Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu et de la majoration auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, pour un montant de 109 700 euros, et le remboursement de la somme de 46 079 euros qu'ils ont acquittée au titre des contributions sociales de l'année 2010, assortie des intérêts moratoires.
Par un jugement n° 1708332 du 7 janvier 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 20VE00560 du 10 février 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par M. et Mme C... contre ce jugement.
Par un arrêt n° 462501 du 20 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sur le pourvoi formé par M. et Mme C..., a annulé l'arrêt du 10 février 2022 de la cour en tant qu'il se prononce sur le crédit d'impôt institué par la doctrine administrative, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 18 février 2020 et, après cassation, un mémoire enregistré le 9 octobre 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Rochmann, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) de prononcer la décharge de la somme de 109 700 euros au titre de l'impôt sur le revenu et la restitution de la somme 46 079 euros au titre des contributions sociales, mises à leur charge au titre de l'année 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme C... soutiennent que :
- leur requête est recevable en ce qui concerne les prélèvements sociaux, dès lors que le dégrèvement prononcé le 24 juin 2016 a modifié la base imposable de ces impositions ; ce dégrèvement constitue un évènement au sens du c de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ; selon la doctrine opposable, le dégrèvement accordé a eu pour effet de modifier l'assiette de l'imposition, ce qui constitue un événement interrompant le délai de réclamation ;
- ils sont fondés à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des modalités de calcul du crédit d'impôt figurant au n° 12 de la notice explicative auquel renvoie le formulaire déclaratif ;
- le bénéfice du crédit d'impôt n'est pas subordonné à la condition que les dividendes en cause aient fait l'objet d'une imposition effective au Togo.
Par des mémoires en défense enregistrés le 26 juin 2020 et, après cassation, le 12 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que :
- la demande de première instance et la demande en appel relatives aux prélèvements sociaux mis en recouvrement le 15 octobre 2011 ne sont pas recevables, dès lors que la réclamation du 7 avril 2017 était tardive ;
- la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu est fondée sur le motif, qu'il convient de substituer, tiré de ce que les dividendes versés par la société togolaise Wabco Cotia SA, installée dans la zone franche industrielle de Lomé, ont été exonérés d'impôt au Togo, de sorte que l'article 26 de la convention fiscale franco-togolaise ne trouve pas à s'appliquer.
Par une ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée, en application de l'article L. 613-1 du code de justice administrative, au 16 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention signée entre la France et le Togo le 24 novembre 1971 en matière d'impôt sur le revenu, de droits d'enregistrement et de timbre ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy, rapporteur public,
- et les observations de Me Rochmann pour M. et Mme C....
Une note en délibéré présentée par Me Rochmann a été enregistrée le13 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... ont perçu, au cours de l'année 2010, 1 442 934 euros de dividendes de la société togolaise Wabco Cotia SA. Se conformant à la notice à laquelle renvoyait l'imprimé déclaratif, ils ont mentionné un crédit d'impôt de 541 100 euros, calculé sur la base du taux de 37,5 %, compensant intégralement leur imposition sur le revenu. Par une proposition de rectification du 16 décembre 2013, l'administration fiscale a remis en cause le montant de ce crédit d'impôt au motif que le taux de 37,5 % n'était plus applicable aux dividendes de source togolaise depuis une modification de la doctrine administrative applicable à compter des revenus perçus en 1996 et a ramené le montant de ce crédit d'impôt à 360 733 euros sur la base du taux de 25 % prévu par l'article 26 de la convention fiscale franco-togolaise. M. et Mme C... ont en vain réclamé la décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu et de la pénalité qui en ont résulté, ainsi que l'imputation sur les cotisations sociales dont ils s'étaient acquittés d'un excédent de crédit d'impôt de 46 079 euros. Par un jugement du 7 janvier 2020 et un arrêt du 10 février 2022, le tribunal administratif et la cour administrative de Versailles ont rejeté leur demande de décharge et de restitution. Par un arrêt du 20 juin 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a sur le pourvoi formé par M. et Mme C..., annulé l'arrêt du 10 février 2022 de la cour en tant qu'il se prononce sur le crédit d'impôt institué par la doctrine administrative, et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour.
Sur la demande de restitution de prélèvements sociaux :
2. Aux termes de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / a) De la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; / (...) / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. (...) ". Aux termes de l'article R. 196-3 du même code : " Dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations. ".
3. M. et Mme C... ont demandé, dans leur réclamation du 7 avril 2017, que le reliquat disponible du crédit d'impôt de 541 100 euros, calculé au taux de 37,5 %, non imputé sur leur cotisation initiale d'impôt sur le revenu de 495 021 euros, soit un excédent de 46 079 euros, soit imputé sur la cotisation de prélèvements sociaux qu'ils ont spontanément acquittée au titre de l'année 2010. Cependant, la rectification proposée par le service n'a pas conduit à un rehaussement de cette imposition, mais à un dégrèvement d'office prononcé le 24 juin 2016, du fait de la réduction de la base imposable au montant des dividendes versés augmentés de 25 % au lieu de 37,5 %. Le dégrèvement prononcé d'office ne constitue pas une procédure de reprise ou de rectification au sens de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, ni une mise en recouvrement au sens du a de l'article R. 196-1 du même code. Alors même que le contrôle a conduit à une modification de la base d'imposition aux prélèvements sociaux, la rectification opérée par le service vérificateur ne constitue pas davantage l'évènement qui a motivé la réclamation présentée par les requérants, au sens du c du même article. Il s'ensuit que, l'imposition contestée ayant été mise en recouvrement le 15 octobre 2011, la réclamation présentée le 7 avril 2017 était tardive, et par suite irrecevable, en ce qui concerne la demande de restitution partielle des prélèvements sociaux acquittés par M. et Mme C... au titre de l'année 2010.
Sur la demande de décharge de la cotisation d'impôt sur le revenu :
En ce qui concerne l'application de la convention fiscale franco-togolaise :
4. Aux termes de l'article 13 de la convention fiscale signée le 24 novembre 1971 entre la France et le Togo en matière d'impôt sur le revenu, de droits d'enregistrement et de timbre : " (...) les revenus des valeurs mobilières et les revenus assimilés (produits d'actions, de parts de fondateur, de parts d'intérêts et de commandites, intérêts d'obligations ou de tous autres titres d'emprunts négociables) payés par des sociétés ou des collectivités publiques ou privées ayant leur domicile fiscal sur le territoire de l'un des Etats contractants sont imposables dans cet Etat. (...) ". Aux termes de l'article 26 de cette convention : " Il est entendu que la double imposition est évitée de la manière suivante : / (...) / 2. Les revenus visés aux articles 13, 15, 18 et 19 ayant leur source au Togo et perçus par des personnes domiciliées en France ne peuvent être imposés au Togo qu'à l'impôt sur le revenu des capitaux mobiliers. / (...) / 3. Les revenus de capitaux mobiliers et les intérêts de source togolaise visés aux articles 13, 15, 18 et 19 et perçus par des personnes physiques, sociétés ou autres collectivités domiciliées en France sont compris dans cet Etat dans les bases des impôts visés au paragraphe 3 de l'article 8 pour leur montant brut sous réserve des dispositions ci-après : / Les revenus mobiliers de source togolaise visés aux articles 13, 15, 18 et 19 et soumis à l'impôt sur le revenu des capitaux mobiliers par application desdits articles, ouvrent droit à une déduction applicable aux impôts exigibles en France sur les mêmes revenus. / Cette déduction est fixée à 25 p. cent en ce qui concerne les dividendes (...) ".
5. L'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier une imposition par un nouveau fondement juridique, à la condition qu'une telle substitution de base légale ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi.
6. L'administration fiscale demande que la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu soit maintenue, au motif substitué tiré de ce que les dividendes versés à M. C... par la société togolaise Wabco Cotia SA, agréée au statut de zone franche, n'ayant pas été soumis à l'impôt au Togo, l'article 26 de la convention franco-togolaise destiné à éviter les doubles impositions ne trouvait pas à s'appliquer. Il résulte toutefois des stipulations rappelées au point précédent que l'octroi du crédit d'impôt qu'elles prévoient n'est pas soumis à la condition que les revenus concernés aient été effectivement imposés au Togo. Par suite, les dividendes de source togolaise, soumis à l'impôt sur le revenu des capitaux mobiliers au Togo en application de l'article 13 de la convention franco-togolaise, ouvrent droit au crédit d'impôt imputable sur l'impôt dû en France en vertu de l'article 26 de cette convention, alors même les dividendes en cause ont été exonérés d'impôt sur le revenu des capitaux mobiliers au Togo, en application de la loi togolaise, pour cinq ans, du fait de l'agrément de la société distributrice au statut de la zone franche industrielle pour la région de Lomé.
En ce qui concerne le crédit d'impôt institué par la doctrine administrative :
7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".
8. Si, en principe, un formulaire de déclaration ou une notice explicative ne sont pas au nombre des instructions ou circulaires que publie l'administration fiscale pour faire connaître son interprétation des textes fiscaux, il en va différemment lorsque ces documents, mis à la disposition des contribuables sur son site internet ou sur demande, comportent une interprétation formelle de la loi fiscale, laquelle peut être invoquée sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
9. En l'espèce, ainsi que le relève la décision de cassation, tandis que la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d'impôt dit " décote africaine " institué par la doctrine administrative, mais se bornait à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés, le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu'à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur et se bornait à renvoyer, pour les dividendes de source togolaise, à la disposition n° 12, relative à la formule de calcul du taux, de sa notice explicative. En outre, cette notice, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l'administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait " toutes les explications nécessaires ". Dans ces circonstances, l'imprimé déclaratif et sa notice explicative doivent être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Il s'ensuit qu'en procédant à la rectification en litige, l'administration fiscale a méconnu sa propre doctrine.
10. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande de décharge.
Sur les frais de l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : M. et Mme C... sont déchargés, en droits, intérêts et majoration, de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2010.
Article 2 : Le jugement n° 1708332 du 7 janvier 2020 du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
Mme Troalen, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 mars 2024.
La rapporteure,
O. DORIONLa présidente,
F. VERSOLLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23VE01353