Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 23 avril 2021 par lequel la préfète du Loiret l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2101662 du 23 juin 2021, le président du tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Nantes du 17 mars 2022, la requête de Mme A... B... a été transmise à la cour administrative d'appel de Versailles.
Par une requête enregistrée au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes le 14 mars 2022, et deux mémoires, enregistrés les 12 février et 16 avril 2024, Mme A... B..., représentée par Me Duplantier, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Loiret de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Me Duplantier au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le premier juge a entaché son jugement d'une erreur de droit ainsi que d'erreurs d'appréciation ;
- l'arrêté contesté révèle un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- il méconnaît les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur de fait quant au caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité dont elle se prévaut ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2024, la préfète du Loiret, représentée par Me Tarmeau, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... B... ne sont pas fondés.
Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Even a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante ivoirienne née le 15 mai 1984 à Bouafle, qui a déclaré être entrée en France le 17 décembre 2017, a sollicité le 9 avril 2019 son admission au séjour au titre de l'asile. Sa demande a été rejetée le 24 septembre 2019 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Cette décision a été confirmée le 5 février 2021 par la Cour nationale du droit d'asile. Par un arrêté du 23 avril 2021, la préfète du Loiret l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... B... fait appel du jugement n° 2101662 du 23 juin 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : / 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; (...) ".
3. Si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec, même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ses compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers. Tel est le cas pour la mise en œuvre des dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application de ces principes. Par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français.
4. Il ressort des pièces du dossier que le 25 septembre 2018, Mme A... B... a donné naissance à un enfant, qui avait fait l'objet d'une reconnaissance anticipée de paternité, le 6 août 2018, par un ressortissant français. Pour établir que cette reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter la délivrance d'un titre de séjour à Mme A... B..., la préfète du Loiret relève, dans le mémoire en défense qu'elle a produit en première instance, que les déclarations des deux intéressés, recueillies lors d'entretiens menés en 2019, ne sont pas concordants quant à leur rencontre et à l'intensité de leur relation, qu'ils ne vivent pas dans le même département, qu'il n'est pas démontré que le père putatif de l'enfant entretiendrait avec lui des relations particulières et qu'il a reconnu cinq autres enfants de mères ayant pu bénéficier de titres de séjour en qualité de parents d'enfant français. Toutefois, ces éléments ne sont pas suffisants pour établir que ce ressortissant français ne serait pas le père de l'enfant, alors notamment qu'il ressort des pièces du dossier qu'il lui rend visite de manière régulière et qu'il participe, par des aides financières, au moins depuis le mois de mars 2019, à son entretien. Par ailleurs, si la préfète fait valoir que la procureure de la République près le tribunal judiciaire d'Orléans, suspectant une reconnaissance de paternité frauduleuse, a engagé une action en annulation de reconnaissance d'enfant, le 5 mai 2021, postérieurement à l'arrêté en litige, il ressort des pièces du dossier que cette procédure est toujours en instance.
5. Dans ces conditions, en l'absence d'éléments précis et concordants de nature à établir que ce ressortissant français ne serait pas le père biologique de l'enfant de Mme A... B..., la préfète du Loiret ne peut être regardée comme établissant que la reconnaissance de paternité de cet enfant a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention par l'intéressée d'un titre de séjour. L'arrêté contesté est donc entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait au regard des dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué ni d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. L'annulation prononcée par le présent arrêt, qui ne concerne pas un refus de titre de séjour mais une obligation de quitter le territoire français, n'implique pas qu'il soit enjoint à la préfète du Loiret de réexaminer la situation de Mme A... B....
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Mme A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Duplantier, avocate de Mme A... B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Duplantier de la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans n° 2101662 du 23 juin 2021 et l'arrêté de la préfète du Loiret du 23 avril 2021 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Loiret de réexaminer la situation de Mme A... B... et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à Me Duplantier, avocate de Mme A... B..., la somme de 1 500 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B..., à la préfète du Loiret, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Duplantier.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Aventino, première conseillère,
M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2024.
Le président-rapporteur,
B. EVEN
L'assesseure la plus ancienne,
B. AVENTINOLa greffière,
I. SZYMANSKI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE00592