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28/03/2024 | FRANCE | N°22VE02243

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 3ème chambre, 28 mars 2024, 22VE02243


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SA SAP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source, en droits, pénalités et intérêts, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.



Par un jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour avant cassation :



Par une requête, enregistrée le 3 janvier

2020 sous le n° 20VE00043, la SA SAP France, représentée par Me Recoules et Me Mercey, avocats, a demandé à la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA SAP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source, en droits, pénalités et intérêts, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.

Par un jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2020 sous le n° 20VE00043, la SA SAP France, représentée par Me Recoules et Me Mercey, avocats, a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des retenues à la source, en droits, pénalités et intérêts, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle soutenait que :

- le taux d'intérêt prévu par la convention de gestion centralisée de trésorerie qu'elle a conclue avec la société SAP SE ne présente pas de caractère anormal ; la gestion centralisée de trésorerie est autorisée par le 3° de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier afin de réduire les frais bancaires au sein du groupe ; elle peut être assimilée aux services que se rendent les établissements bancaires entre eux ; le taux de référence EONIA est un taux de marché de pleine concurrence préconisé par l'OCDE pour les transactions intragroupe, dont l'évolution est indépendante de la société, et qui a été plafonné à 0% alors que la stricte application de la méthode de calcul aurait conduit à un taux négatif ; le caractère anormal de la rémunération du prêteur doit être apprécié au regard du risque de défaut de l'emprunteur, or le placement de sa trésorerie auprès de la société SAP AG est particulièrement sécurisé ;

- la convention de gestion de trésorerie comporte une contrepartie dès lors qu'en échange de la mise à disposition de son excédent de trésorerie, elle bénéficie de la faculté de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale à un taux préférentiel basé sur l'indice EONIA ;

- le taux moyen appliqué aux dépôts à vue ne constitue pas un comparable pertinent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a conclu au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens soulevés n'étaient pas fondés.

Par un arrêt n° 20VE0043 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la SA SAP France contre ce jugement.

Par une décision n° 461642 du 20 septembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n°22VE02243.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2022, la SA SAP France, représentée par Me Corbin, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019 du tribunal administratif de Montreuil ;

2°) de prononcer la décharge des retenues à la source, en droits, pénalités et intérêts, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle soulève les mêmes moyens que sous le n° 20VE00043 et ajoute que :

- la trésorerie confiée à la société SAP SE n'a pas été consentie sans intérêts, l'absence d'intérêts résultant uniquement de la formule de calcul prévue dans la convention et de la chute des taux d'intérêts sur les marchés ; l'absence d'intérêts ne constitue pas un avantage par nature ; l'administration supporte donc la charge de la preuve de l'existence d'une libéralité ;

- la convention de gestion de trésorerie comporte une contrepartie dès lors qu'en échange de la mise à disposition de son excédent de trésorerie, elle bénéficie de la faculté de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale à un taux préférentiel basé sur l'indice EONIA ; la circonstance qu'elle n'ait pas effectivement utilisé cette faculté sur la période est sans incidence ;

- elle avait également intérêt à poursuivre sa participation dans la centrale de trésorerie, compte tenu de cette contrepartie, malgré l'absence d'intérêts ; les taux qu'elle aurait pu obtenir dans d'autres établissements ne justifiaient pas de perdre les avantages qu'elle tirait de la centrale de trésorerie de la société SAP SE ;

- le taux moyen appliqué aux dépôts à vue ne constitue pas un comparable pertinent dès lors que le taux moyen appliqué aux dépôts à vue concerne des placements où les fonds ne sont pas disponibles immédiatement ;

- en tout état de cause, le taux moyen retenu par le service doit être diminué de la marge de l'entité centralisatrice, à hauteur de 0,15 %, marge qui n'a jamais été remise en cause par le service.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Liogier,

- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) SAP France, filiale à 98 % de la SA SAP France Holding, elle-même détenue à 100 % par la société de droit allemand SAP AG, devenue SAP SE, exerce une activité de commercialisation de prologiciels développés par le groupe à destination des professionnels. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses résultats des exercices clos en 2012 et 2013, à l'issue de laquelle l'administration a notamment constaté qu'elle n'avait perçu, à compter d'août 2012, aucun intérêt pour la mise à disposition de sa trésorerie à la société SAP SE et a considéré que cette situation constituait un acte anormal de gestion. L'administration a, ainsi, réintégré, comme indûment transférée à la société SAP AG, la rémunération qu'elle aurait pu obtenir en plaçant cet argent auprès d'établissements financiers. Par un jugement du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge de ces retenues à la source. Par un arrêt n° 20VE00043 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société formé contre ce jugement. Par une décision du 20 septembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour.

2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du I de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Aux termes du 2° de l'article 119 bis du même code : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ". Il résulte de ces dispositions que dans le cas où l'existence d'un transfert de bénéfices est établie, le montant correspondant doit être considéré comme un revenu distribué, soumis à la retenue à la source dès lors que son bénéficiaire a son siège hors de France.

3. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée - ou ceux qui lui sont facturés par cette entreprise étrangère -, sont inférieurs - ou supérieurs - à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, le service n'est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transferts de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant - ou en les payant à un prix excessif -, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

4. Tout d'abord, il est constant que, d'une part, la SA SAP France est une filiale détenue à 98 % par la SA SAP France Holding, elle-même détenue à 100 % par la société de droit allemand SAP AG, devenue SAP SE, société auprès de laquelle la SA SAP France a placé ses excédents de trésorerie dont l'absence de rémunération est l'objet du présent litige. Il s'ensuit que la SA SAP France effectue des transactions avec une société qui lui est liée au sens des dispositions précitées de l'article 57.

5. Il résulte de l'instruction que la SA SAP France a mis ses excédents de trésorerie, pour des montants très importants oscillant entre 132 et 432 millions d'euros, à la disposition de la société allemande SAP SE, qui la détient indirectement ainsi qu'il vient d'être dit, en vertu d'une convention de gestion de trésorerie conclue le 17 décembre 2009. Il ressort des termes de cette convention que la mise à disposition de ces sommes était rémunérée sur la base d'un taux d'intérêt égal au taux de référence interbancaire Euro OverNight Index Average (EONIA) minoré de 0,15 points. L'administration ne conteste ni le caractère normal de la convention lors de sa conclusion en 2009, ni le taux qui a ainsi été défini entre les parties. Au cours des années 2012 et 2013, malgré l'application de cette formule aboutissant, du fait de l'évolution de l'EONIA, à une rémunération négative, les parties ont convenu de fixer ce taux à 0 %. Il en est résulté une absence totale de rémunération des sommes mises à la disposition de la centrale de trésorerie par la SA SAP France à compter du mois d'août 2012. L'administration a comparé cette absence de rémunération à celle dont la SA SAP France aurait pu bénéficier en plaçant son argent dans des établissements financiers, en se fondant sur le taux moyen de rémunération des dépôts à vue sur la période. Elle a alors considéré que la différence entre les deux sommes constituait un transfert de bénéfices au sens des dispositions précitées. Contrairement à ce que soutient la société, une telle absence de rémunération permet d'établir une présomption de transfert de bénéfices pour les transactions en cause.

6. La société fait valoir que le placement de ses fonds auprès de la société SAP SE est particulièrement sécurisé et qu'il lui permet de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale de trésorerie. Toutefois, elle ne conteste pas, ainsi que le relève l'administration, que son activité de commercialisation de logiciels génère structurellement des excédents de trésorerie et qu'elle n'a jamais eu recours à un financement de la centrale depuis le début de son existence. Elle ne fait pas non plus état d'une difficulté à placer les excédents de trésorerie dans des produits financiers sûrs. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la convention de trésorerie ne prévoit pas de terme défini et stipule, au paragraphe 2 de sa section IX, que, sous réserve du respect d'un délai d'un mois, les parties peuvent sortir de l'accord, sans condition ni pénalité. La même convention précise également, à la section XII, qu'elle demeure sans effet sur l'indépendance de chacun de ses cocontractants et sur leur autonomie de gestion et d'administration. La SA SAP France n'avait donc pas d'obligation contractuelle à rester dans la centrale de trésorerie au-delà d'un délai d'un mois. De surcroît, la société ne conteste pas que le taux de rémunération des avances, qui résulte des termes de la convention, n'est pas figé, quand bien même la convention de 2009 précitée ne contiendrait pas de clause de révision, et que les parties peuvent convenir d'un taux différent, ainsi qu'elles l'ont fait en 2012. En outre, en se bornant à soutenir que le comparable retenu par l'administration n'est pas pertinent, alors que les dépôts à vue, contrairement à ce qu'elle prétend, n'excluent pas tout retrait immédiat des fonds, la société, qui ne propose au demeurant aucun autre comparable, ne critique pas sérieusement les taux retenus par l'administration, entre 0,15 % et 0,18 % sur la période, qui correspondent à la rémunération que la SA SAP France aurait pu obtenir d'un établissement financier et qui ne sont pas, contrairement à ce qu'elle prétend, négligeables, eu égard aux montants des excédents de trésorerie mis à disposition. Enfin, si la société fait valoir que les taux retenus par l'administration ne pourraient, en tout état de cause, qu'être diminués de 0,15 %, qui correspond à la marge de la centrale de trésorerie qui était appliquée dans la convention de 2009, cette décote ne peut être retenue dès lors que les comparables retenus par l'administration retiennent, nécessairement, la marge des établissements financiers. La circonstance que ce taux n'ait jamais été remis en question par l'administration depuis la signature de la convention en 2009 est sans incidence sur la présente analyse qui a trait à des années en litige différentes. Dans ces conditions, et alors que la SA SAP France persistait à placer sa trésorerie, sans rémunération, auprès d'une société liée, elle n'établit pas que les avantages qu'elle a consentis au profit de la société allemande SAP SE auraient été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à son activité ou, à tout le moins, par des contreparties au moins équivalentes à la renonciation à recettes accordée. Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a réintégré dans les résultats de la SA SAP France l'avantage consenti à la société SAP SE établie hors de France, constitutif d'un transfert de bénéfice passible de la retenue à la source prévue par l'article 119 bis du code général des impôts.

7. Il résulte de ce qui précède que la SA SAP France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge, en droits et pénalités, des retenues à la source litigieuses. Par voie de conséquence, les conclusions présentées sur le fondement de l'article L.761- 1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. De même, en l'absence de dépens dans la présente instance, les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat aux entiers dépens doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA SAP FRANCE est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA SAP FRANCE et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Besson-Ledey, présidente,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Liogier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2024.

La rapporteure,

C. LiogierLa présidente,

L.Besson-Ledey

La greffière,

T.TollimLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N°22VE02243 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02243
Date de la décision : 28/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-02-06-01 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Règles générales. - Impôt sur le revenu. - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers. - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Claire LIOGIER
Rapporteur public ?: M. ILLOUZ
Avocat(s) : CABINET ARSENE TAXAND

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-28;22ve02243 ?
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