La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2024 | FRANCE | N°21VE03302

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 5ème chambre, 02 mai 2024, 21VE03302


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL 2B a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le département des Yvelines à procéder au raccordement de la parcelle cadastrée AC 47 située à Aigremont aux réseaux d'eau potable, d'assainissement et d'électricité ou, à titre subsidiaire, au seul réseau d'assainissement, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'ordonner au Syndicat intercommunal d'assainissement de la

région de l'Hautil (SIARH) la communication de l'ensemble de ses archives relatives à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL 2B a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner le département des Yvelines à procéder au raccordement de la parcelle cadastrée AC 47 située à Aigremont aux réseaux d'eau potable, d'assainissement et d'électricité ou, à titre subsidiaire, au seul réseau d'assainissement, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, d'ordonner au Syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH) la communication de l'ensemble de ses archives relatives à la situation de la parcelle AC 47 s'agissant de l'assainissement y compris l'identification du réseau privé qui relierait la parcelle à la rue de la Rangée, et de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1906026 du 8 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a admis l'intervention volontaire de la SCI Al Madone, rejeté la demande de la SARL 2B et rejeté les conclusions présentées par les autres parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 9 décembre 2021, le 6 juillet 2022, le 29 juillet 2022, le 26 octobre 2022, le 2 décembre 2022, le 23 décembre 2022, le 13 février 2023, le 22 mars 2023 et le 4 avril 2023, la SARL 2 B et la SCI Al Madone, représentées par Me Huglo, avocat, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le département des Yvelines à procéder au raccordement de la parcelle AC 47 située à Aigremont au réseau public d'assainissement ;

3°) de condamner le département des Yvelines à procéder au raccordement de cette parcelle au réseau d'alimentation en eau potable au droit de la RD 113 ;

4°) de condamner le département des Yvelines à procéder à l'inspection et au remplacement si nécessaire du réseau privatif d'assainissement ou de lui verser la somme de 141 606 euros HT en réparation du préjudice subi ;

5°) d'enjoindre au département des Yvelines de procéder à l'ensemble de ces travaux dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

6°) d'ordonner au Syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH) la communication intégrale des pièces 5 et 6 produites en première instance par cette partie, y compris la page de garde et les légendes, la communication de tous documents et archives relatifs à son réseau et aux branchements situés sur le territoire de la commune d'Aigremont ainsi que tout document ou archive relatif à la situation des parcelles cadastrées AC 47 et AC 25 situées sur le territoire de cette commune en matière d'assainissement ainsi que la communication du CCTP des travaux de dévoiement de son réseau unitaire ;

7°) à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert aux fins de vérification d'écritures, sur le fondement de l'article R. 624-1 du code de justice administrative ;

8°) de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 10 000 euros à verser à chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la SCI Al Madone justifie d'un intérêt à faire appel en sa qualité de co-propriétaire du réseau privatif d'assainissement dont le branchement public a été amputé à la suite des travaux de transformation de la RD 113 ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé dès lors que le tribunal administratif n'a pas suffisamment répondu au moyen tiré de la responsabilité du département des Yvelines à raison du manquement à ses engagements pris à l'égard de la SARL 2B au titre de l'acte de cession du 1er février 2008 ;

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que le tribunal administratif a considéré que la SARL 2B ne démontrait pas l'existence d'un lien de causalité, tout en reconnaissant que les faits dommageables étaient imputables au département des Yvelines ; cette motivation est, à tout le moins, insuffisante ;

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que le tribunal administratif, ayant estimé qu'il y avait un partage de responsabilité, aurait dû conclure à la responsabilité du département des Yvelines ; à titre subsidiaire, cette motivation, qui est insuffisante, traduit une omission à répondre au moyen soulevé ;

- les premiers juges ont méconnu la charge de la preuve en retenant l'absence d'information sur l'état du réseau d'assainissement, seul le SIARH étant en mesure de produire ces éléments ; le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des faits sur ce point ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une dénaturation des faits en ce qu'il rejette la responsabilité du département des Yvelines pour dommages de travaux publics ; il est établi que le réseau privatif d'assainissement des parcelles appartenant aux exposantes a été interrompu ; le SIARH, dont les travaux de dévoiement étaient limités à la commune de Poissy, n'est pas intervenu au droit des parcelles en cause, toutes situées sur la commune d'Aigremont ; seuls les travaux réalisés par le département des Yvelines ont conduit à l'interruption du raccordement de ces parcelles au réseau public d'assainissement ; le lien de causalité entre cette interruption et les travaux réalisés par le département des Yvelines est établi ; le département des Yvelines reconnaît que ces parcelles étaient raccordées au réseau public d'assainissement avant la réalisation des travaux ;

- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation des pièces du dossier en ce que les juges de première instance ont relevé que la responsabilité du département des Yvelines ne pouvait être engagée s'agissant de l'interruption du raccordement au réseau d'eau potable ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et d'une dénaturation des pièces du dossier en ce que le tribunal administratif a jugé que la responsabilité du département des Yvelines ne pouvait être engagée en raison de la méconnaissance de ses obligations contractuelles ; seule la responsabilité extracontractuelle était recherchée ; elles sont fondées, à titre subsidiaire, à rechercher la responsabilité du département des Yvelines à raison de l'illégalité fautive commise par ce dernier en refusant le raccordement ; le refus du département de procéder au raccordement de la parcelle cadastrée AC 47 est contraire aux engagements souscrits dans l'acte de vente du 1er février 2008 ; le refus de raccordement en méconnaissance des engagements contractuels souscrits relève de la compétence du juge administratif ;

- le refus du département des Yvelines de procéder au raccordement est fondé sur une méconnaissance de la règlementation applicable en matière d'assainissement au titre de l'article L. 1331-1 du code de la santé publique et traduit donc l'existence d'un acte détachable relevant du juge administratif ;

- en présentant comme étant un " plan de réseau d'assainissement de la RD 113 en 1990 " émanant de ses propres services, un plan émanant en réalité de la commune de Poissy, le SIARH a entendu manipuler les pièces du dossier et tromper le tribunal administratif ; le SIARH devra donc produire l'intégralité des pièces 5 et 6 versées en première instance avec légendes et page de garde ; à titre subsidiaire, la cour devra ordonner une vérification d'écritures sur le fondement de l'article R. 624-1 du code de justice administrative ;

- le SIARH ne peut être représenté par M. A... B... dès lors que ce dernier n'est plus président du SIARH depuis le 19 juillet 2022, date de l'élection de M. C... D....

Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 juillet 2022, le 26 octobre 2022, le 12 janvier 2023, le 28 février 2023 et le 31 mars 2023, le département des Yvelines, représenté par Me de Bailliencourt, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge des sociétés 2B et Al Madone la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le Syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH) et le Syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable de la région de Feucherolles (SIAEP) à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge respective du SIARH et du SIAEP la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- à supposer que la SARL 2B ait entendu se prévaloir de sa responsabilité extra-contractuelle, il s'agit d'un fondement de responsabilité nouveau, soulevé après cristallisation du débat contentieux, dont elle ne pouvait plus se prévaloir ;

- les conclusions indemnitaires fondées sur ce que le refus de raccordement serait un acte détachable du contrat, dès lors qu'il révèle la situation réglementaire dans laquelle la SARL 2B serait placée au regard de l'article L. 1331-1 du code de la santé publique, sont irrecevables dès lors qu'elles n'ont été formées qu'après expiration du délai de recours contentieux ;

- à titre subsidiaire, les travaux de dévoiement du réseau public d'assainissement situé sous la RD 113 ayant été exécutés sous la maîtrise d'ouvrage du SIARH, ce dernier devra être condamné à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

- il n'a jamais assuré l'assistance à maîtrise d'ouvrage des travaux de dévoiement réalisés par le SIARH ; il était uniquement présent au titre de sa mission de coordination des travaux affectant le sol et le sous-sol de la route départementale conformément à l'article L. 131-7 du code de la voirie routière ;

- le SIAEP étant compétent en matière de distribution d'eau potable sur le territoire de la commune d'Aigremont, il devra être condamné à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 juin 2022 et le 23 septembre 2022, le syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable de la région de Feucherolles (SIAEP), représenté par Me Jorion, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie formée par le département des Yvelines à son encontre ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Suez à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge respective de la SARL 2B, de la SCI Al Madone et du département des Yvelines la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- aucun préjudice lié à l'absence de raccordement au réseau public d'eau potable n'est démontré dès lors que le réseau d'eau potable est raccordé par l'allée des Vergers au réseau public de distribution ;

- le lien de causalité entre les travaux réalisés sur la RD 113 et la prétendue interruption de raccordement aux réseaux publics n'est pas démontré ;

- à titre subsidiaire, l'appel en garantie du département des Yvelines devra être rejeté dès lors que ce sont les travaux réalisés sous la maîtrise d'ouvrage du département des Yvelines qui sont à l'origine des possibles dommages ;

- à titre subsidiaire, si le SIAEP détient la compétence en matière de distribution d'eau potable, l'exploitation du service a été déléguée à la société Lyonnaise des Eaux de France, désormais Suez ; seule cette dernière est responsable du bon fonctionnement du service auprès des usagers ainsi que des dommages causés aux ouvrages ; par suite, il serait fondé à appeler la société Suez à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 juillet 2022, le 12 octobre 2022, le 5 décembre 2022 et le 20 janvier 2023, le syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH), aux droits desquels est venue la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine, représenté par Me Vital-Durand et Me Bruscq, avocats, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la SARL 2B et de la SCI Al Madone la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de vérification d'écritures formées par les requérantes ;

- il doit être mis hors de cause dès lors qu'il n'est pas compétent pour intervenir sur un réseau privé, conformément aux articles L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales et L. 1331-2 du code de la santé publique ; il n'exerce que les compétences de transport et de traitement des eaux usées ;

- seuls les travaux réalisés sous maîtrise d'ouvrage du département des Yvelines sont à l'origine des dommages éventuels causés aux appelantes ;

- la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine est venue aux droits du SIARH à compter du 1er janvier 2023, les compétences de ce dernier ayant été transférées à la première s'agissant des communes d'Aigremont et de Chambourchy par arrêté des préfets du Val-d'Oise et des Yvelines du 22 décembre 2022 ;

- la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine est représentée par son président en exercice, dûment habilité à cet effet, par délibération du 29 septembre 2022.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 juillet 2022 et le 26 octobre 2022, la société ENEDIS, représentée par Me Trecourt, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter l'appel en garantie formé par le département des Yvelines à son encontre ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la SARL 2B, de la SCI Al Madone et du département des Yvelines la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, l'appel en garantie du département des Yvelines doit être rejeté dès lors que les sociétés 2B et Al Madone ne forment aucune demande de raccordement au réseau public de distribution.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Houllier,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Mes Christian Huglo et Benjamin Huglo pour les requérantes, de Me Bruscq pour la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine venue aux droits du syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil, de Me de Bailliencourt pour le département des Yvelines et de Me Mouquinho, substituant Me Jorion, pour le syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable de la région de Feucherolles.

Une note en délibéré, enregistrée le 5 avril 2024, a été présentée pour la SARL 2B et la SCI Al Madone.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL 2B et la SCI Al Madone font appel du jugement du 8 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la SARL 2B tendant à la condamnation du département des Yvelines à procéder au raccordement de la parcelle AC 47 située à Aigremont aux réseaux publics d'assainissement, d'eau potable et d'électricité ou, à titre subsidiaire, au seul réseau d'assainissement et à ce qu'il soit enjoint au syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH) de communiquer l'ensemble de ses archives relatives à la situation de la parcelle AC47 au regard de l'assainissement, y compris l'identification du réseau privé qui relierait la parcelle à la rue de la Rangée.

Sur la recevabilité des mémoires en défense du SIARH :

2. Il résulte de l'instruction que M. D..., élu président du SIARH le 19 juillet 2022, a été autorisé par délibération du comité syndical du même jour à représenter le syndicat en justice, puis que M. Fond, président en exercice de la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine venue aux droits du SIARH, a été habilité à représenter la communauté par délibération du 29 septembre 2022. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'absence de qualité pour représenter le SIARH doit être rejetée. Dès lors, il n'y a pas lieu d'écarter des débats les mémoires produits par le SIARH et la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En premier lieu, l'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés ". Le juge doit ainsi se prononcer, par une motivation suffisante au regard de la teneur de l'argumentation qui lui est soumise, sur tous les moyens expressément soulevés par les parties, à l'exception de ceux qui, quel que soit leur bien-fondé, seraient insusceptibles de conduire à l'adoption d'une solution différente de celle qu'il retient.

4. Les requérantes soutiennent que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce que les juges de première instance n'ont pas, aux points 11 et 12 dudit jugement, suffisamment justifié l'incompétence de la juridiction administrative notamment au regard de la théorie des actes détachables et de la suppression d'une servitude sur le domaine public routier et alors que le moyen était soulevé sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. Toutefois, il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments des parties, a jugé, après avoir rappelé la teneur du moyen soulevé, consistant en un manquement du département des Yvelines à ses obligations contractuelles, que le contrat de cession du terrain conclu entre cette collectivité et la SARL 2B était, compte tenu de ses caractéristiques et de sa nature, un contrat de droit privé échappant à la compétence du juge administratif. Par suite, il a suffisamment motivé sa réponse et le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué de ce chef doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il résulte, d'une part, des écritures de la SARL 2B que celle-ci a soutenu, en première instance, que : " suite au refus du Département des Yvelines, en premier lieu, de respecter ses obligations découlant de l'acte de vente du 1er février 2008, (...) cette situation provoque aujourd'hui un dommage permanent causant un préjudice certain tant à l'égard de la SARL 2B qu'à celui de son locataire ". Si les requérantes soutiennent que, ce faisant, la SARL 2B entendait se fonder sur la responsabilité extra-contractuelle pour faute du département des Yvelines, il ressort tant de cette rédaction que de sa demande préalable indemnitaire qui faisait expressément référence aux " clauses " de l'acte de cession du 1er février 2008, qu'en se référant à ce contrat, la SARL 2B a entendu engager la responsabilité contractuelle du département des Yvelines.

6. D'autre part, le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si ce contrat a pour objet l'exécution d'un service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. En l'espèce, le contrat de cession de la parcelle cadastrée AC 46 au département des Yvelines conclu le 1er février 2008 a été conclu à l'amiable et à titre onéreux et ne comporte aucune clause ou prérogatives reconnues à la personne publique qui impliqueraient, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs. Par suite, le juge administratif n'est pas compétent pour connaître des conclusions tendant à la condamnation du département des Yvelines pour non-respect de ses obligations résultant de ce contrat et c'est sans entacher son jugement d'irrégularité que le tribunal administratif a, pour ce motif, rejeté cette demande.

7. En troisième lieu, si les requérantes soutiennent que le jugement attaqué est entaché de plusieurs contradictions dans ses motifs, de tels moyens relèvent du bien-fondé de ce jugement. En outre, il ne résulte pas du point 7 du jugement attaqué que le tribunal administratif ait entendu reconnaître la responsabilité partagée du département des Yvelines et du SIARH de sorte qu'il n'avait pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, à procéder à un partage de responsabilité entre ces deux autorités. Enfin, il a suffisamment indiqué les raisons pour lesquelles il a estimé que la SARL 2B n'établissait pas l'existence d'un lien de causalité certain entre les dommages affectant le réseau d'assainissement de sa parcelle et la réalisation des travaux de la RD 113. Par suite, les moyens tirés d'une omission de réponse à moyen et d'une insuffisance de motivation doivent être écartés.

8. En quatrième lieu, les requérantes soutiennent que le tribunal administratif a méconnu son office et inversé la charge de la preuve en refusant de demander au SIARH la production de pièces qui auraient permis d'avoir des informations sur l'état du réseau d'assainissement de sa parcelle, cadastrée AC 47, au moment des travaux de la RD 113. Toutefois, d'une part, il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a estimé que la SARL 2B n'apportait pas la preuve, qui lui incombe, que le réseau privé d'assainissement de la parcelle AC 47, qui n'avait pas été répertorié, avait été régulièrement autorisé par le SIARH et il résulte, d'autre part, de l'instruction que les archives du SIARH ont été détruites de sorte que ce dernier était dans l'incapacité de fournir plus d'éléments à ce sujet. Par suite, le moyen tiré de ce que les juges de première instance auraient méconnu leur office et, en tout état de cause, le moyen tiré de ce qu'ils auraient inversé la charge de la preuve doivent être écartés.

9. En dernier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Les requérantes ne peuvent donc utilement se prévaloir des erreurs de droit et des dénaturations qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Au fond :

En ce qui concerne la responsabilité du département des Yvelines du fait de dommages de travaux publics :

10. Même en l'absence de faute, le maître de l'ouvrage et, le cas échéant, l'entrepreneur chargé des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient toutefois aux tiers, victimes de ces dommages, d'apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre les travaux publics réalisés et ces préjudices.

11. En l'espèce, la SARL 2B soutient que les travaux d'aménagement de la route départementale 113 (RD 113) ont causé l'interruption du raccordement de la parcelle cadastrée AC 47 située à Aigremont aux réseaux publics d'assainissement, d'eau potable et d'électricité.

12. En premier lieu, s'agissant du réseau d'assainissement, il résulte de l'instruction que la parcelle cadastrée AC 47 a fait l'objet, par arrêté du 13 avril 1973, d'un permis de construire aux termes duquel les évacuations d'eaux usées et d'eau pluviale devaient être raccordées à l'égout situé sous la RD 113. Il ressort, en outre, des constats effectués tant par des huissiers que par l'expert désigné par le tribunal administratif en 2022, qu'il existe, sur cette parcelle, un réseau d'évacuation des eaux pluviales et usées partant du sud de la parcelle en direction de la RD 113 située au nord et que ce réseau est interrompu à proximité de la jonction avec la RD 113. Ainsi, il est établi que la parcelle cadastrée AC 47 a été raccordée au réseau public d'assainissement situé sous la RD 113 et que le raccordement à ce réseau public est désormais interrompu. En revanche, si les requérantes soutiennent que cette interruption résulte des travaux d'aménagement de la RD 113 réalisés en 2009 et 2010, qui auraient conduit au dévoiement de plusieurs réseaux, il ne résulte pas de l'instruction que le raccordement du réseau privé au réseau public d'assainissement était encore effectif à la date de ces travaux. En effet, parallèlement aux travaux d'aménagement de la RD 113, le SIARH a réalisé, sous sa propre maîtrise d'ouvrage, des travaux de dévoiement de son réseau et de mise en séparatif du réseau unitaire situé le long de la RD 113, dans lequel aboutissait, selon la SARL 2B, le réseau privé de la parcelle AC 47. En outre, il ressort d'un permis de construire sur cette parcelle sollicité en 2009 et accordé en 2017 que " l'arrivée de l'eau se fait par la rue au sud du terrain " et que l'évacuation des eaux pluviales et des eaux usées se fera " vers le réseau existant dans la rue ", sans qu'il soit fait état du réseau situé sous la RD 113, ces mentions n'étant pas contredites par la pièce produite par les requérantes qui mentionne l'absence de tout réseau privatif dans l'allée des Vergers dès lors que cette pièce, ni datée, ni signée, n'est pas suffisamment probante. Enfin, la circonstance que l'acte de vente de la parcelle cadastrée AC 46 consenti le 1er février 2008 au profit du département des Yvelines crée une servitude de canalisation au profit de la parcelle cadastrée AC 47 et indique " en tant que de besoin, il est convenu entre les parties que les raccordements existants pour l'eau pluviale eau usée demeurant sur la parcelle cadastrée section AC numéro 47 seront maintenus à l'avenir. / Les frais de (re)branchement des raccordements en eau pluviale eau usée resteront à la charge du Département ", ne permet pas d'établir, eu égard à la rédaction de cette clause, la réalité et l'emplacement des raccordements au réseau public d'assainissement. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le réseau privé de la parcelle cadastrée AC 47 était encore raccordé au réseau public d'assainissement situé sous la RD 113 à la date des travaux d'aménagement de cette voie. Ainsi, le lien de causalité entre le préjudice allégué et la responsabilité du département des Yvelines au titre des travaux d'aménagement de la RD 113 n'est pas suffisamment certain.

13. En deuxième lieu, s'agissant du raccordement au réseau public d'eau potable, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'intervention établi par la société Suez le 20 avril 2021, que la parcelle cadastrée AC 47 est raccordée au réseau d'eau potable à la fois par un branchement situé sous l'allée des Vergers et par un branchement situé sous la RD 113 et que ces deux branchements étaient fermés à la date de cette intervention. Toutefois, il est constant que le branchement situé allée des Vergers a depuis été rétabli. Dans ces conditions, si les requérantes, qui se bornaient à demander, en première instance, le rétablissement du raccordement au réseau public d'eau potable, soutiennent que le branchement sous l'allée des Vergers n'est que secondaire, elles n'établissent pas la réalité du préjudice qu'elles invoquent. Par suite, leurs conclusions relatives au raccordement au réseau public d'eau potable doivent être rejetées.

14. En dernier lieu, s'agissant du raccordement au réseau d'électricité haute tension, il résulte de l'instruction qu'il existe, sur la parcelle cadastrée AC 47, un transformateur haute tension désormais hors service. Toutefois, en se bornant à soutenir que " les seuls travaux d'ampleur ayant impliqué le déplacement de l'ensemble des réseaux concessionnaires sont les travaux de la RD 113 ", les requérantes n'apportent pas d'éléments probants de nature à établir le lien de causalité entre cette mise hors service et les travaux d'aménagement de la RD 113 alors qu'il résulte de l'instruction que la parcelle a été touchée par une tempête en 1996 et un incendie en 1998, ces deux événements pouvant tous deux, et à eux seuls, justifier cette interruption.

En ce qui concerne les autres fondements de responsabilité invoqués par les requérantes :

15. En premier lieu, si les requérantes soutiennent que le refus de raccordement est un acte détachable du contrat susceptible de recours devant le juge administratif dès lors qu'il révèle une situation réglementaire dans laquelle elles sont placées au regard des articles L. 1331-1 et suivants du code de la santé publique, aucune faute du département des Yvelines ne peut, en tout état de cause, être retenue à l'encontre de ce dernier dès lors qu'il n'est ni l'exploitant des réseaux d'assainissement d'eau potable et d'électricité, ni même la collectivité territoriale compétente au titre de ces dispositions.

16. En second lieu, si la SARL 2B soutient qu'elle est fondée à rechercher la responsabilité extra-contractuelle du département des Yvelines, il ressort des pièces du dossier de première instance que cette demande, formée dans son mémoire enregistré le 5 août 2021, a été présentée après l'expiration du délai de recours contentieux et repose sur une cause juridique distincte de celle invoquée dans ce délai. Elle doit, par conséquent et en tout état de cause, être rejetée comme irrecevable, ainsi que le soutient le département en appel.

Sur les conclusions aux fins de vérification d'écritures :

17. Aux termes de l'article R. 624-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut décider une vérification d'écritures par un ou plusieurs experts, en présence, le cas échéant, d'un de ses membres. (...) ".

18. Il ressort des pièces du dossier que la cour est en mesure d'apprécier elle-même l'authenticité, contestée par les requérantes, des pièces et des écritures produites devant le tribunal administratif par le SIARH. Les conclusions aux fins de vérification d'écritures doivent dès lors être rejetées.

19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête en tant qu'elle est présentée par la SCI Al Madone, que la SARL 2B et la SCI Al Madone ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande de la SARL 2B.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département des Yvelines, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SARL 2B et la SCI Al Madone demandent à ce titre. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les autres parties sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SARL 2B et de la SCI Al Madone est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL 2B, à la SCI Al Madone, au département des Yvelines, à la société ENEDIS, à la communauté d'agglomération Saint-Germain Boucles de Seine venue aux droits du syndicat intercommunal d'assainissement de la région de l'Hautil (SIARH) et au syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable de la région de Feucherolles (SIAEP).

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,

M. Camenen, président assesseur,

Mme Houllier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

La rapporteure,

S. HoullierLa présidente,

C. Signerin-IcreLa greffière,

C. Fourteau

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE03302


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE03302
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04-01 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics. - Travaux publics de voirie.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SAS HUGLO LEPAGE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;21ve03302 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award