Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision de la ministre des armées rejetant son recours administratif préalable contre la décision du 15 novembre 2017 portant renouvellement de son congé de longue durée pour maladie, en tant que cette décision considère que l'affection ouvrant droit à ce congé n'est pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions.
Par une ordonnance du 13 décembre 2018, la présidente du tribunal administratif de Versailles a transmis au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la demande de Mme B....
Par un jugement n° 1813045 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces complémentaires et un mémoire, enregistrés les 6 décembre 2021, 4 avril 2023 et 3 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Moumni, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision contestée ;
3°) d'enjoindre à la ministre des armées de reconnaître le lien avec le service de son congé de longue durée, à compter du 21 mars 2015, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 100 euros par jours de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en se prononçant à tort sur le terrain du harcèlement moral, les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation, d'erreur de qualification juridique et de dénaturation ;
- c'est à tort que le tribunal a écarté ses moyens de légalité externe tirés de l'incompétence du signataire et de l'irrégularité de la procédure de consultation de comité supérieur médical ; elle aurait pu présenter des observations orales devant ce comité si elle en avait été informée ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, en ce que la ministre des armées a considéré à tort que l'affection dont elle souffre n'est pas survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ; sa vulnérabilité sous-jacente constatée par le médecin-chef Gilles Thomas, qui n'a en outre pas été établie par d'autres professionnels de santé, ne constitue pas une prédisposition ayant déterminé à elle seule son état dépressif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et renvoie à ses écritures de première instance.
Par une ordonnance du 30 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juillet 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dorion,
- les conclusions de M. Lerooy,
- et les observations de Me Moumni pour Mme B..., présente.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., soldate de 1ère classe de l'armée de terre, engagée à compter du 7 avril 2010, affectée en dernier lieu au groupement de soutien du personnel isolé à Rueil-Malmaison, a été placée en congé de maladie, puis en congé de longue maladie, du 16 janvier 2013 au 15 janvier 2014, à la suite d'un accident survenu le 22 février 2012 lors d'un saut d'entrainement en parachute au sein du 1er régiment de hussards parachutistes. Après avoir été reclassée sur un poste sédentaire de mars à novembre 2014, elle a été de nouveau placée en congé de maladie, puis en congé de longue durée, du 21 mars 2015 au 20 mars 2018, avant d'être radiée des contrôles pour réforme définitive le 17 avril 2018. Elle a formé un recours contre la décision du 15 novembre 2017 prolongeant ce congé pour une sixième et dernière période de six mois, du 21 septembre 2017 au 20 mars 2018, en tant que cette décision refuse de reconnaître l'imputabilité au service de l'affection ouvrant droit à ce congé. Une décision implicite de rejet est née le 26 août 2018. Par une décision du 6 novembre 2018, intervenue en cours d'instance devant le tribunal, la ministre des armées a annulé la décision contestée pour vice de procédure et saisi le comité supérieur médical. Le comité supérieur médical, réuni le 14 janvier 2019, ayant conclu à l'absence d'un lien potentiel entre le service et l'affection présentée, la ministre des armées a maintenu sa décision de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de l'affection ayant justifié le congé de longue durée accordé à Mme B..., au titre de la période du 21 septembre 2017 au 20 mars 2018. Mme B... relève appel du jugement du 21 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 4138-12 du code de la défense : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, après épuisement des droits de congé de maladie (...) pour les affections dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / Lorsque l'affection survient du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions (...), ce congé est d'une durée maximale de huit ans. Le militaire perçoit, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sa rémunération pendant cinq ans, puis une rémunération réduite de moitié les trois années qui suivent. (...) ". Aux termes de l'article R. 4138-48 de ce code : " Le congé de longue durée pour maladie est attribué, sur demande ou d'office, dans les conditions fixées à l'article L. 4138-12, par décision du ministre de la défense, (...) sur le fondement d'un certificat médical établi par un médecin des armées, par périodes de six mois renouvelables. " Aux termes de l'article R. 4138-49 de ce code : " La décision mentionnée à l'article R. 4138-48 précise si l'affection ouvrant droit à congé de longue durée pour maladie est survenue ou non du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions (...) ".
3. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été victime d'un accident de service, subi le 22 février 2012, lors d'un saut d'entrainement en parachute, qui l'a contrainte à faire le deuil de sa carrière militaire active et dont elle conserve, après avoir été opérée de l'épaule, des séquelles douloureuses qualifiées de " rebelles " par un certificat médical du 20 juin 2022 qui constate une lésion itérative de la coiffe des rotateurs. Son état de santé a été regardé comme consolidé, au regard de cette affection, le 7 février 2017. Reclassée sur un poste de secrétaire alors qu'elle était tireur d'élite, elle souffre, depuis cet accident, d'un syndrome dépressif sévère résistant aux traitements. Par ailleurs, Mme B... produit en appel des éléments de preuve, notamment des témoignages de ses anciens collègues du 1er régiment de hussards parachutistes, rendant vraisemblables ses allégations selon lesquelles elle aurait été victime d'intimidations, de gestes déplacés, de brimades répétées et de propos sexistes et homophobes, de la part de certains membres du groupe et supérieurs hiérarchiques, au sein de son peloton de combat. Pour refuser de reconnaître le lien entre le service et la pathologie dépressive qui a motivé le placement de Mme B... en congé de longue durée, le ministre des armées s'appuie sur des certificats médicaux qui attribuent sa décompensation psychique à une vulnérabilité sous-jacente. Toutefois, l'intéressée, décrite comme particulièrement volontaire par ses collègues et dont le feuillet individuel de résultats de stage du 14 février 2011 indique que le moral est excellent, n'a pas présenté d'état dépressif antérieur. Dans ces conditions, alors que l'existence d'une prédisposition, à la supposer avérée, n'est pas de nature à exclure un lien direct, la maladie de Mme B... doit être regardée comme imputable à l'exercice de ses fonctions.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement et les moyens de légalité externe, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".
7. L'annulation de la décision contestée implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre des armées de prendre une nouvelle décision reconnaissant l'imputabilité au service de la pathologie ayant justifié le congé de longue durée dont Mme B... a bénéficié du 21 septembre 2017 au 20 mars 2018, dans un délai de deux mois.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision de la ministre des armées prolongeant le congé de longue durée pour maladie de Mme B... du 21 septembre 2017 au 20 mars 2018 est annulée en tant qu'elle refuse de reconnaître que l'affection ouvrant droit à ce congé est survenue du fait ou à l'occasion de l'exercice des fonctions.
Article 2 : Le jugement n° 1813045 du 21 octobre 2021 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au ministre des armées de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie de Mme B... à compter du 21 septembre 2017, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Versol, présidente de chambre,
Mme Dorion, présidente-assesseure,
Mme Troalen, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 octobre 2023.
La rapporteure,
O. DORION La présidente,
F. VERSOLLa greffière,
A. GAUTHIER
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour exécution conforme,
La greffière,
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N° 21VE03240