualisés étant arrêtés par le directeur de l'établissement. Tous les détenus ayant accès au service de la cantine et les tarifs applicables dans un même établissement étant fixés en fonction de critères objectifs et rationnels, la circonstance que ces tarifs diffèrent de ceux d'autres établissements pénitentiaires, selon leur implantation géographique et leur mode de gestion, ne caractérise pas une rupture du principe d'égalité dès lors qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que cette différence de tarif est manifestement disproportionnée, ni qu'elle ferait obstacle à l'accès des détenus au service de la cantine, en dépit de ce que, pour les établissements dont la gestion n'a pas été déléguée, le catalogue des tarifs est déterminé par un accord-cadre national d'approvisionnement dont les prix sont globalement moins élevés pour des produits comparables. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision en litige au motif que le directeur du centre de détention de Châteaudun avait porté atteinte à ce principe.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif d'Orléans et devant la cour.
6. En premier lieu, si M. B... soutient que les tarifs appliqués au catalogue de la cantine du centre de détention de Châteaudun méconnaissent les prix fixés par l'accord-cadre national d'approvisionnement destiné à harmoniser les prix d'une liste de produits proposés à la cantine, il ne saurait cependant se prévaloir de cet accord-cadre dès lors que celui-ci n'est applicable qu'aux établissements pénitentiaires en gestion publique.
7. En second lieu, aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique (...) a droit au respect de ses biens (...) ".
8. Pour les motifs exposés au point 4, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le tarif en litige serait constitutif d'une différence de traitement injustifiée entre détenus selon le mode de gestion de leur établissement de détention ni, en tout état de cause, qu'il méconnaîtrait les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
9. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a annulé la décision du directeur du centre de détention de Châteaudun refusant de modifier les tarifs du catalogue de cantine en tant qu'il propose des prix supérieurs à ceux des deux cent quatre-vingt-six produits dont les prix ont été harmonisés dans les établissements en gestion directe et a enjoint au directeur du centre d'abaisser le prix de ces deux cent quatre-vingt-six produits du catalogue de l'établissement.
Sur la requête n° 23VE00850 :
10. Le présent arrêt statuant sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 2100925 du tribunal administratif d'Orléans du 23 février 2023, les conclusions du garde des sceaux, ministre de la justice, tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement se trouvent dépourvues d'objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée au profit du conseil de M. B....
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23VE00850.
Article 2 : Le jugement n° 2100925 du tribunal administratif d'Orléans du 23 février 2023 est annulé.
Article 3 : La demande de M. B... et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
M. Tar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.
L'assesseure la plus ancienne,
O. DORION La présidente rapporteure,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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Nos 23VE0849...