Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté 24 août 2022 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire et a fixé le pays à destination duquel il sera reconduit en cas d'exécution d'office.
Par un jugement n° 2206462 du 14 septembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par deux requêtes successives enregistrées le 1er octobre 2022, puis le 23 février 2023, M. A..., représenté par Me Bordessoule de Bellefeuille, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Essonne d'accorder à M. A... un titre de séjour, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à son conseil au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- le signataire de l'arrêté est incompétent ;
- cet arrêté est insuffisamment motivé ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les dispositions de l'article L. 732-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en ce qu'il n'a pas pu exprimer ses droits, notamment celui d'être entendu ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portant sur l'admission exceptionnelle au séjour ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
- la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire manque en fait et est entachée d'une erreur dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination méconnaît les stipulations de l'article 3 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des faits.
La requête a été communiquée le 23 mai 2023 au préfet de l'Essonne qui n'a pas produit de mémoire en défense ou d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Even a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant du Pakistan, né le 5 janvier 1991, est entré sur le territoire français en 2019 selon ses déclarations. Il a sollicité auprès de la préfecture des Yvelines son admission au séjour au titre de l'asile. Il a été l'objet d'un transfert en application de la " procédure Dublin " vers la Slovénie le 27 août 2019, qui a été exécuté le 10 mars 2020. Après être revenu en France, il a sollicité à nouveau auprès du préfet des Yvelines son admission au séjour au titre de l'asile et s'est vu notifier une nouvelle fois un arrêté de transfert daté du 28 mai 2021 vers la Slovénie, qu'il a contesté devant le tribunal administratif de Versailles. Le tribunal administratif de Versailles a, par un jugement n° 2105157 du 16 août 2021, rejeté sa demande. M. A... s'est toutefois maintenu irrégulièrement sur le territoire français, avant de se faire interpeller le 24 août 2022 et de se voir notifier, le même jour, un arrêté du préfet de l'Essonne portant obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et fixation du pays à destination duquel il pourra être reconduit.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " les jugements sont motivés ". Si les premiers juges doivent se prononcer de façon suffisamment précise et circonstanciée sur toutes les conclusions et sur tous les moyens opérants soulevés devant eux, ils ne sont pas tenus de répondre à tous les arguments avancés par les parties.
3. En l'espèce, le jugement attaqué répond de manière suffisamment précise et circonstanciée à tous les moyens développés par M. A.... La circonstance que les premiers juges n'auraient pas suffisamment répondu à ses arguments n'est pas de nature à entacher le jugement attaqué d'une insuffisance de motivation.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
4. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'autorité signataire de l'arrêté, déjà soulevé en première instance et à l'appui duquel M. A... ne présente en appel aucun élément nouveau, doit être écarté pour le même motif que celui retenu à bon droit par les premiers juges au point 2 du jugement attaqué.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation exigée (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". L'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que: " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour (...) ".
6. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté, déjà soulevé en premier instance et à l'appui duquel M. A... ne présente en appel aucun élément nouveau, doit être écarté pour le même motif que celui retenu à bon droit par les premiers juges, au point 3 du jugement attaqué.
7. Enfin, M. A... n'a pas sollicité une admission exceptionnelle au séjour. Par suite, il ne peut reprocher au préfet d'avoir méconnu l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portant sur le régime de l'admission au séjour répondant à des considérations humanitaires ou se justifiant au regard de motifs exceptionnels.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. En premier lieu, il ressort des stipulations du paragraphe 2). a) de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux, que toute personne a le droit : " (...) d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ".
9. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles le respect de ce droit est assuré. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.
10. M. A... invoque le droit d'être entendu sans justifier ne pas avoir été mis à même de présenter ses observations. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition de l'intéressé par les services de police sur sa situation administrative, que celui-ci a pu présenter les éléments relatifs à sa situation personnelle avant l'édiction de la décision d'éloignement attaquée. Dès lors, le moyen de tiré de la méconnaissance de son droit à être entendu doit être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 732-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Il est remis aux étrangers assignés à résidence en application de l'article L. 731-1 une information sur les modalités d'exercice de leurs droits, les obligations qui leur incombent et, le cas échéant, la possibilité de bénéficier d'une aide au retour ". Ces dispositions s'appliquent à l'égard d'un étranger assigné à résidence. Il ressort des termes de l'arrêté que M. A... n'a pas été l'objet d'une telle procédure. Par suite, il ne peut utilement soutenir que le préfet a méconnu ces dispositions.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié portant " Défense d'expulsion et de refoulement " : " 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
13. Si le requérant soutient qu'il ne peut faire l'objet d'une décision d'éloignement dès lors qu'il est exposé au Pakistan, son pays d'origine, à des risques de traitements inhumains et dégradants car il y est menacé de mort ou d'atteinte à sa liberté et qu'il a introduit pour cela une demande d'asile, et que ce risque n'a pas été examiné par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ni a fortiori par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), dans la mesure où il a été l'objet de deux arrêtés de transfert vers la Slovénie en application de la procédure Dublin, la fixation du pays de destination est distincte de l'obligation de quitter le territoire contestée. Le moyen tiré de l'existence d'un risque en cas de retour au Pakistan ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
14. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
15. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France en 2019, qu'il est célibataire, sans charge de famille et n'établit pas, ni même n'allègue, avoir d'autres attaches familiales en France, ni être dépourvu de telles attaches dans son pays d'origine, où résident notamment son père et son frère et où lui-même a vécu jusqu'à l'âge d'au moins vingt-huit ans. Par ailleurs, il ne justifie d'aucune activité professionnelle ou ressource assurant son insertion dans la société française. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire prise à son encontre n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de cette décision sur sa situation personnelle doit être écarté.
En ce qui concerne la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :
16. Le moyen tiré de ce que le refus d'accorder un délai de départ volontaire manque en fait, déjà soulevé en premier instance et à l'appui duquel M. A... ne présente en appel aucun élément nouveau, doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux retenus à bon droit par les premiers juges, exposés aux points 6 et 7 du jugement attaqué.
17. Par ailleurs, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que le préfet de l'Essonne aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision de refus d'accorder un délai de départ volontaire sur sa vie privée et familiale et sa sécurité.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
18. Aux termes de l'article L. 612-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français mentionne le pays, fixé en application de l'article L. 721-3, à destination duquel l'étranger est renvoyé en cas d'exécution d'office. ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : 1° Le pays dont l'étranger à la nationalité, sauf si (...) il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; ".
19. Si le requérant peut faire l'objet d'une décision d'éloignement du territoire français malgré sa demande d'asile qui n'a été enregistrée ni par l'OFPRA, ni par la CNDA, en raison de deux décisions successives de transfert vers la Slovénie prises en application de la procédure Dublin, il est en revanche impossible pour l'autorité administrative de fixer le Pakistan, pays d'origine du requérant, comme pays de destination, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités slovènes, qui ont accepté de prendre en charge sa demande d'asile, ont définitivement statué sur cette dernière en la rejetant. Par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance par la décision fixant le pays de renvoi des dispositions des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le requérant est fondé à soutenir que la décision fixant le Pakistan comme pays de destination doit être annulée.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays à destination duquel il sera reconduit.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
21. Aux termes des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ". Enfin, aux termes de son article L. 911-3 : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".
22. Eu égard aux motifs de la présente décision, les conclusions de M. A... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de l'Essonne de lui délivrer un titre de séjour ne peuvent qu'être rejetées. Il y a en revanche lieu d'ordonner au préfet de réexaminer sa situation.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles n° 2206462 du 14 septembre 2022 est annulé en tant qu'il rejette la demande d'annulation de la décision fixant le pays de destination.
Article 2 : La décision du préfet de l'Essonne du 24 août 2022 fixant le pays de destination de M. A... est annulée.
Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction de M. A... et celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.
Délibéré après l'audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :
M. Even, président de chambre,
Mme Aventino, première conseillère,
M. Cozic, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 février 2024.
Le président-rapporteur,
B. EVEN
L'assesseure la plus ancienne,
B. AVENTINO
La greffière,
C. RICHARD
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE02308 2