Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) SAP France a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source, en droits, pénalités et intérêts, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.
Par un jugement n° 1804946 du 7 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2020, la SA SAP France, représentée par Me Recoules et Me Mercey, avocats, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer la décharge demandée ;
3° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le taux d'intérêt prévu par la convention de gestion centralisée de trésorerie dite de " cash pooling " qu'elle a conclue avec la société SAP SE ne présente pas de caractère anormal ; la gestion centralisée de trésorerie est autorisée par le 3° de l'article L. 511-7 du code monétaire et financier afin de réduire les frais bancaires au sein du groupe ; elle peut être assimilée aux services que se rendent les établissements bancaires entre eux ; le taux de référence EONIA est un taux de marché de pleine concurrence préconisé par l'OCDE pour les transactions intragroupe, dont l'évolution est indépendante de la société, et qui a été plafonné à 0% alors que la stricte application de la méthode de calcul aurait conduit à un taux négatif ; le caractère anormal de la rémunération du prêteur doit être apprécié au regard du risque de défaut de l'emprunteur, or le placement de sa trésorerie auprès de la société SAP AG, devenue SAP SE, est particulièrement sécurisé ;
- la convention de gestion de trésorerie comporte une contrepartie dès lors qu'en échange de la mise à disposition de son excédent de trésorerie, elle bénéficie de la faculté de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale à un taux préférentiel basé sur l'indice EONIA ;
- le taux moyen appliqué aux dépôts à vue ne constitue pas un comparable pertinent.
Vu le jugement attaqué.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention fiscale entre la République française et la République fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproques en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières modifiée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion, présidente-assesseure,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- et les observations de Me Corbin, pour la SA SAP France.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme (SA) SAP France, filiale à 98 % de la SA SAP Holding France, elle-même détenue à 100 % par la société de droit allemand SAP AG, devenue SAP SE, exerce une activité de développement et de commercialisation de progiciels intégrés destinés aux professionnels. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses résultats des exercices clos au 31 décembre 2012 et 2013, à l'issue de laquelle elle a reçu deux propositions de rectification du 10 décembre 2015 et du 30 novembre 2016, portant notamment sur le taux d'intérêt de 0 % pratiqué sur la mise à disposition de sa trésorerie à la société SAP AG en vertu d'une convention de gestion de trésorerie conclue le 17 décembre 2009. Le service a réintégré dans ses résultats une rémunération calculée par référence au taux de rémunération des dépôts à vue. La SA SAP France relève appel du jugement du 7 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013, pour des montants de 37 500 euros et 105 784 euros de droits, pénalités et intérêts de retard.
2. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués: 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Aux termes du 2° de l'article 119 bis du même code " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ". Il résulte de ces dispositions que dans le cas où l'existence d'un transfert de bénéfices est établie, le montant correspondant doit être considéré comme un revenu distribué, soumis à la retenue à la source dès lors que son bénéficiaire a son siège hors de France.
3. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration fiscale établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans les prévisions de l'article 57 du code général des impôts, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. Le caractère normal ou anormal de la rémunération des avances de fonds consenties par une entreprise à une autre doit être apprécié, en ce qui concerne le prêteur, par rapport à la rémunération que le prêteur pourrait obtenir d'un établissement financier ou d'un organisme assimilé auprès duquel il placerait, dans des conditions analogues, des sommes d'un montant équivalent.
4. Pour regarder comme distribuée par la société SAP France à la société de droit allemand SAP AG, devenue SAP SE, les sommes correspondant aux intérêts qu'elle aurait dû percevoir sur les avances de trésorerie qu'elle a mises à la disposition de la société SAP AG, en vertu d'une convention de gestion de trésorerie conclue le 17 décembre 2009, le service a relevé que la société SAP AG, société de droit allemand, détenait à 100 % la SA SAP France Holding, société mère de la SA SAP France, et que le taux EONIA des relations interbancaires minoré de 0,15 % stipulé dans la convention avait conduit à une absence totale de rémunération des sommes mises à la disposition de la centrale de trésorerie par la SA SAP France à compter du mois d'août 2012, pour des montants très importants oscillant entre 132 et 432 millions d'euros. Dans ces conditions, l'administration établit l'existence d'un avantage consistant en l'octroi d'avances sans intérêts, consenti par la SA SAP France à la société SAP AG, située hors de France, qui la contrôle par l'intermédiaire de la société SAP France Holding. Si la SA SAP France fait valoir que le taux stipulé est un taux de marché dont l'évolution est indépendante de la volonté des parties, et qu'il a été plafonné à 0 % alors qu'une application stricte de la convention aurait conduit à un taux négatif, ces circonstances sont inopérantes, dès lors que ce taux est sans rapport avec la rémunération à laquelle la SA SAP France aurait pu prétendre si elle avait placé ses excédents de trésorerie auprès d'un établissement financier. Par ailleurs, en soutenant que le placement de ses fonds auprès de la société SAP AG est particulièrement sécurisé et qu'il lui permet de se financer immédiatement et sans condition auprès de la centrale de trésorerie, au taux EONIA + 30 %, la société requérante ne justifie pas d'un intérêt propre pouvant être regardé comme une contrepartie, dès lors qu'il est constant que sa situation vis-à-vis de la centrale de trésorerie était constamment créditrice pour des montants très importants dépassant largement ses besoins en fonds de roulement. Il suit de là que l'administration établit l'existence au cours des années 2012 et 2013 d'un transfert de bénéfice, au sens des dispositions de l'article 57 précité du code général des impôts, de la SA SAP France à la société SAP AG située hors de France, passible de la retenue à la source prévue par l'article 119 bis du même code.
5. Enfin, si la société requérante fait valoir que le taux d'intérêt mensuel appliqué par le service par référence au taux de rémunération des dépôts à vue n'est pas celui qu'elle aurait pu obtenir d'un établissement financier, elle ne se prévaut pas d'un autre comparable plus pertinent.
6. Il résulte de ce qui précède que la SA SAP France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Il s'ensuit que sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SA SAP France est rejetée.
N° 20VE00043 4