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30/01/2024 | FRANCE | N°21VE03143

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 30 janvier 2024, 21VE03143


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Nini a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite par laquelle la société Enedis a refusé de faire droit à sa demande du 24 septembre 2018 tendant au déplacement du transformateur électrique situé dans l'immeuble dont elle est propriétaire au 99 avenue Achille Peretti à Neuilly-sur-Seine, d'enjoindre à la société Enedis de retirer le transformateur électrique, dans un délai de trois mois à compter de la notification

du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à titre principal, pour le cas ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Nini a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite par laquelle la société Enedis a refusé de faire droit à sa demande du 24 septembre 2018 tendant au déplacement du transformateur électrique situé dans l'immeuble dont elle est propriétaire au 99 avenue Achille Peretti à Neuilly-sur-Seine, d'enjoindre à la société Enedis de retirer le transformateur électrique, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à titre principal, pour le cas où le retrait du transformateur serait ordonné, de condamner la société Enedis à lui payer la somme de 112 750 euros en réparation des préjudices subis, ou à défaut, de condamner la société Enedis à lui verser une somme de 1 476 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la privation de son droit de propriété, les sommes en cause étant assorties des intérêts de droit à compter de sa demande préalable et enfin de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement avant dire droit n° 1809897 du 22 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions indemnitaires du fait du maintien irrégulier du transformateur électrique (article 1er) et ordonné une étude technique détaillée relative au retrait de l'ouvrage (article 2).

Par un jugement n° 1809897 du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a finalement rejeté le surplus des conclusions de la société Nini.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 novembre 2021, la société Nini, représentée par Me Pouilhe, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ces jugements ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'enjoindre à la société Enedis de retirer le transformateur électrique dont elle est propriétaire, situé au sous-sol de l'immeuble du 99 avenue Achille Peretti à Neuilly-sur-Seine, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de condamner la société Enedis à lui verser la somme de 1 476 000 euros avec intérêts à compter de la demande préalable du 24 septembre 2018 et capitalisation de ces intérêts ;

5°) de mettre à la charge de la société Enedis le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du 22 mars 2021, et par voie de conséquence celui du 17 septembre 2021, sont irréguliers dès lors que le premier jugement ne pouvait, sans statuer ultra petita, tout à la fois rejeter de façon définitive la demande indemnitaire formée à titre subsidiaire dans le cas où la libération du local ne serait pas ordonnée et, ensuite, prononcer un sursis à statuer sur le point de savoir si le transformateur pouvait être déplacé ;

- cette irrégularité entache ces deux jugements dès lors que les conclusions indemnitaires formulées ne sont pas divisibles des conclusions à fin de déplacement du transformateur ;

- la privation de son droit de propriété doit être prise en compte, au titre des inconvénients et de l'impossibilité pour la société Enedis de procéder au déplacement du transformateur électrique ;

- le maintien de ce transformateur fait peser sur elle une charge spéciale et exorbitante contraire à l'article 1er du protocole I de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il fait obstacle à son projet de création d'une surface commerciale, fait courir un risque d'intrusion dans l'immeuble et crée des nuisances sonores ;

- l'impossibilité de déplacer l'ouvrage n'est pas établie en l'absence de production d'une étude foncière ;

- il n'y a aucune assurance sur l'impartialité des études produites par la société Enedis ;

- le déplacement de l'ouvrage ne porte pas une atteinte excessive à l'intérêt général dès lors que l'étude produite ne permet pas de conclure que la suppression de l'ouvrage engendrerait une saturation du réseau ; le report de l'exploitation de l'ouvrage n'a été étudié que vers trois autres ouvrages proches, alors qu'il en existe dix-neuf à proximité ; il est possible d'augmenter la capacité des postes " Louis-Philippe 9 " et " Saint-Pierre 18 " pour absorber la suppression du transformateur ;

- Enedis n'a pas chiffré le coût du déplacement du transformateur, alors que la perte en capital pour la société s'élève à 891 960 euros et ses préjudices depuis 2016 à 1 476 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2022, la société Enedis, représentée par Me Trécourt, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Nini au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 19 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 5 octobre 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté pour la société Nini, a été enregistré le 5 octobre 2023 et n'a pas été communiqué.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que les personnes morales de droit privé ne peuvent être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas (CE, 17 mars 1978, n° 95331, au Recueil). En conséquence, que l'évaluation du préjudice auquel la société Enedis pourrait être condamnée à réparer doit tenir compte de l'indemnité d'occupation à laquelle le juge judiciaire a condamné la société Enedis par un jugement devenu définitif.

L'avocat de la SCI Nini a produit, en réponse, un mémoire enregistré le 5 janvier 2024, concluant aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole I ;

- le code civil ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aventino,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- les observations de Me Pouilhe pour la société Nini et de Me Flora, substituant Me Trécourt, pour la société Enedis.

Considérant ce qui suit :

1. Electricité de France, devenue la société Enedis, a conclu un contrat de bail le 27 août 1964 avec la SCI du 99 avenue du Roule, aux droits de laquelle vient la société Nini, pour la jouissance d'un local de 12m² au sous-sol d'un immeuble situé 99 avenue Achille Peretti à Neuilly-sur-Seine afin d'y implanter un poste de transformation électrique. Selon les stipulations de ce contrat, le terme du bail correspondait au terme du contrat de concession de distribution électrique, sauf à ce que la convention de délégation soit prorogée. La société Nini a sollicité auprès de la société Enedis le déplacement de ce transformateur le 1er avril 2016. La société Enedis a, par un courrier du 4 mai 2016, refusé de faire droit à cette demande. La société Nini a alors décidé de résilier le contrat et a donné congé à la société Enedis, par acte du 29 mai 2017, avec un préavis de six mois. Par un jugement du 4 janvier 2021, devenu définitif, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre pour le local en litige depuis le 29 novembre 2017 et l'a condamnée à verser à la société Nini une indemnité d'occupation annuelle de 3 000 euros à compter du 1er décembre 2017. Par un courrier du 24 septembre 2018, la société requérante a sollicité de nouveau auprès de la société Enedis le déplacement de l'ouvrage, ainsi que le versement d'une indemnité en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son maintien depuis la résiliation du bail. Par un jugement du 22 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a décidé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société requérante et ordonné un supplément d'instruction tendant à la production par la société Enedis d'une étude technique détaillée portant sur la faisabilité du déplacement de l'ouvrage hors des locaux de la société requérante, et, dans le cas où cela s'avérerait impossible, précisant les conséquences qu'aurait la suppression de ce transformateur pour le réseau de distribution électrique. Par un jugement du 17 septembre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté le surplus de la demande de la société Nini tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la société Enedis a refusé de faire droit à sa demande du 24 septembre 2018 de déplacer le transformateur électrique situé dans l'immeuble dont elle est propriétaire au 99 avenue Achille Peretti à Neuilly-sur-Seine et à ce qu'il soit enjoint à la société Enedis de retirer ce transformateur électrique, dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. La société Nini fait appel de ces deux jugements.

Sur la régularité du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 22 mars 2021 :

2. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, par son jugement du 22 mars 2021, rejeté les conclusions indemnitaires présentées à titre subsidiaire par la société Nini en estimant qu'il ne résultait pas de l'instruction que la société Nini subissait une privation définitive de la jouissance de son bien, ni de sa qualité de propriétaire. En se prononçant ainsi d'emblée sur de telles conclusions, qui n'étaient formulées qu'à titre subsidiaire pour le cas où l'injonction de retrait ne serait pas prononcée, alors qu'ils avaient en outre avant-dire droit réservé les conclusions de la société requérante relatives au retrait de l'ouvrage jusqu'à la réalisation par la société Enedis d'une étude technique détaillée, les premiers juges ont statué ainsi méconnu leur office.

3. Dès lors, la société Nini est fondée à soutenir que l'article 1er du jugement du 22 mars 2021 attaqué, en tant qu'il a statué sur les conclusions analysées ci-dessus, est intervenu sur une procédure irrégulière et doit, pour ce motif et dans cette mesure, être annulé. Il y a lieu pour la cour administrative d'appel de se prononcer immédiatement sur ces conclusions indemnitaires par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.

Sur les conclusions tendant au déplacement d'un ouvrage public :

4. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

5. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la résiliation par la société Nini du contrat de bail du 27 août 1964, le tribunal judiciaire de Nanterre a, par un jugement du 4 janvier 2021 devenu définitif, déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre depuis le 29 novembre 2017 du local de 12m² au sein duquel est implanté un poste de transformation électrique. D'autre part, si la société Enedis, en tant que concessionnaire de distribution de l'énergie électrique, a le pouvoir, en vertu de l'article L. 323-3 du code de l'énergie, de prendre l'initiative d'une procédure d'expropriation, il n'apparaît pas qu'elle ait effectivement envisagé d'y recourir. Il s'ensuit que le maintien du poste de transformation électrique au sein de l'immeuble du 99 avenue Achille Peretti constitue une emprise irrégulière sans que la régularisation de cette implantation irrégulière n'apparaisse envisageable en l'espèce.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que le transformateur en litige, qui fait partie du réseau électrique de Neuilly-sur-Seine, dont il n'est pas contesté par la société requérante qu'il est entièrement souterrain, est pleinement exploité et assure la desserte en électricité de 225 foyers et 59 locaux professionnels. Il résulte également de l'instruction que la suppression du poste de distribution " Peretti " en litige ne peut être compensée par la création d'un nouveau poste compte tenu de l'absence d'opportunité foncière publique, liée notamment à l'encombrement du sous-sol de la voirie par les réseaux de transport, ou d'opportunité foncière privée, à défaut de projet de nouvelle construction dans ce secteur. Sa suppression nécessiterait ainsi de basculer la puissance qu'il génère vers des postes de distribution voisins. Or les règles de l'art en matière de distribution de proximité, telles qu'elles résultent des prescriptions du réseau de distribution d'électricité " Développement du réseau basse tension ", requièrent de raccorder une installation au poste de distribution le plus proche géographiquement, afin de minimiser les effets de chute de tension pour les usagers, ainsi qu'au cas d'espèce, les risques d'incidents. L'étude du 14 juin 2021 produite par Enedis, qui prend également en compte la configuration urbaine, identifie ainsi trois postes de distribution voisins susceptibles d'absorber la puissance qui résulterait de la suppression du poste de distribution en cause, à savoir les postes " Saint Pierre 18 ", " Louis Philippe 9 ", " Orléans 9 ". Elle conclut toutefois, sans être utilement contestée par la société requérante, qu'il n'est pas possible de basculer la puissance vers les postes proches " Louis Philippe 9 " et " Orléans 9 " sans dépasser les limites techniques d'intensité de ces postes, ni vers le poste " Saint Pierre 18 " en raison de l'impossibilité technique de créer de nouveaux départs depuis ce dernier. En outre, un tel basculement de puissance aurait pour conséquence une saturation des postes " Louis Philippe 9 " et " Orléans 9 ", ce qui empêcherait de répondre à d'éventuels besoins complémentaires en électricité à proximité. De surcroît, le fait que les postes seraient amenés en limite de capacité, à échéance de moins de dix ans, empêche de mobiliser ces postes existants pour faire face à un incident d'exploitation. Enfin, la société requérante se borne à alléguer qu'il n'est pas établi que d'autres postes voisins ne pourraient pas absorber la puissance correspondant au transformateur en litige, sans préciser les postes qui pourraient faire l'objet d'un redéploiement sans franchissement souterrain de voie.

7. D'autre part, le poste de transformation électrique en litige occupe un local d'environ 12m² situé au sous-sol de l'immeuble appartenant à la société Nini. Si cette société soutient que cette présence, de même que l'opposition d'Enedis à la fermeture du porche qui surplombe ce local dès lors que la trappe d'accès située au droit du local ne serait plus accessible directement et en permanence et n'assurerait plus la ventilation, elle n'établit pas qu'un projet de réaffectation à usage d'activités du reste de l'emprise du sous-sol et du porche serait impossible et la priverait de la possibilité de réhabiliter son bien. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'implantation actuelle de l'ouvrage engendre des risques de sécurité particulier pour les occupants de l'immeuble, ni compte tenu de la configuration des lieux et de ce que l'accès au local est verrouillé, que les intrusions répétées dans le sous-sol seraient dues à la société Enedis. De plus, la société requérante ne justifie pas de l'existence des troubles sonores pour les occupants causés par l'ouvrage situé au sous-sol de l'immeuble. Ainsi, s'il est constant que le maintien de l'ouvrage empêche la réutilisation par la société requérante de 12m² de surface de sous-sol et celle d'une même superficie au-dessus de ce local, au niveau du porche, en raison de la présence d'une trappe qui doit demeurer directement accessible de façon permanente, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts privés en présence présentent néanmoins un caractère limité.

8. Au regard des inconvénients limités que la présence de l'ouvrage entraîne pour la société requérante, de l'absence de perspectives de relocalisation, et des conséquences qui résulteraient de la démolition du transformateur pour le service public de distribution d'électricité, il résulte de l'instruction que son déplacement entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général. Pour les mêmes motifs, un tel maintien n'est pas contraire à l'article 1er du protocole I de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il s'ensuit que les conclusions dirigées contre la décision refusant de faire droit au déplacement de l'ouvrage doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction avec astreinte doivent également être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

9. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété. Si la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée porte atteinte au libre exercice de son droit de propriété par celle-ci, elle n'a, toutefois, pas pour effet l'extinction du droit de propriété sur cette parcelle. Par suite, la réparation des conséquences dommageables résultant de la décision d'édifier un ouvrage public sur une parcelle appartenant à une personne privée ne saurait donner lieu à une indemnité correspondant à la valeur vénale de la parcelle, mais uniquement à une indemnité réparant intégralement le préjudice résultant de l'occupation irrégulière de cette parcelle et tenant compte de l'intérêt général qui justifie le maintien de cet ouvrage.

10. La société Enedis doit, conformément au point 7 du présent arrêt, réparer intégralement le préjudice direct et certain découlant de son occupation irrégulière de la propriété de la société Nini. Il ne résulte pas de l'instruction que la société subisse une privation définitive de la jouissance de ce bien, ni de sa qualité de propriétaire. Compte tenu de la nature et de l'état des locaux, situés en sous-sol, la valeur locative annuelle n'a, ni à être fixée par référence aux loyers de locaux d'activité à 1 000 euros/m² par an, ni par référence aux dispositions de l'article R. 332-16 du code de l'urbanisme à la somme de 106,71 euros/m². Il sera fait une juste appréciation de l'indemnisation du préjudice temporaire de jouissance subi par la société, compte tenu de la surface d'emprise du local de 12m² en sous-sol et des conséquences liées à la nécessité de maintenir une trappe directement et en permanence accessible au-dessus de ce local, au niveau du porche, en fixant l'indemnité d'occupation à la somme de 400 euros/m² soit 4 800 euros par année d'occupation irrégulière à compter de la réclamation préalable du 24 septembre 2018.

11. Toutefois, par un jugement du 4 janvier 2021, devenu définitif en l'absence d'appel, le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré la société Enedis occupante sans droit ni titre du local en litige après résiliation du bail par la SCI Nini et a condamné la société Enedis à verser à la SCI Nini une indemnité annuelle d'occupation de 3 000 euros par an. Eu égard à la finalité de cette indemnité d'occupation, qui a pour objet de réparer l'entier préjudice subi par le bailleur en contrepartie de l'occupation des lieux mais aussi en réparation de la privation de son bien, le juge administratif est tenu de prendre en compte cette condamnation qui a permis à la société requérante d'obtenir ainsi partiellement réparation de son préjudice indemnisable sur le même fondement que celui retenu dans le cadre du présent arrêt au point 10, pour la détermination du montant de la somme due par la société Enedis au titre des dommages et intérêts.

12. Il en résulte que la société Enedis doit donc être condamnée à verser à la société Nini une somme de 9 400 euros pour la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, puis la somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu'à la libération totale des lieux occupés par le transformateur litigieux.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Nini est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 22 mars 2021 attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions indemnitaires du fait du maintien irrégulier du transformateur électrique et à obtenir la somme de 9 400 euros au titre de son préjudice subi au cours de la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, majorée d'une somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu'à la libération du local occupé par ce transformateur.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

14. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. Pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande.

15. La société Nini a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes que la société Enedis est condamnée à lui verser, à compter du 24 septembre 2018, date de réception de sa demande indemnitaire préalable.

16. La société Nini ayant demandé la capitalisation de ses intérêts le 19 novembre 2021, soit plus d'un an après la date de sa demande indemnitaire préalable, il y a lieu de lui accorder le bénéfice de la capitalisation des intérêts à compter de cette date, puis à chaque échéance annuelle.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la société Enedis soit mise à la charge de la société Nini, qui n'est pas la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Enedis la somme de 2 000 euros à verser à la société Nini au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 22 mars 2021 est annulé.

Article 2 : La société Enedis est condamnée à verser à la société Nini la somme de 9 400 euros au titre de son préjudice subi au cours de la période comprise entre le 24 septembre 2018 et la date du présent arrêt, qui portera intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2018, les intérêts ainsi produits étant capitalisés à compter du 19 novembre 2021 puis à chaque échéance annuelle, majorée d'une somme supplémentaire de 1 800 euros par an jusqu'à la libération du local occupé par ce transformateur.

Article 3 : La société Enedis versera à la société Nini la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Nini est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Nini et à la société Enedis.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024

La rapporteure,

B. AVENTINO

Le président,

B. EVEN

La greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au préfet des Hauts-de-Seine en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

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N° 21VE03143


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