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09/11/2023 | FRANCE | N°23VE00639

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 09 novembre 2023, 23VE00639


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, venue aux droits de la communauté de communes de l'Etampois-Sud-Essonne, ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la société Bull, à titre principal, à leur verser respectivement les sommes de 544 135,31 euros et 86 171,43 euros et, à titre subsidiaire, à leur verser à chacune la somme de 9 540 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement nos 1606746, 1606749 du 28 janvier 2019,

le tribunal administratif de Versailles a condamné la société Bull à verser respe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, venue aux droits de la communauté de communes de l'Etampois-Sud-Essonne, ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la société Bull, à titre principal, à leur verser respectivement les sommes de 544 135,31 euros et 86 171,43 euros et, à titre subsidiaire, à leur verser à chacune la somme de 9 540 euros en réparation de leurs préjudices.

Par un jugement nos 1606746, 1606749 du 28 janvier 2019, le tribunal administratif de Versailles a condamné la société Bull à verser respectivement à la commune et à la communauté d'agglomération les sommes de 272 067 euros et 43 085 euros et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 mars 2019, le 9 septembre 2019 et le 21 janvier 2020, la société Bull, représentée par Me Cabanes et Me Perche, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes présentées par la commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Etampes et de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, solidairement, le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreur d'appréciation, d'erreur de droit et est insuffisamment motivé en ce qu'il ne justifie pas le montant des condamnations prononcées ;

- il n'existe pas de lien contractuel entre la commune d'Etampes et la société exposante ; sa responsabilité contractuelle ne peut donc être engagée vis-à-vis de la commune ;

- sa responsabilité quasi-délictuelle ne peut être engagée, un tiers à un contrat ne pouvant se prévaloir des stipulations de ce contrat ;

- la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne a commis une faute contractuelle de nature à exonérer l'exposante de toute responsabilité ;

- elle n'a pas commis de faute lourde permettant d'exclure l'application de la clause limitative de responsabilité ;

- le préjudice allégué par la commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne n'est pas justifié ; il n'est pas établi que la commune et la communauté d'agglomération aient supporté des coûts supplémentaires en frais de personnel pour la récupération des données perdues.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 août 2019 et le 2 janvier 2020, la commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, représentées par Me Salamand, avocat, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour :

1°) à titre principal, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a limité l'indemnité allouée à la commune d'Etampes à la somme de 272 067 euros et l'indemnité allouée à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne à la somme de 43 085 euros et de condamner la société Bull à leur payer respectivement les sommes de 544 135, 31 euros et de 86 171, 43 euros ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué et de condamner la société Bull au paiement des sommes de 272 067 euros à la commune d'Etampes et de 43 085 euros à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne ;

3°) en tout état de cause, de dire que ces sommes portent intérêts moratoires et ordonner la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la société Bull la somme de 5 000 euros à verser à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- le jugement attaqué est suffisamment motivé ;

- il existe bien un lien contractuel entre la commune exposante et la société Bull ;

- la société Bull a commis plusieurs fautes résidant dans un mauvais paramétrage initial du système VeeamBackup, dans la mauvaise manipulation réalisée par son préposé et dans la méconnaissance de son obligation d'information et de conseil ;

- les collectivités n'ont pas commis de faute permettant d'exonérer la société Bull d'une part de sa responsabilité ;

- il n'est pas possible d'appliquer la clause limitative de responsabilité invoquée par la société Bull en ce qu'elle est contenue dans un document non opposable aux collectivités exposantes ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité délictuelle de la société Bull peut être engagée en raison de son manquement à une obligation contractuelle ;

- le préjudice de la commune d'Etampes peut être chiffré à 544 135,31 euros et le préjudice de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne peut être chiffré à 86 171,43 euros.

Par courrier du 23 septembre 2021, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions de la commune d'Etampes fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Bull sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Par un mémoire, enregistré le 27 septembre 2021, la société Bull a présenté ses observations sur ce moyen susceptible d'être relevé d'office.

Par un mémoire, enregistré le 29 septembre 2021, la commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne ont présenté leurs observations sur ce moyen susceptible d'être relevé d'office.

Par un arrêt n° 19VE01088 du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Bull, annulé ce jugement et rejeté les demandes et les conclusions incidentes de la commune d'Etampes et de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne.

Par une décision n° 459514 du 13 mai 2022, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi présenté par la commune d'Etampes.

Par une décision n° 459518 du 17 mars 2023, le Conseil d'État statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant, d'une part, qu'il annule le jugement du 28 janvier 2019 du tribunal administratif de Versailles en tant que celui-ci a fait partiellement droit à la demande de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, d'autre part, qu'il rejette la demande de celle-ci ainsi que ses conclusions incidentes et, enfin, qu'il met à la charge de celle-ci une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a renvoyé à la cour, dans cette mesure, l'affaire, qui porte désormais le n° 23VE00639.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire enregistré le 25 mai 2023, la SAS Bull, représentée par Me Cabanes et Me Perche, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1606749 du tribunal administratif de Versailles du 28 janvier 2019 ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne devant le tribunal administratif ;

3°) à titre subsidiaire, de fixer le montant du préjudice à indemniser à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne dans la limite de 4 680 euros ;

4°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la communauté d'agglomération a commis une faute contractuelle de nature à l'exonérer totalement de sa responsabilité dès lors que la gestion quotidienne des serveurs de sauvegarde lui incombait depuis la date de fin du marché de 2013, qu'elle a été manifestement négligente dans la gestion de son parc informatique en l'absence de sauvegarde de ses données et qu'aucun mauvais paramétrage ou fonctionnement des serveurs du fait de la société Bull n'est caractérisé ;

- la communauté d'agglomération ne justifie pas de l'évaluation de son préjudice par les éléments qu'elle produit dès lors qu'ils ne permettent pas de vérifier la réalité du temps passé par les agents impliqués sur la ressaisie de données ; la durée de six mois de travail alléguée de cinq agents, dont certains à temps complet, durée qui est équivalente à la période couvrant les données perdues, paraît manifestement surestimée ; de même, les documents versés ne permettent pas de vérifier la rémunération exacte des agents concernés, sur la base de laquelle l'indemnisation est sollicitée ;

- en tout état de cause, la société ne pouvant être regardée comme ayant commis une faute lourde, il y a lieu de faire application de la clause limitative de responsabilité prévue par le livret contractuel de 2014.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2023, la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, représentée par Me Salamand, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Bull ;

2°) à titre principal, de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a limité l'indemnité allouée à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne à la somme de 43 085 euros et de condamner la société Bull à lui payer la somme de 86 171,43 euros, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement attaqué et de condamner la société Bull au paiement de la somme de 43 085 euros à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la société Bull la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la réalité de l'existence du préjudice subi n'est pas conditionnée à la démonstration du recrutement de personnel supplémentaire, ni du versement de rémunérations complémentaires, ni d'une quelconque renonciation à l'exercice d'une mission de service public.

Par une ordonnance du 4 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent,

- les conclusions de Mme Janicot, rapporteure publique,

- et les observations de Me Perche, pour la société Bull et de Me Congard, pour la communauté d'agglomération.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que la communauté de communes de l'Etampois-Sud-Essonne a procédé en 2013 à la refonte globale de son système de production informatique et fait appel à la société LNA, attributaire d'un accord conclu avec l'UGAP, afin d'obtenir l'installation d'une infrastructure de sauvegarde comprenant deux serveurs et des licences concédées d'une solution logicielle appelée " Veeam Backup ". La société LNA a sous-traité ce marché ainsi que la maintenance du matériel à la société Bull. Postérieurement à la totale exécution de ce contrat, la communauté de communes de l'Etampois-Sud-Essonne a demandé directement à la société Bull, par un bon de commande du 24 juillet 2014, de lui fournir deux licences supplémentaires pour son infrastructure de sauvegarde informatique. Un préposé de la société Bull est intervenu sur place le 28 novembre 2014, a procédé à l'installation des licences et a vérifié les sauvegardes existantes. Des anomalies ayant été détectées, en particulier l'accumulation de " snapshots " (sauvegarde instantanée) empêchant le logiciel de sauvegarder les données correctement, il a tenté de remettre en fonctionnement ces sauvegardes. Toutefois, son intervention ayant entraîné un retour à la situation de juillet 2014, de nombreuses données ont été perdues.

2. La commune d'Etampes et la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne ont demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner la société Bull à leur verser respectivement les sommes de 544 135,31 et 86 171,43 euros en réparation des préjudices résultant de l'intervention de son employé sur leur infrastructure informatique le 28 novembre 2014. Le tribunal administratif a condamné la société Bull à verser les sommes de 272 067 euros et de 43 085 euros respectivement à la commune et à la communauté d'agglomération. Par un arrêt du 14 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Bull, annulé ce jugement et rejeté les demandes et les conclusions incidentes de la commune d'Etampes et de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne. Le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi présenté par la commune d'Etampes contre cet arrêt par une décision du 13 mai 2022.

3. En revanche, saisi du pourvoi présenté par la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, le Conseil d'État a jugé que la cour, " après avoir estimé que la responsabilité contractuelle de la société Bull était engagée à l'égard de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne en raison de l'erreur de manipulation de son préposé lors de l'intervention sur son infrastructure informatique le 28 novembre 2014 [et] relevé que la communauté d'agglomération avait dû mobiliser plusieurs de ses agents pour réaliser des opérations de ressaisie des données perdues à la suite de cette erreur et avait produit une estimation chiffrée du montant de ce préjudice sur la base d'une liste des agents concernés, de la fraction de leur temps de travail consacré à ces opérations et du montant de leur rémunération ", avait commis une erreur de droit en jugeant que " ces éléments ne permettaient pas d'établir la réalité du préjudice subi par la communauté d'agglomération en termes de charges de personnel, aux seuls motifs que celle-ci ne justifiait pas avoir dû recruter du personnel supplémentaire, ni avoir versé des compléments de rémunération pour accomplir le travail de ressaisie, ni avoir renoncé à l'exercice de missions de service public ". En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles en tant, d'une part, qu'il annule le jugement du 28 janvier 2019 du tribunal administratif de Versailles en tant que celui-ci a fait partiellement droit à la demande de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, d'autre part, qu'il rejette la demande de celle-ci ainsi que ses conclusions incidentes et, enfin, qu'il met à la charge de celle-ci une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. En premier lieu, il résulte du point 7 du jugement attaqué que le tribunal administratif a suffisamment précisé les motifs pour lesquels il a estimé que le préjudice de la communauté d'agglomération pouvait être justement apprécié à la somme de 43 085 euros. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé doit être écarté.

5. En second lieu, si la requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait, de droit ou de contradiction de motifs, de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à entacher ce jugement d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de l'engagement de la responsabilité de la société Bull :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 1, que la société Bull est liée contractuellement, par le bon de commande précité du 24 juillet 2014, à la communauté de communes de l'Etampois-Sud-Essonne, devenue communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne. Il résulte également de l'instruction, en particulier du compte rendu d'intervention de la société Bull du 9 décembre 2014 et d'un courriel du chef de projet du 5 décembre 2014, que son préposé a commis le 28 novembre 2014 une erreur de manipulation qui a entraîné un retour à la situation de juillet 2014. Alors même que cette intervention aurait été réalisée en marge de la commande passée par la communauté de communes, elle est intervenue à l'occasion de l'exécution d'une prestation contractuellement prévue et constitue une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de ladite société à l'égard de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne. En revanche, il n'est pas établi, notamment par les échanges de courriels du 5 décembre 2014, que l'intervention de la société Bull résulte d'un mauvais paramétrage initial des logiciels effectué par son préposé à l'été 2014. En outre, il n'est pas davantage établi que la société Bull a manqué à son devoir d'information et de conseil à l'égard de son cocontractant.

7. En second lieu, pour s'exonérer de sa responsabilité, la société Bull fait valoir qu'il appartenait à la communauté d'agglomération de sauvegarder ses données avant l'intervention de son préposé en application des stipulations de l'article 1.9.16 de son livret contractuel et de veiller régulièrement au bon fonctionnement des sauvegardes afin d'alerter la société en cas de difficultés. La communauté d'agglomération affirme toutefois n'avoir jamais reçu ce livret contractuel, qui n'était annexé ni au bon de commande du 24 juillet 2014 ni à la proposition commerciale de la société Bull du 19 juin 2014, et n'a pas été paraphé par l'administration. Par suite, la circonstance que la proposition commerciale de la société fasse une brève référence à l'un des articles de ce livret, au demeurant inexistant dans la version du livret de 2014 qu'elle produit, n'est pas de nature à regarder ce document comme faisant partie des pièces contractuelles du marché. D'autre part, si la société Bull fait valoir que la communauté d'agglomération avait été alertée du dysfonctionnement des sauvegardes par de nombreux messages d'erreur et s'est abstenue d'en informer la société, l'empêchant ainsi d'intervenir dans les délais au titre de sa mission de maintenance curative, la communauté d'agglomération conteste avoir reçu de tels messages d'erreur, faisant valoir plus précisément que les " snapshots " ne constituent pas des messages d'erreur mais des sauvegardes instantanées de données sur le serveur " VMWARE ", et soutient qu'elle ne disposait pas en interne des compétences lui permettant d'apprécier les incidents du dispositif. La société Bull n'établissant pas, notamment par des captures d'écran, que le logiciel était paramétré pour adresser des messages d'erreur à l'utilisateur dans l'hypothèse d'un tel dysfonctionnement, ni même que ceux-ci étaient aisément détectables par des services informatiques non spécialement formés à l'utilisation de tels logiciels, aucune faute contractuelle de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne ne saurait être retenue pour exonérer en tout ou partie la société Bull de sa responsabilité.

S'agissant du préjudice subi par la communauté d'agglomération :

8. La communauté d'agglomération de l'Etampois Sud Essonne soutient qu'elle a dû mobiliser deux agents à plein temps et trois agents à mi-temps sur une période de six mois pour récupérer toutes les données informatiques concernant ses services et évalue son préjudice à la somme de 86 171,43 euros. Afin de justifier cette évaluation, l'administration produit un tableau récapitulant les noms, services de rattachement et rémunérations des agents affectés à la reprise des données ainsi qu'un inventaire des fichiers créés sur le serveur faisant état de plus de 7 000 fichiers créés en février 2015 et plus de 5 000 fichiers en juin 2015, correspondant selon l'administration aux deux principales périodes de reconstitution des données, lorsque le nombre de fichiers créés mensuellement sur la même période en raison d'une activité normale des services avoisine les 1 000 à 2 000 fichiers.

9. Contrairement à ce que soutient la société Bull, la réalité du préjudice subi ne saurait être remise en cause par la circonstance que la communauté d'agglomération ne justifie pas avoir dû recruter du personnel supplémentaire, ni avoir versé des compléments de rémunération pour accomplir le travail de ressaisie, ni avoir renoncé à l'exercice de missions de service public.

10. En revanche, bien que la perte totale de données sur la période a nécessité une reprise manuelle, les documents produits par l'administration détaillés au point 7 ne permettent pas d'établir, en l'absence de tout autre élément attestant du temps passé sur cette tâche, que l'ampleur du travail de reprise des données était telle qu'elle a effectivement nécessité un temps de travail de six mois pour les personnels concernés. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne en lui allouant la somme de 43 085 euros tous intérêts compris, correspondant à trois mois de travail de ses agents.

11. Enfin, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la société Bull n'est pas fondée à se prévaloir de la clause limitative de responsabilité prévue par son livret contractuel dès lors que celui-ci ne constitue pas une pièce contractuelle opposable à l'administration.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Bull n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles l'a condamnée à verser à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne la somme de 43 085 euros tous intérêts compris. Pour les mêmes motifs, la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne n'est pas davantage fondée à se plaindre, par la voie de l'appel incident, de ce que les premiers juges ont limité son indemnisation à la somme de 43 085 euros tous intérêts compris.

Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". En application des dispositions précitées, il y a lieu de mettre à la charge de la société Bull la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne et non compris dans les dépens. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la société Bull demande le versement au même titre.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Bull, dirigée contre la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne, est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne présentées par la voie de l'appel incident sont rejetées.

Article 3 : La société Bull versera à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Bull et à la communauté d'agglomération de l'Etampois-Sud-Essonne.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00639


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00639
Date de la décision : 09/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02-01 Marchés et contrats administratifs. - Exécution technique du contrat. - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. - Marchés. - Mauvaise exécution.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme JANICOT
Avocat(s) : SELARL DRAI ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-11-09;23ve00639 ?
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