Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 août 2018 par lequel le ministre de l'éducation nationale lui a retiré ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon à Paris et l'a affectée en qualité de proviseure au lycée Descartes à Antony à compter du 1er septembre 2018 ou, à titre subsidiaire, de l'annuler seulement en tant qu'il l'a affectée au lycée Descartes à Antony, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'éducation nationale de la réintégrer dans ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon, dans un délai d'un mois, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation sous la même astreinte à compter de la notification du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1810592 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 24 août 2018 portant retrait de fonctions de Mme A... et affectation de l'intéressée en tant que proviseure du lycée Descartes à Antony, a enjoint au ministre de l'éducation nationale de replacer l'intéressée dans ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon à Paris dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sauf à ce que l'intéressée accepte d'être affectée dans un emploi équivalent correspondant à son grade, a mis à la charge de l'État le versement à Mme B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 juin 2021 et un mémoire du 11 juillet 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Il soutient que :
- le retrait de fonctions en litige n'était pas tardif dès lors que l'article 23 du décret du 11 décembre 2001 portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale n'enserre la décision de retrait de fonctions dans aucun délai spécifique, afin notamment de permettre à l'administration de trouver une affectation ; il ne pouvait être mis fin aux fonctions de Mme A... en septembre 2017 compte tenu de son arrêt maladie ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'à la date de l'arrêté attaqué, il n'existait plus au sein de l'établissement de tensions et oppositions au retour de Mme A... ; l'administration avait des raisons très sérieuses de penser que le rétablissement de l'intéressée dans ses fonctions aurait conduit à un nouveau blocage par la communauté éducative et n'aurait pas manqué d'être perçu comme une provocation ; la situation du lycée ne s'était pas profondément modifiée à la rentrée scolaire 2018.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2021, Mme A..., représentée par Me Baratelli, avocat conclut :
1°) à titre principal au non-lieu à statuer sur la requête du ministre ;
2°) à titre subsidiaire au rejet de la requête ;
3°) et à titre infiniment subsidiaire qu'il soit fait droit à ses demandes de première instance ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- dans la mesure où le ministre de l'éducation nationale a entièrement exécuté le jugement frappé d'appel, le non-lieu à statuer s'impose et sa requête est devenue sans objet ;
- l'arrêté en litige est insusceptible, à la date à laquelle il a été pris, d'être justifié par l'intérêt du service ; l'équipe pédagogique avait été profondément renouvelée ; le ministre ne démontre pas l'existence d'un ressentiment particulier à son encontre au 24 août 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2001-1174 du 11 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Danielian,
- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., personnel de direction hors classe, a été affectée comme proviseure du lycée Fénelon (Paris 6ème) à compter du 1er septembre 2016. Au cours de l'année scolaire 2016-2017, le recteur de l'académie de Paris a relevé de graves dysfonctionnements au sein du lycée, avec menaces de blocage de l'établissement à la rentrée scolaire 2017, provoqués par un conflit entre Mme A... et son secrétaire de direction bénéficiant du soutien des représentants des personnels enseignants et administratifs. Cette situation a fait l'objet d'une mission d'inspection générale conjointe diligentée au mois d'août 2017. Après avoir été placée en congé de maladie du 4 septembre au 4 octobre 2017, Mme A... a été affectée en qualité de chargée de mission auprès du directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) du 6 novembre 2017 au 31 août 2018. Le 29 mars 2018, les demandes de mutation de Mme A... ayant été rejetées et l'intéressée ayant refusé les autres propositions d'affectation qui lui ont été faites, tout en manifestant son souhait de reprendre ses fonctions au lycée Fénelon, le recteur a demandé au ministre de l'éducation nationale, de lui retirer ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon dans l'intérêt du service. Par courrier daté du 29 juin 2018, dont elle a pris connaissance le 2 juillet, cette dernière a été informée de l'ouverture d'une procédure de retrait de fonctions et invitée à consulter son dossier administratif. Par un arrêté du 24 août 2018, pris sur le fondement de l'article 23 du décret du 11 décembre 2001, le ministre de l'éducation nationale lui a retiré ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon dans l'intérêt du service et l'a mutée en qualité de proviseure du lycée Descartes à Antony. Par un jugement en date du 13 avril 2021, dont le ministre fait appel, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté du 24 août 2018 portant retrait de fonctions et affectation, a enjoint au ministre de replacer Mme A... dans ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon à Paris dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sauf à ce que l'intéressée accepte d'être affectée dans un emploi équivalent correspondant à son grade et a mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée par Mme A... :
2. Lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette délivrance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour assurer l'exécution du jugement d'annulation du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 13 avril 2021, le ministre a, par arrêté en date du 1er juin 2021, affecté Mme A... au lycée Fénelon en qualité de proviseure à compter du 1er septembre 2021, avant d'ailleurs de procéder à son retrait le 15 juin 2021. Pour les motifs énoncés au point 2, une telle circonstance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre le jugement d'annulation. Par suite, l'exception à fin de non-lieu à statuer opposée à la requête du ministre par Mme A... doit être écartée.
Sur les conclusions du ministre:
4. Aux termes de l'article 23 du décret du 11 décembre 2001 portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale : " Tout fonctionnaire pourvu d'une fonction de direction peut se voir retirer cette fonction dans l'intérêt du service. "
5. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de vérifier qu'une décision de retrait de fonctions prise sur le fondement des dispositions précitées se fonde sur des faits matériellement exacts et de nature à la justifier légalement, et n'est entachée ni de détournement de pouvoir, ni d'erreur manifeste d'appréciation, étant précisé que l'intérêt du service s'apprécie à la date à laquelle le retrait de fonctions est décidé.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'entre les mois de janvier et septembre 2017, une partie des membres du corps enseignant du lycée Fénelon, après avoir apporté son soutien à deux agents administratifs en conflit avec Mme A..., a refusé de participer aux instances de l'établissement au motif de désaccords profonds avec les méthodes de direction de la proviseure. Certains syndicats ont rendu public ce différend dont la presse nationale s'est fait l'écho et qui a culminé avec la menace de soixante-dix-sept personnels administratifs et enseignants de ne pas assurer la rentrée scolaire 2017. Le ministre a décidé, par l'arrêté litigieux, du retrait des fonctions de proviseur de Mme A... au sein de ce lycée aux motifs de l'existence " de dysfonctionnements au lycée Fénelon " et de la circonstance que " Mme C... A... n'est plus en mesure d'exercer les fonctions de proviseure dans cet établissement ".
7. Pour annuler cette décision et, par voie de conséquence, celle portant affectation de l'intéressée dans un autre lycée, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a estimé que ces motifs étaient entachés d'erreur de droit dès lors qu'au 24 août 2018, date de l'arrêté attaqué, les dysfonctionnements avaient pris fin, qu'il n'était pas démontré qu'il existait encore au sein de cet établissement des tensions et des oppositions au retour de Mme A... et qu'ainsi, le retrait de fonctions dont elle a fait l'objet ne répondait pas à l'intérêt du service. Ce faisant, le tribunal s'est borné à examiner si, à la date à laquelle la mesure de retrait a été décidée, celle-ci était justifiée par l'intérêt du service. La circonstance alléguée par le ministre que, l'article 23 du décret du 11 décembre 2001 n'enserrant la décision de retrait de fonctions dans aucun délai spécifique, le retrait de fonctions n'était pas tardif, est sans incidence sur l'appréciation de l'intérêt pour le service que conservait cette mesure à la date à laquelle elle a été prise. Il ne saurait, en outre, davantage utilement faire valoir qu'il ne pouvait être mis fin aux fonctions de Mme A... en septembre 2017 compte tenu de son arrêt maladie, dans la mesure où aucune mesure ni de suspension ni de retrait n'a toutefois été édictée à l'issue de cet arrêt maladie, l'administration ayant confié à Mme A..., à compter du 6 novembre 2017 et jusqu'au 31 août 2018, une mission auprès du directeur général de l'enseignement scolaire.
8. Si le ministre fait également valoir que l'administration avait des raisons très sérieuses de penser que le rétablissement de l'intéressée dans ses fonctions aurait conduit à un nouveau blocage par la communauté éducative et n'aurait pas manqué d'être perçu comme une provocation, il n'assortit ses allégations d'aucun élément précis et circonstancié sur le caractère actuel et persistant d'une opposition à son retour alors, d'une part, que Mme A... n'occupait plus son poste depuis près de douze mois et, d'autre part, qu'aucune nouvelle enquête administrative postérieurement à celle diligentée en août 2017 ayant conduit au rapport de septembre 2017, n'a été diligentée pour corroborer l'existence de conflits et blocages avérés en cas de reprise de fonctions de l'intéressée à la rentrée 2018. En outre, s'il est soutenu par le ministre que la situation du lycée ne s'était pas profondément modifiée à la rentrée scolaire 2018 dès lors que sur les 61 signataires de la pétition du 23 juin 2017 refusant de participer aux instances consultatives de l'établissement et de continuer de travailler avec Mme A..., 43 étaient toujours en poste et que certains personnels particulièrement actifs lors des actions de contestation étaient encore en fonction dans l'établissement, il n'en demeure pas moins, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de la liste des personnels en poste à la rentrée 2018, qu'une vingtaine d'agents et enseignants ont été renouvelés, et qu'une moitié des enseignants en poste à cette date n'étaient pas signataires de la pétition. Ces circonstances faisaient obstacle à ce que le ministre puisse supposer une opposition de leur part à Mme A... ou le risque d'un nouveau blocage par la communauté éducative, alors que les deux agents ayant cristallisé et fédéré le mécontentement avaient quitté l'établissement et que la plainte déposée par l'un d'eux pour harcèlement moral contre Mme A... avait été classée sans suite dès le 28 février 2018, au motif pris que des poursuites seraient inopportunes, non proportionnées ou inadaptées. En outre, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une attestation de la présidente de la FCPE, association des parents d'élèves du conseil local du lycée Fénelon en date du 6 septembre 2018, que la majorité des adhérents de la FCPE n'était pas hostile à un retour de Mme A..., de même que certains autres parents non affiliés à une association de parents d'élèves. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a estimé, qu'à la date de la décision attaquée, le retrait de fonctions dont Mme A... a fait l'objet ne répondait plus à l'intérêt du service et que, par suite, cette décision était entachée d'erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé l'annulation de la décision du 24 août 2018 portant retrait de fonctions de Mme A... ainsi que, par voie de conséquence, la décision prononçant sont affectation en tant que proviseure du lycée Descartes à Antony et lui a enjoint de replacer Mme A... dans ses fonctions de proviseure du lycée Fénelon à Paris dans un délai de trois mois, sauf à ce qu'elle accepte d'être affectée dans un emploi équivalent correspondant à son grade,
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État, le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : Il est mis à la charge de l'État le versement à Mme A... d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente de chambre,
Mme Danielian, présidente-assesseure,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2023.
I. La rapporteure,
I. DanielianLa présidente,
L. Besson-LedeyLa présidente,
II. I. DanielianLa greffière,
A. Audrain Foulon
La greffière,
A. Audrain FoulonLa République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 21VE01728