Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté en date du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il devait être renvoyé, et par ailleurs d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement à intervenir ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour.
Par un jugement n° 2109718 du 9 mai 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 août et le 6 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Reghioui, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 11 octobre 2021 par lequel le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il devait être renvoyé ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que le préfet n'a pas recueilli ses observations sur son insertion professionnelle ou sur l'existence de motifs exceptionnels et humanitaires préalablement à l'édiction de la décision attaquée ;
- il est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il remplit les conditions d'obtention d'une carte de séjour temporaire ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et professionnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2022, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Even a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... B..., ressortissant ivoirien, né le 26 février 1974 à Bouake (Côte-d'Ivoire), est entré sur le territoire français le 23 février 2015 sous couvert d'un visa court séjour. Il a sollicité son admission au séjour en invoquant le bénéfice des dispositions énoncées par l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 11 octobre 2021, le préfet de l'Essonne a rejeté sa demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il devait être renvoyé. M. B... fait appel du jugement du 9 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article L. 411-5 du même code : " Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1° Le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont prises en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. Les ressources doivent atteindre un montant au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel ; (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier, complétées en appel, que M. B... justifie d'une présence continue sur le territoire français depuis le début de l'année 2016. En outre, il établit avoir eu un enfant prénommé A... avec Mme C..., ressortissante ivoirienne, titulaire d'une carte de résident, né le 22 septembre 2013 à Adobo (Côte-d'Ivoire), puis s'être marié en France avec la mère de cet enfant le 16 novembre 2019. En outre, le certificat de scolarité pour l'année 2021-2022, ainsi que plusieurs factures de cantine, permettent d'établir que leur fils A... réside avec ses parents sur le territoire français depuis l'été 2021. Au surplus, l'intéressé a produit des éléments de nature à établir qu'au regard des ressources insuffisantes de leur ménage, qui se compose de cinq personnes en tenant compte des deux filles de Mme B..., il ne remplit pas les conditions réglementaires pour bénéficier de la procédure du regroupement familial, de sorte qu'il n'a pas cherché à détourner cette procédure. M. B... doit donc être regardé comme disposant, à la date de la décision attaquée du 11 octobre 2021, de relations suffisamment anciennes, intenses et stables en France et que le centre de ses intérêts personnels et familiaux ne se situait plus dans son pays d'origine. Dans ces conditions, en refusant de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en l'obligeant à quitter le territoire français, dans un délai de trente jours, en fixant le pays à destination, le préfet de l'Essonne a porté au droit à la vie privée et familiale de M. B... une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces mesures ont été prises.
4. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 11 octobre 2021.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". Aux termes de l'article L. 911-3 du même code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les circonstances de droit et de fait aient été modifiées depuis l'édiction de l'arrêté annulé. Par suite, eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de l'Essonne délivre un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à M. B.... Il y a lieu dès lors de lui enjoindre de procéder à cette délivrance, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. M. B... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Reghioui, avocate de M. B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à sa charge, pour le compte de Me Reghioui, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2109718 du 9 mai 2022 et l'arrêté du préfet de l'Essonne du 11 octobre 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne de délivrer à M. B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Reghioui, avocate de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 29 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Aventino, première conseillère,
M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
Le président-rapporteur,
M. EVEN
L'assesseure la plus ancienne,
B. AVENTINO
La greffière,
I. SZYMANSKI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre - mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 22VE02129