Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 24 mai 2018 par lequel le maire de la commune de Jouy-le-Moutier a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 25 juillet 2018, d'enjoindre au maire de Jouy-le-Moutier de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 8 mars 2009, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de condamner la commune de Jouy-le-Moutier à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi et de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens, y compris le droit de plaidoirie.
Par un jugement n° 1812246 du 4 février 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande ainsi que les conclusions présentées par la commune de Jouy-le-Moutier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 mars 2021 et le 19 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Lecourt, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre à la commune de Jouy-le-Moutier de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie à compter du 8 mars 2009, dans un délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de condamner la commune de Jouy-le-Moutier à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Jouy-le-Moutier la somme de 3 026 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif a jugé que l'arrêté attaqué était entaché d'une erreur de droit en ce qu'il fait application des dispositions de l'article 32 du décret du 14 mars 1968, alors que ce dernier n'est pas applicable aux agents de la fonction publique territoriale ;
- la substitution de motifs opérée par le tribunal la prive d'une garantie procédurale dès lors que le tribunal a estimé que la commission de réforme s'était fondée sur un rapport d'expertise insuffisant ; si tel est le cas, la procédure suivie par l'administration doit être regardée comme irrégulière et, par suite, le tribunal ne pouvait procéder à une substitution de motifs sans priver l'exposante d'une garantie ;
- c'est à tort que les juges de première instance ont estimé que la commission de réforme ne s'était fondée que sur le rapport d'expertise psychiatrique du 8 février 2017 alors qu'elle avait également été destinataire du rapport de l'enquête administrative du 26 janvier 2017 ; la commission de réforme était donc parfaitement en mesure d'apprécier si les caractéristiques du milieu professionnel étaient de nature à susciter le développement de la maladie, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;
- le jugement attaqué méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que le tribunal n'a repris, dans son jugement, que les passages du rapport d'expertise qui sont favorables à l'administration ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et le maire aurait dû reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie ;
- l'absence de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie lui cause un préjudice estimé à 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2023, la commune de Jouy-le-Moutier, représentée par Me de Soto, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le motif substitué par le tribunal figurait déjà dans les motifs de l'arrêté attaqué et les juges de première instance auraient pu procéder à une simple neutralisation du motif illégal ;
- s'agissant de la demande indemnitaire de Mme A..., le contentieux n'est lié qu'à hauteur de 2 000 euros, montant indiqué dans la demande indemnitaire préalable ; la commune exposante n'a commis aucune faute ; Mme A... n'établit ni la réalité du préjudice qu'elle allègue, ni le lien de causalité entre ce préjudice et la décision de refus d'imputabilité, ni le quantum qu'elle sollicite à ce titre ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 89-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Houllier,
- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lecourt, pour Mme A..., et de Me Wullschleger, substituant Me de Soto, pour la commune de Jouy-le-Moutier.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., adjoint technique territorial, fait appel du jugement du 4 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Jouy-le-Moutier du 24 mai 2018 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 25 juillet 2018, et à la condamnation de cette commune à l'indemniser des préjudices subis du fait de ce refus.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. A supposer que Mme A... ait entendu soulever un moyen tiré de la partialité du tribunal administratif, en méconnaissance des stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il résulte de l'examen du jugement attaqué, qui fait référence tant au contenu des certificats médicaux produits par Mme A... qu'aux rapports établis dans le cadre de la procédure administrative et à l'avis de la commission de réforme sans omettre de citer les éléments susceptibles de venir au soutien de l'argumentation de la requérante, que le tribunal a suffisamment motivé sa décision et ne l'a pas entaché de partialité. Par suite, un tel moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la substitution de motif :
3. D'une part, aux termes de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. (...). / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales. (...) ". Selon l'article 16 du décret n° 87-602 du 30 juillet 1987, dans sa version alors en vigueur : " Sous réserve du deuxième alinéa du présent article, la commission de réforme (...) est obligatoirement consultée dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice des dispositions de l'article 57 (2°, 2e alinéa) de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui lui est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin du service de médecine préventive compétent à l'égard du fonctionnaire concerné. / Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. / (...). ".
4. D'autre part, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
5. Pour rejeter la demande de Mme A..., le tribunal administratif, après avoir censuré le motif exposé par l'arrêté attaqué, tiré de ce que la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... était prescrite faute d'avoir été présentée dans un délai de quatre ans à compter de la première constatation médicale de cette maladie, a procédé, à la demande de la commune de Jouy-le-Moutier, à une substitution de motif. Il a ainsi jugé que l'arrêté attaqué était légalement justifié par l'absence de lien entre la maladie de Mme A... et le service et que cette substitution n'était pas de nature à priver cette dernière d'une garantie procédurale.
6. Mme A... soutient, devant la cour, que cette substitution de motif l'a privée d'une garantie procédurale dès lors que le tribunal aurait estimé que la commission de réforme a rendu un avis au terme d'une procédure irrégulière faute pour cette commission d'avoir été suffisamment informée par les certificats médicaux et rapports d'enquête produits. Toutefois, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que les juges de première instance n'ont pas estimé que la commission de réforme a été insuffisamment informée et aurait ainsi rendu son avis au terme d'une procédure irrégulière mais ont porté une appréciation, ainsi que cela relève de leurs pouvoirs et conformément au moyen qui était soulevé devant eux, sur l'imputabilité au service de la maladie de Mme A.... A ce titre, ils ont apprécié le caractère probant des différents certificats médicaux produits ainsi que le contenu des rapports d'enquête administrative, sans toutefois conclure à l'irrégularité de la procédure suivie, contrairement à ce que soutient Mme A.... Au contraire, il ressort des pièces du dossier que la commission de réforme a été régulièrement saisie, conformément aux dispositions précitées de l'article 16 du décret du 30 juillet 1987 et a émis un avis ainsi que cela ressort du procès-verbal de la séance du 29 mars 2018. Dans ces conditions, Mme A..., qui au demeurant ne se prévaut pas de l'irrégularité de la procédure suivie devant la commission de réforme et soutient à l'inverse que la commission de réforme était suffisamment informée pour rendre un avis, n'est pas fondée à soutenir que la substitution de motifs opérée par le tribunal l'a privée d'une garantie attachée à la procédure administrative.
En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... :
7. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
8. Mme A... soutient que l'état anxio-dépressif dont elle souffre trouverait son origine dans ses conditions de travail, notamment la dégradation de ses relations avec l'institutrice de la classe de l'école du Village dans laquelle elle était agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) en 2009, puis la décision de la réaffecter, en 2013, à l'issue de son congé de longue maladie, comme agent de cuisine à l'école de la Côte des Carrières et le comportement de l'équipe de cette école au sein de laquelle elle estime ne pas avoir été bien traitée. En l'espèce, les certificats médicaux, établis le 26 février 2016, le 18 septembre 2016 et 25 novembre 2016 par deux médecins psychiatres, attestent que Mme A... souffre d'un épisode dépressif chronique d'intensité moyenne, peu susceptible d'évoluer. Si ces certificats médicaux font également état de l'existence d'un lien entre cet état et les conditions de travail de Mme A... en 2009 puis 2013, ils se bornent à relater l'appréciation réalisée par cette dernière sans détailler les évènements et circonstances professionnels ayant causé ce trouble, l'intéressée ne donnant aucune autre précision quant à la nature et la teneur de ces faits dans ses écritures de première instance et d'appel à l'exception de l'interdiction lui ayant été faite d'appeler ses enfants pendant le temps scolaire. De même, le rapport d'expertise psychiatrique établi le 8 février 2017, qui conclut que les troubles " sont survenus dans les suites d'évènements au niveau de son travail ", se fonde uniquement, pour former cette qualification, sur les propos de Mme A..., sans, là encore, caractériser les conditions de travail, ni préciser les agissements ou évènements qui auraient été à l'origine du développement de la maladie.
9. En outre, si Mme A... soutient qu'elle a été victime de faits de harcèlements moral dès 2009 à l'école du Village puis ensuite en 2013 lors de sa réaffectation à l'école de la Côte des Carrières, elle n'apporte aucun élément de nature à faire présumer l'existence de ce harcèlement. Au contraire, il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de l'alerte initiée par Mme A... en 2017, la commune de Jouy-le-Moutier a réalisé une enquête administrative au cours de laquelle il a été mis en évidence que l'intéressée entretenait des relations difficiles avec l'institutrice de sa classe notamment parce que cette dernière ne lui permettait pas d'appeler ses enfants pendant le temps de travail. En 2013, après son retour de congé longue maladie, Mme A... a indiqué vouloir changer d'affectation en indiquant être " épuisée par cette ambiance : aucune relation, stress dans le travail, sollicitation exagérée " sans toutefois caractériser ou même préciser les difficultés auxquelles elle faisait référence. A cet égard, la seule circonstance qu'elle a été, à son retour de congé de longue maladie en 2013, affectée comme agent de cuisine et non plus comme ATSEM ne peut suffire à faire présumer un harcèlement moral dès lors que les nouvelles circulaires en vigueur invitaient au recrutement de personnes titulaires d'un certificat d'aptitude professionnelle " petite enfance " dont Mme A... n'était pas titulaire, ce qui lui a été indiqué à plusieurs reprises. Par ailleurs, aucun des anciens collègues de la requérante n'a indiqué, lors de l'enquête administrative, avoir été témoin de faits susceptibles de caractériser un harcèlement moral à son encontre, alors que la commune de Jouy-le-Moutier a témoigné de sa volonté, dès 2009, d'accommoder Mme A..., notamment en lui accordant des changements d'affectation.
10. Dans ces conditions, si Mme A... entretenait des relations difficiles avec l'institutrice de sa classe en 2009 puis avec certains de ses collègues en 2013, ces difficultés, très peu étayées, voire même circonstanciées, ne révèlent pas des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause et ce, alors même que l'intéressée ne présentait pas d'état pathologique préexistant. Par suite, en dépit de l'avis de la commission de réforme, le lien de causalité entre les conditions de travail de Mme A... et sa maladie n'est pas avéré.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du maire de Jouy-le-Moutier du 24 mai 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées
Sur les conclusions indemnitaires :
12. Il résulte de ce qui précède que le refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... était légalement justifié. Par suite, ses conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice que ce refus lui aurait causé doivent être rejetées.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter également les conclusions présentées par la commune de Jouy-le-Moutier sur ce même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la commune de Jouy-le-Moutier présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Jouy-le-Moutier.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
Mme Houllier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2023.
La rapporteure,
S. HoullierLa présidente,
C. Signerin-IcreLa greffière,
C. Fourteau
La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 21VE00947