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25/01/2024 | FRANCE | N°22VE00238

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 25 janvier 2024, 22VE00238


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire préalable du 31 décembre 2018, d'annuler la décision du 27 février 2019 en tant qu'elle ne fait que partiellement droit à ses demandes, d'annuler la décision implicite de rejet du 13 février 2020 de sa demande indemnitaire complémentaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 117,32 euros, et de mettre à la charge de l'Etat une somme d

e 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire préalable du 31 décembre 2018, d'annuler la décision du 27 février 2019 en tant qu'elle ne fait que partiellement droit à ses demandes, d'annuler la décision implicite de rejet du 13 février 2020 de sa demande indemnitaire complémentaire, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 117,32 euros, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901874 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Versailles a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 3 237,32 euros en indemnisation de ses préjudices, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à l'intéressé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 février 2022 et le 24 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Cochereau, avocate, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 26 200 euros ;

3°) et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué étant entaché d'erreurs de faits, de droit et d'appréciation, il est irrégulier ;

- l'Etat a commis une faute du fait des dysfonctionnements relatifs à la gestion de son temps de travail ;

- l'Etat a commis une faute en ne payant pas les astreintes qu'il a régulièrement effectuées pendant six années ; il a subi un préjudice matériel du fait du non-paiement de ces astreintes, qui doit être réparé à hauteur de 11 200 euros à ce titre ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, d'une part, du fait des erreurs multiples commises par l'administration dans l'aménagement de son temps de travail via le logiciel " Origine ", d'autre part, du fait du dépassement du plafond trimestriel d'heures supplémentaires et du temps de travail annuel, sans rémunération ou repos, et enfin, du fait du refus de l'administration de répondre à ses sollicitations et à ses recours tendant à remédier aux dysfonctionnements affectant la gestion du temps de travail des chauffeurs du directeur de la direction de l'administration pénitentiaire ; sa vie privée et ses conditions d'existence ont été affectées, de même que son état de santé ; l'ensemble de ces préjudices doivent être indemnisés à hauteur de 10 000 euros ;

- face à l'absence d'encadrement de ses horaires, et en raison de difficultés de dialogue avec la direction de l'administration pénitentiaire et de l'absence de reconnaissance du travail accompli par une juste rémunération, il a dû introduire plusieurs recours pour faire valoir ses droits, qui ont compromis la pérennité de sa mise à disposition au sein de cette direction, ce qui a nui à ses chances et perspectives d'évolution au sein de cette administration ; il a subi de ce fait un préjudice de carrière pouvant être évalué à 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2023, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 décembre 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité partielle des conclusions indemnitaires présentées en première instance par M. A..., pour défaut de liaison du contentieux.

Par un mémoire, enregistré le 3 janvier 2024, M. A... a présenté des observations en réponse à ce moyen d'ordre public.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ;

- le décret n° 2001-1357 du 28 décembre 2001 relatif à la rémunération et à la compensation horaire des astreintes effectuées par certains agents du ministère de la justice ;

- l'arrêté du 28 décembre 2001 fixant le taux de rémunération et les modalités de compensation horaire des astreintes et des interventions ou des télé-interventions effectuées par certains agents du ministère de la justice ;

- l'arrêté du 28 décembre 2018 fixant la liste des établissements ou services pénitentiaires prévue par le décret n° 2018-1319 du 28 décembre 2018 portant création d'une prime de fidélisation attribuée à certains personnels relevant de l'administration pénitentiaire ;

- l'arrêté du 28 décembre 2018 fixant les montants de la prime de fidélisation attribuée à certains personnels relevant de l'administration pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Cozic,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Bouttier, substituant Me Cochereau, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., titulaire du grade de surveillant principal du corps des personnels d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, affecté à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, occupe depuis le 5 mars 2015 un poste de chauffeur, au sein du pôle transport de la direction de l'administration pénitentiaire. Il a adressé au ministre de la justice une demande indemnitaire préalable, par un courrier reçu le 31 octobre 2018, en vue de l'indemnisation des préjudices qu'il allègue avoir subis du fait d'agissements fautifs de l'administration, à hauteur de 12 310 euros. Cette demande ayant été rejetée implicitement, M. A... a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat au paiement cette même somme. Le ministre de la justice a, par une décision expresse du 27 février 2019 reçue le 5 mars suivant, partiellement fait droit à la demande de l'intéressé en lui octroyant une somme de 2 437,32 euros. M. A... a alors adressé une demande indemnitaire " complémentaire " au ministre de la justice, reçue le 13 décembre 2019, tendant au versement de la somme de 25 308,08 euros en réparation des préjudices subis, qui a été implicitement rejetée. M. A... a, dans le dernier état de ses écritures de première instance, porté ses demandes indemnitaires à la somme de 30 117,32 euros. Le tribunal administratif de Versailles a, par un jugement n° 1901874 du 2 décembre 2021, condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 3 237,32 euros en indemnisation des préjudices subis. M. A... fait appel de ce jugement en tant qu'il a refusé de faire droit à l'ensemble de ses demandes indemnitaires, et demande à la cour de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 26 200 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de procédure ou de forme qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée, dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. A... ne peut utilement se prévaloir de l'existence d'erreurs de droit, de fait ou d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué sur le terrain de la régularité.

Sur la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées en première instance :

3. La décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

4. Par suite, la victime est recevable à demander au juge administratif, dans les deux mois suivant la notification de la décision ayant rejeté sa réclamation, la condamnation de l'administration à l'indemniser de tout dommage ayant résulté de ce fait générateur, y compris en invoquant des chefs de préjudice qui n'étaient pas mentionnés dans sa réclamation.

5. En revanche, si une fois expiré ce délai de deux mois, la victime saisit le juge d'une demande indemnitaire portant sur la réparation de dommages causés par le même fait générateur, cette demande est tardive et, par suite, irrecevable. Il en va ainsi alors même que ce recours indemnitaire indiquerait pour la première fois les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages, ou invoquerait d'autres chefs de préjudice, ou aurait été précédé d'une nouvelle décision administrative de rejet à la suite d'une nouvelle réclamation portant sur les conséquences de ce même fait générateur.

6. Il n'est fait exception à ce qui est dit au point précédent que dans le cas où la victime demande réparation de dommages qui, tout en étant causés par le même fait générateur, sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement à la décision administrative ayant rejeté sa réclamation.

7. Dans ce cas, qu'il s'agisse de dommages relevant de chefs de préjudice figurant déjà dans cette réclamation ou de dommages relevant de chefs de préjudice nouveaux, la victime peut saisir l'administration d'une nouvelle réclamation portant sur ces nouveaux éléments et, en cas de refus, introduire un recours indemnitaire dans les deux mois suivant la notification de ce refus.

8. Dans ce même cas, la victime peut également, si le juge administratif est déjà saisi par elle du litige indemnitaire né du refus opposé à sa réclamation, ne pas saisir l'administration d'une nouvelle réclamation et invoquer directement l'existence de ces dommages devant le juge administratif saisi du litige en premier ressort afin que, sous réserve le cas échéant des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle, il y statue par la même décision. La victime peut faire de même devant le juge d'appel, dans la limite toutefois du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant de l'indemnité demandée au titre des dommages qui sont nés, ou se sont aggravés, ou ont été révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement de première instance.

9. Il résulte de l'instruction que M. A... a sollicité auprès de l'administration, dans sa seconde demande indemnitaire préalable du 10 décembre 2019, l'indemnisation des préjudices résultant selon lui de deux faits générateurs dont il ne s'était pas prévalu dans sa première demande indemnitaire préalable adressée à l'administration, du 30 octobre 2018. En conséquence, l'ajustement de ses prétentions, présentées devant le tribunal en cours de première instance, tendant à réparer les conséquences dommageables résultant d'une part, de l'absence de situation statutaire régulière, d'autre part, du refus de versement de la prime de fidélisation, a conduit à soulever un litige distinct sur ces deux points précis. Alors que les premiers juges ont indemnisé M. A... à hauteur de 800 euros au titre du refus de versement de la prime de fidélisation et ont rejeté au fond ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de l'absence de situation statutaire régulière, ces conclusions doivent être rejetées du fait de leur irrecevabilité.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne les dysfonctionnements dans l'encadrement du temps de travail de M. A... :

10. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature : " La durée du travail effectif est fixée à trente-cinq heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l'Etat (...). Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d'une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d'être effectuées. (...) ". L'article 2 de ce même décret précise que : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. ". L'article 3 de ce même décret précise que : " I.- L'organisation du travail doit respecter les garanties minimales ci-après définies. / La durée hebdomadaire du travail effectif, heures supplémentaires comprises, ne peut excéder ni quarante-huit heures au cours d'une même semaine, ni quarante-quatre heures en moyenne sur une période quelconque de douze semaines consécutives et le repos hebdomadaire, comprenant en principe le dimanche, ne peut être inférieur à trente-cinq heures. (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret n° 68-518 du 30 mai 1968 fixant le régime des indemnités horaires pour travaux supplémentaires accordées aux personnels des services extérieurs de l'administration pénitentiaire : " (...) Le nombre d'heures rémunérées ne peut dépasser au cours d'un trimestre cent huit heures par agent. ".

11. M. A... soutient que l'encadrement de son temps de travail, depuis son affectation en mars 2015 au poste de chauffeur au sein du pôle transport de la direction de l'administration pénitentiaire, est entachée de multiples dysfonctionnements. Il affirme en particulier, qu'alors que son véhicule n'a jamais été doté d'un carnet de bord, ses horaires hebdomadaires, les heures supplémentaires et les astreintes qu'il a effectuées, n'ont pas fait l'objet d'un pointage rigoureux, en raison de quoi il a travaillé bien plus d'heures que celles recensées, et bien plus d'heures que celles pouvant être légalement travaillées.

12. M. A... détaille un ensemble de jours qui ont été recensés par son employeur comme des jours de repos hebdomadaires alors qu'il travaillait de manière effective. Il verse au dossier en particulier un relevé de son emploi du temps. Au titre des années 2019 et 2020, il pointe précisément le décalage entre les heures qu'il a lui-même décomptées et celles qui ont été enregistrées sur le logiciel professionnel " Origine ", dans lequel sont enregistrées les heures de travail des agents de la direction de l'administration pénitentiaire. M. A... explique que ces erreurs sont dues à une retranscription stéréotypée de ses heures de travail, sans rapport avec le caractère fluctuant et variable de son temps de travail, lui-même corrélé aux impératifs du directeur de l'administration pénitentiaire, qu'il est chargé de conduire à ses différents rendez-vous. M. A... souligne également que son temps de relève le mardi, et son temps de trajet entre son domicile et celui du directeur de l'administration pénitentiaire n'ont jamais été comptabilisés comme du temps de travail.

13. M. A... expose en outre de manière précise et détaillée qu'il a régulièrement dépassé la durée annuelle de temps de travail de 1 607 heures. Au soutien de ses allégations, il se prévaut de relevés d'heures enregistrés sur le logiciel professionnel " Origine ", renseigné par les services de l'administration, qui indiquent un nombre total d'heures travaillées de 1 626h50 pour 2015, 1 655h30 pour 2016, 1 662h40 pour 2017, 1 648h20 pour 2018 et 1 677 heures pour 2019.

14. M. A... soutient également qu'il a travaillé à sept reprises, entre 2015 et 2019, un nombre d'heures supplémentaires dépassant le plafond trimestriel des 108 heures supplémentaires de travail. Pour l'établir, le demandeur se prévaut en particulier des relevés enregistrés sur le logiciel professionnel " Origine ", dont des extraits sont versés au dossier, révélant un total de 113.4 heures supplémentaires entre juin et août 2015, de 146.7 heures supplémentaires entre juin et août 2016, de 168.9 heures supplémentaires entre juillet et septembre 2017, de 138.8 heures supplémentaires entre mars et mai 2018, de 169.8 heures supplémentaires entre juin et août 2018, de 111.40 heures supplémentaires pour le seul mois de novembre 2018, et de 147.1 heures supplémentaires.

15. Alors que M. A... détaille ses griefs de manière précise et circonstanciée, en appuyant ses allégations sur de multiples pièces de natures variées, l'administration se borne en défense à soutenir que M. A... n'établit pas la réalité des fautes alléguées, sans toutefois apporter la moindre pièce ni le moindre élément circonstancié de nature à remettre en cause ce que soutient le demandeur, et ce, en dépit notamment d'une mesure d'instruction qui lui a été adressée en ce sens par la cour.

16. Il résulte ainsi de l'instruction que l'Etat doit être regardé comme ayant commis une faute dans la gestion et l'encadrement du temps de travail de M. A... entre 2015 et 2020, de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne le non-paiement des astreintes :

17. L'article 5 du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature dispose que : " Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle l'agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif. (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret n° 2001-1357 du 28 décembre 2001 relatif à la rémunération et à la compensation horaire des astreintes effectuées par certains agents du ministère de la justice : " Certains agents du ministère de la justice peuvent bénéficier d'une compensation horaire ou, dans la limite des crédits ouverts à cet effet, d'une rémunération, non soumise à retenue pour pension, au titre des astreintes prévues par un arrêté pris en application du décret du 25 août 2000 susvisé. / La rémunération ou la compensation horaire des astreintes prévues au présent article sont exclusives l'une de l'autre ainsi que du bénéfice de tout autre dispositif de rémunération ou de compensation horaire attribués au même titre. ". Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 28 décembre 2001 portant application du décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif aux modalités d'aménagement et de réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat pour le ministère de la justice : " Les cas dans lesquels, en application de l'article 5 du décret du 25 août 2000 susvisé, l'ensemble des services peuvent recourir à des astreintes sont les suivants : (...) S'agissant de l'administration centrale : / - assurer la continuité des fonctions de secrétariat, au cabinet du ministre ainsi qu'auprès des directeurs de l'administration centrale et des chefs de services directement rattachés auprès du ministre de la justice (...) ".

18. M. A... soutient que, depuis sa prise de fonction en mars 2015, il a assuré un nombre total de 140 jours d'astreintes lors de week-ends, qui n'ont été ni rémunérées, ni compensées. Il verse au dossier un recensement de ces week-ends d'astreinte, qu'il a répertoriés de manière manuscrite sur des calendriers, chaque année de 2015 à 2020. Il explique également, de manière précise et circonstanciée que " le paiement des astreintes durant les week-ends était initialement prévu pour les chauffeurs de la DAP mais a été supprimé à compter d'avril 2015 sans que l'organisation de leur temps de travail soit modifiée ". Il verse également au dossier un extrait du logiciel " Origine ", de gestion des heures travaillées des agents de la direction de l'administration pénitentiaire, qui comporte une ligne faisant mention d'indemnités d'astreinte et qui identifie 60 heures d'astreintes pour le seul mois de mars 2015. Il résulte en outre de l'instruction, en particulier d'un courriel de l'adjointe au chef de cabinet du directeur de l'administration pénitentiaire du 6 août 2019, versé au dossier par le demandeur, que " le système des astreintes le week-end est maintenu ". Il résulte enfin de la décision du 27 février 2020 prise en réponse à la demande indemnitaire préalable de M. A..., que l'administration a expressément admis que l'intéressé a assuré deux astreintes les 1er et 14 juillet 2018, tout en estimant, sans davantage de précision que, s'agissant des autres astreintes alléguées, il appartenait à l'intéressé lui-même de démontrer qu'il avait réalisé les astreintes alléguées. En outre, il n'est pas contesté en défense qu'un protocole transactionnel a été préparé entre l'administration et M. A... en 2021, en vue de mettre fin à toute contestation relative aux astreintes et heures supplémentaires, en contrepartie du versement d'une somme de 10 000 euros, comme en atteste un échange de courriels entre le conseil de M. A... et l'administration. Le ministre de la justice n'apporte aucun élément en défense en vue d'expliquer la manière dont le travail de M. A... a été organisé, ni en vue de remettre en cause les allégations précises et circonstanciées du demandeur, qui sont corroborées par diverses pièces du dossier. M. A... doit ainsi être regardé comme ayant assuré un total de 140 jours d'astreintes lors de week-ends entre 2015 et 2020, qui n'ont été ni indemnisées ni compensées. Le demandeur est ainsi fondé à soutenir que, de ce fait, l'administration a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne le préjudice matériel :

19. Aux termes de l'arrêté du 28 décembre 2001 fixant le taux de rémunération et les modalités de compensation horaire des astreintes et des interventions ou des télé-interventions effectuées par certains agents du ministère de la justice, dans sa version applicable au présent litige : " Conformément aux articles 1er et 2 du décret du 28 décembre 2001 susvisé, les montants de la rémunération et les modalités de compensation horaire des astreintes sont fixés selon les dispositions suivantes : (...) IV. - Administration centrale / a) Rémunération : / 80 € pour une astreinte de samedi et dimanche (...) ".

20. Il résulte de l'instruction que M. A... doit être regardé comme ayant assuré 140 jours d'astreintes lors de week-ends sans que celles-ci aient donné lieu à compensation ou à rémunération. Il sera fait une exacte appréciation du préjudice subi par M. A... en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 11 200 euros en réparation de ce préjudice matériel.

En ce qui concerne le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

21. M. A... soutient que les fautes commises dans la gestion de son temps de travail, en particulier le fait de lui imposer, pendant six ans, des amplitudes horaires trop élevées ont fortement impacté sa vie privée, ainsi que sa santé, et qu'en particulier, il a été victime d'un accident de trajet le 8 septembre 2020, après s'être assoupi au volant de son véhicule. Alors que M. A... n'établit pas la réalité d'un préjudice moral distinct de ses troubles dans les conditions d'existence, il sera fait une juste appréciation de ce dernier préjudice, le seul dont la réalité est établie, en condamnant l'Etat à lui verser la somme de 6 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice de carrière :

22. M. A... soutient que, du fait de l'absence d'encadrement de ses horaires, des difficultés de dialogue avec la direction de l'administration pénitentiaire, de l'absence de reconnaissance du travail accompli par une juste rémunération, il a dû introduire plusieurs recours pour faire valoir ses droits, qui ont compromis la pérennité de sa mise à disposition au sein de la direction et a nui à ses chances et perspectives d'évolution au sein de l'administration pénitentiaire. Toutefois, les allégations du requérant ne conduisent qu'à la caractérisation d'un préjudice purement hypothétique et incertain, aucune pièce versée ne venant corroborer les craintes dont M. A... fait mention sur l'état et l'évolution de sa carrière. Par suite, les conclusions tendant à l'indemnisation à hauteur de 5 000 euros de son supposé préjudice de carrière doivent être rejetées.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a limité le montant de la condamnation de l'Etat à la somme de 3 237,32 euros qu'il convient de majorer de 16 400 euros, comme indiqué aux points 9, 20 et 21 du présent arrêt, pour la porter à 19 637,32 euros.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 3 237,32 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. A... par le jugement n° 1901874 du 2 décembre 2021 du tribunal administratif de Versailles est portée à 19 637,32 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 2 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Even, président de chambre,

Mme Aventino, première conseillère,

M. Cozic, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024.

Le rapporteur,

H. COZICLe président,

B. EVENLa greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 22VE00238


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00238
Date de la décision : 25/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-08 Fonctionnaires et agents publics. - Rémunération.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Hervé COZIC
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SELARL OFFICIO AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-25;22ve00238 ?
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